Analyse
Modèle de population à risque de cancer bronchique en vue d’un dépistage
La revue Minerva a présenté un modèle prédictif de diagnostic précoce de cancer bronchique en médecine générale (1,2) mais n’a pas encore abordé le dépistage chez le sujet sain. Des modèles ont été développés pour sélectionner des sujets à risque de cancer bronchique a priori plus élevé dont plusieurs modèles américains et un hollandais (3) et un anglais (4) dit LLP (Liverpool Lung Project) mais ils ne s’avèrent guère satisfaisants (5).
Le dépistage chez le fumeur a été relancé par la publication bien médiatisée d’une étude randomisée dite NLST (National Lung Screening Trial) qui a comparé le dépistage par radiographie thoracique à celui par tomodensitométrie thoracique basse irradiation (6) réalisé annuellement pendant 3 ans chez des sujets âgés de 55 à 74 ans avec une histoire tabagique d’au moins 30 paquets-années, fumeurs actifs ou ex-fumeurs de moins de 15 ans. Le gain, statistiquement significatif, correspond à une réduction de 20% de la mortalité par cancer pulmonaire. Ce bénéfice a conduit les autorités scientifiques américaines comme l’USPSTF (US Preventive Services Task Force) à recommander le dépistage tomodensitométrique pour des populations à risque définies sur base de l’étude NLST (7) et le système de soins Medicare en a autorisé le remboursement, avec des limites d’âge un peu différentes du NLST (80 et 77 ans respectivement).
Dans ce contexte, des chercheurs américains ont créé un modèle pour optimaliser les critères de sélection de sujets à risque de cancer bronchique (8). En effet, on considère qu’aux Etats-Unis, il y a de l’ordre de 43,4 millions (ex) fumeurs âgés de 50 à 80 ans (403 000 morts par cancer bronchique) et que seuls 9 millions sont sélectionnés par les critères USPSTF (228000 décès). Il faut dépister respectivement 528 et 194 patients pour éviter un décès par cancer bronchique si on applique les programmes recommandés avec l’efficacité établie par le NLST.
Afin d’améliorer ces résultats, les auteurs se sont basés sur des sujets dépistés dans le NLST, l’étude PLCO (9) (où les sujets ont été randomisés pour un dépistage prostate - poumon - colon - ovaire avec ou sans radiographie de thorax) et la banque de données NHIS (National Health Interview Survey) qui, tous les ans, évalue un échantillonnage de la population étatsunienne. La banque de mégadonnées ainsi constituée leur a permis de retenir par des analyses multivariées d’autres facteurs prédictifs : un tabagisme actif, un âge de 65 à 80 ans, une origine afro-américaine, un niveau moindre d’éducation, un indice de masse corporelle plus bas, un emphysème et une histoire familiale de cancer pulmonaire. Comparé aux recommandations USPSTF, pour un seuil sélectionnant le même nombre de sujets dépistés (les 9 millions les plus à risque), le nombre pour éviter une mort par cancer bronchique passe de 194 à 162. Si on prend tous les sujets sélectionnés (12,1 millions) par le modèle (306 000 décès potentiels), le nombre de sujets à dépister pour éviter un décès par cancer bronchique remonte à 194.
Ce type de modèle théorique a évidemment ses limites comme l’impact à long terme ou les extrapolations faites pour permettre les calculs. De plus, il concerne une population américaine avec son système de santé. Les résultats ne sont pas extrapolables à une population européenne. Comme commenté dans l’éditorial (10) associé à l’article original, la lutte contre le tabagisme avec son impact sur la mortalité reste un objectif de santé majeur, non pris en compte dans ces programmes américains de dépistage, contrairement à ce qui est en cours en Europe (5).
Conclusion
Le développement d’un modèle de risque de développer un cancer bronchique améliore modestement la sélection des sujets à dépister en termes de prévenir un décès par cancer bronchique. Ce modèle développé aux Etats-Unis n’est pas validé pour une population européenne.
- Van Meerhaeghe A. Utilité d’un modèle prédictif pour un diagnostic plus précoce du cancer du poumon ? MinervaF 2013;12(9):112-3.
- Iyen-Omofoman B, Tata LJ, Baldwin DR et al. Using socio-demographic and early clinical features in general practice to identify people with lung cancer earlier. Thorax 2013;68:451-9. DOI: 10.1136/thoraxjnl-2012-202348
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- Gould MK. Who should be screened for lung cancer? And who gets to decide? JAMA 2016;315:2279-81. DOI: 10.1001/jama.2016.5986
Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
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