Analyse


Le ramipril instauré après un infarctus du myocarde chez des patients insuffisants cardiaques est-il encore avantageux après 30 ans ?


27 07 2021

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Wu J, Hall AS, Gale CP; AIREX Study Investigators. Long-term survival benefit of ramipril in patients with acute myocardial infarction complicated by heart failure. Heart 2021;107:389-95. DOI: 10.1136/heartjnl-2020-316823


Conclusion
Cette étude de suivi d’une étude randomisée, en double aveugle, contrôlée par placebo, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que l’instauration immédiate d’un traitement par ramipril nécessitant une titration, comparé à un placebo, après un infarctus du myocarde chez des patients atteints d’insuffisance cardiaque entraîne un gain de survie jusqu’à 15 ans après le début du traitement.



 

Les guides de pratique clinique recommandent fortement les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque (1), mais peu d’études en ont examiné l’effet à long terme. Une précédente étude randomisée contrôlée, qui a fait l’objet d’une discussion dans Minerva, a montré qu’un IEC (captopril) et un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II (valsartan) étaient également efficaces après un infarctus du myocarde récent chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque (2,3). L’association des deux médicaments n’apportait aucun avantage supplémentaire, mais les effets indésirables étaient plus nombreux. Notre conclusion était qu’un IEC ajouté aux autres traitements classiques administrés après un infarctus (aspirine, bêtabloquant et statine) restait le traitement de référence pour cette indication et qu’un sartan pouvait être une alternative en cas d’intolérance (2).

 

Un article récemment publié dans BMJ donne les résultats à long terme de l’étude Acute Infarction Ramipril Efficacy (AIRE) (4), une étude indépendante, internationale, multicentrique, en double aveugle, randomisée, contrôlée versus placebo, qui a été lancée en 1989 (5). Elle a inclus 1986 patients âgés de 65 ans en moyenne, 74% étant de sexe masculin. Le moment de l’inclusion était en moyenne 5,4 jours (ET 2,2 jours) après un infarctus du myocarde confirmé par l’ECG et les enzymes cardiaques ; ces patients étaient atteints d’une insuffisance cardiaque confirmée par les résultats radiologiques ou cliniques (œdème pulmonaire ou troisième bruit à l’auscultation). Les patients cliniquement instables, les patients présentant des contre-indications aux IEC et les patients présentant une insuffisance cardiaque manifeste, congénitale ou due à une valvulopathie ont été exclus. Dans le groupe intervention (n = 1014), le ramipril a été débuté après la randomisation à la dose de 2 x 1,25 mg ou 2 x 2,5 mg par jour pour atteindre 2 x 5 mg/jour après titration sur 4 jours. Après un suivi d’une durée moyenne de 15 mois (minimum 6 mois), on a observé 170 décès (17%) dans le groupe ramipril et 222 (23%) dans le groupe placebo. Une analyse en intention de traiter a montré une diminution statistiquement significative de 27% (avec IC à 95% de 11% à 40% ; p = 0,002) de la mortalité globale avec le ramipril 10 mg/jour par comparaison avec le placebo. À la fin de l’étude AIRE en 1993, 46% des patients du groupe ramipril et 48,5% de ceux du groupe placebo prenaient encore le médicament qui leur avait été attribué dans l’étude. Par la suite, les médecins traitants ont été autorisés à prescrire des IEC en ouvert à tous les participants.

Après la fin de l’étude AIRE, l’effet du ramipril par rapport au placebo a encore été examiné pendant trois ans dans un sous-ensemble de 603 patients, tous issus de 30 centres au Royaume-Uni (6). Les caractéristiques de base de ce sous-groupe étaient similaires à celles de l’ensemble de la population de l’étude AIRE. Pendant l’étude randomisée contrôlée, les patients ont pris le ramipril pendant 12,4 mois en moyenne ou le placebo pendant 13,4 mois en moyenne. Après un suivi d’une durée moyenne de 59 mois (minimum 42 mois), on a observé, par comparaison avec le groupe placebo, une réduction absolue de la mortalité de 11,4% et une réduction relative de la mortalité de 36% (avec IC à 95% de 15 à 52% ; p = 0,002) dans le groupe ramipril original.

 

Le même groupe de 603 patients a encore été suivi jusqu’en avril 2019 (4). Pendant un suivi de 4945,2 années-patients, le nombre d’abandons était de 18 patients (2,9%), et il y a eu 541 décès (89,7%), à savoir 266 dans le groupe placebo et 275 dans le groupe ramipril. Le délai médian de décès après l’inclusion était de 7,9 ans (intervalle de 0,0 à 28,7 ans). À la fin de cette prolongation du suivi, il n’y avait plus de différence quant à la survie entre les groupes ramipril et placebo d’origine. Cela s’explique probablement par le fait que la plupart des patients étaient décédés. Mais il y a plus : sur la courbe de survie de Kaplan-Meier, on a observé un croisement de la courbe de survie du groupe ramipril et de celle du groupe placebo après 14 ans. Cela pourrait être interprété comme si le ramipril devenait alors désavantageux par rapport au placebo. Pour éviter cet artefact, les chercheurs ont calculé le temps de survie moyen depuis la randomisation jusqu’à chaque moment de suivi pour le groupe ramipril et pour le groupe placebo. Cette méthode de calcul correspond en fait à la détermination de l’aire sous la courbe (ASC) de la courbe de Kaplan-Meier, et la valeur peut être interprétée comme l’espérance de vie à un moment déterminé du suivi. Les auteurs ont finalement calculé la différence d’espérance de vie (Life Expectancy Difference, LED) et le ratio d’espérance de vie (Life Expectancy Ratio, LER) pour chaque moment de mesure, ce qui correspond respectivement à une augmentation ou une diminution absolue et relative de l’espérance de vie entre les deux groupes à un moment donné. C’est après 15 ans que la différence d’espérance de vie (LED) était la plus importante (11,6 mois avec IC à 95% de 0,7 à 22,6 mois), et après 7 ans que le ratio d’espérance de vie (LER) était le plus important (1,14 avec IC à 95% de 1,05 à 1,23). À la fin du suivi (après 29,6 ans), il n’y avait plus de différence statistiquement significative entre les deux groupes quant à la LED et au LER (respectivement 7,4 mois (avec IC à 95% de -10 à 24,9 mois) et 1,06 (avec IC à 95 % de 0,93 à 1,21)).

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Il est recommandé d’instaurer dès que possible un IEC en cas d’insuffisance cardiaque avec diminution de la fraction d’éjection, quelle que soit la classe NYHA (GRADE 1A), en commençant avec une dose faible à augmenter lentement (GRADE 1C) (1).

 

Conclusion

Cette étude de suivi d’une étude randomisée, en double aveugle, contrôlée par placebo, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que l’instauration immédiate d’un traitement par ramipril nécessitant une titration, comparé à un placebo, après un infarctus du myocarde chez des patients atteints d’insuffisance cardiaque entraîne un gain de survie jusqu’à 15 ans après le début du traitement.

 

 

Références 

  1. Van Royen P, Boulanger S, Chevalier P, et al. Insuffisance cardiaque. Recommandation de bonne pratique. Ebpracticenet. SSMG 2011.
  2. Boland B, Chevalier P. Captopril et valsartan après un infarctus du myocarde avec insuffisance cardiaque. MinervaF 2005;4(2):31-3.
  3. Pfeffer MA, McMurray JJ, Velazquez EJ, et al. Valsartan, captopril, or both in myocardial infarction complicated by heart failure, left ventricular dysfunction, or both. N Engl J Med 2003;349:1893-906. DOI: 10.1056/NEJMoa032292
  4. Wu J, Hall AS, Gale CP; AIREX Study Investigators. Long-term survival benefit of ramipril in patients with acute myocardial infarction complicated by heart failure. Heart 2021;107:389-95. DOI: 10.1136/heartjnl-2020-316823
  5. The Acute Infarction Ramipril Efficacy (AIRE) Study Investigators. Effect of ramipril on mortality and morbidity of survivors of acute myocardial infarction with clinical evidence of heart failure. Lancet 1993;342:821-8. DOI: 10.1016/0140-6736(93)92693-N
  6. Hall AS, Murray GD, Ball SG. Follow-up study of patients randomly allocated ramipril or placebo for heart failure after acute myocardial infarction: AIRE Extension (AIREX) Study. Acute Infarction Ramipril Efficacy. Lancet 1997;349:1493-7. DOI: 10.1016/s0140-6736(97)04442-5

 




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