Analyse
Un schéma d’étude de Zelen présente-t-il un avantage du point de vue méthodologique et est-il éthiquement justifié ?
Quel est l’effet sur le taux de participation au dépistage du cancer du col de l’utérus, d’une invitation écrite pour un test HPV à réaliser par la femme elle-même ou réalisé par un médecin, par comparaison avec la prise en charge habituelle où les femmes jusqu’à l’âge de 64 ans sont invitées à un examen avec spéculum tous les 5 ans ? Pour répondre à cette question de recherche, les chercheurs ont opté pour une étude randomisée contrôlée (1,2). Contrairement aux études observationnelles, les études randomisées permettent d’éviter que des facteurs de confusion (non mesurés) ne faussent l’effet de l’intervention à évaluer. Mais si l’on peut prévoir l’attribution, soit parce qu’elle est prévisible (quasi-randomisation) (3) soit parce qu’elle est connue (sans secret de l’attribution), cela peut conduire à une attribution sélective ou à la non-inclusion de certains patients dans l’étude (biais de sélection).
Outre la randomisation et la préservation du secret de l’attribution, la mise en aveugle pendant l’étude est également essentielle pour obtenir des résultats fiables. Cependant, en raison de la nature de l’intervention et du contrôle dans l’étude de dépistage du cancer du col de l’utérus, ni les participantes ni les investigateurs n’ont pu être mis en aveugle (étude randomisée contrôlée menée en ouvert). Le dossier médical informatisé a été utilisé pour recruter des femmes qui, depuis plus d’un an, n’avaient pas accepté l’invitation pour un frottis classique à effectuer tous les 5 ans. Le risque serait donc élevé que les femmes du groupe témoin, apprenant l’existence d’un moyen de dépistage plus accessible, se soumettent peut-être encore moins que d’habitude au dépistage. Même si la randomisation est bien effectuée, cette baisse supplémentaire de motivation dans le groupe témoin pourrait finalement conduire à un biais important dans les résultats. Pour contourner ce risque de biais de performance, les chercheurs ont utilisé un schéma d’étude de Zelen (4). Avec un schéma de Zelen, les participants sont inclus et randomisés sans consentement préalable à la participation à l’étude, et les personnes du groupe témoin ne sont pas informées de leur participation à l’étude (4-7). Un consentement éclairé est demandé aux personnes qui participent à l’intervention. Par exemple, dans l’étude sur le dépistage du cancer du col de l’utérus, les femmes qui ont retourné un test HPV ont été invitées à envoyer un consentement éclairé écrit. Les médecins qui ont effectué un test HPV ont également été invités à demander à la patiente de remplir un formulaire de consentement éclairé.
Un schéma d’étude de Zelen se justifie-t-il sur le plan méthodologique ?
L’avantage méthodologique d’un schéma de Zelen consiste donc dans le fait qu’il peut réduire le risque de biais de performance du fait de l’absence de motivation dans le groupe témoin. Si, comme dans l’étude sur le dépistage du cancer du col de l’utérus, les personnes ne connaissent pas une nouvelle méthode de dépistage plus accessible, elles continueront à se comporter comme elles le faisaient avant l’inclusion, et on peut s’attendre à des données fiables concernant le taux de participation du groupe témoin. Un schéma d’étude de Zelen est donc particulièrement adapté aux études dans lesquelles la question de recherche se concentre sur la volonté des patients de recevoir un certain traitement ou de passer un certain examen, mais il est moins adapté aux études visant à évaluer l’utilité d’un traitement ou d’un examen pour un gain de santé (5). Le fait que, dans un schéma de Zelen, le groupe témoin n’est pas autorisé à être informé de l’inclusion dans l’étude implique que les participants sont recrutés de manière « automatique » (5). Par exemple, les femmes de l’étude sur le dépistage du cancer du col de l’utérus ont été recrutées via le dossier médical informatique chez le médecin généraliste. Il est bien sûr également important de choisir comme principal critère de jugement un critère de jugement objectivement mesurable afin d’éviter un biais d’information. Souvent, on a alors recours aux données des bases de données existantes. Les résultats d’un schéma de Zelen ne peuvent être analysés qu’en intention de traiter. En effet, nous ne savons pas quelles personnes du groupe témoin auraient accepté la prise en charge si on la leur avait proposée. Étant donné que les participants du groupe intervention peuvent eux-mêmes choisir de participer à l’intervention, le taux d’abandons peut être élevé. Par exemple, les patientes du groupe intervention qui n’ont pas souhaité accepter l’invitation au test HPV pouvaient aussi choisir de continuer la prise en charge habituelle. De nombreuses femmes du groupe intervention ont finalement opté pour un frottis classique comme dans le programme de dépistage réalisé tous les 5 ans. Un taux d’abandons important dans le groupe intervention (à partir de 15% selon un consensus) risque toutefois de fausser considérablement les résultats de l’analyse en intention de traiter.
Un schéma d’étude de Zelen se justifie-t-il sur le plan éthique ?
Il n’est pas surprenant que l’inclusion et la randomisation de personnes sans consentement éclairé puissent conduire à une discussion éthique. Ici, le principe éthique de « l’autonomie du patient » n’est en tout cas pas respecté car les patients ne peuvent pas décider en connaissance de cause de participer ou non à l’étude (4,7). On peut néanmoins avancer des contre-arguments : les patients du groupe témoin peuvent toujours décider eux-mêmes s’ils veulent ou non continuer d’être pris en charge comme le sont les patients qui ne sont pas dans l’étude (4,7). De plus, les patients (du groupe intervention) ne seront jamais soumis à une « nouvelle » prise en charge sans consentement éclairé. Ainsi, les personnes du groupe intervention peuvent toujours refuser la nouvelle prise en charge et continuer à recevoir la prise en charge habituelle. On peut également soutenir que non seulement l’autonomie, mais aussi les principes de « bien agir » et de « ne pas nuire » doivent avoir leur place dans la discussion éthique concernant la recherche en santé. On peut penser qu’informer les patients sur les options de traitement avant la randomisation risque d’entraîner de la confusion et de l’anxiété chez ceux qui ne sont pas randomisés à l’intervention sur laquelle ils fondaient peut-être leurs espoirs. Les chercheurs pourraient également se retrouver face à un dilemme éthique. D’un côté, en expliquant l’étude, ils donnent peut-être de l’espoir à des patients vulnérables, et d’un autre côté, ils doivent ensuite décevoir la moitié des patients, ceux qui ne se font pas partie du groupe intervention. En contre-argument, on peut noter ici que les patients peuvent se sentir floués si on leur dit après coup qu’ils ont participé à une étude à leur insu. Cela pourrait dans certains cas nuire à la relation médecin-patient.
Conclusion
Dans le schéma d’étude de Zelen, les patients sont randomisés dans un groupe intervention et dans un groupe témoin sans que leur consentement éclairé leur soit demandé avant la randomisation. Les patients du groupe témoin ne savent même pas qu’ils participent à une étude. Cette conception fournit une réponse au biais de performance dans les études randomisées contrôlées menées en ouvert sans groupe placebo, où l’objectif principal est d’étudier la volonté des patients pour un certain traitement ou un certain examen. Le non-respect de l’autonomie du patient et les atteintes potentielles à la relation médecin-patient relèvent d’une discussion éthique.
- Verhoeven V. Une augmentation de la participation au dépistage du cancer du col de l’utérus grâce au test HPV sans examen au spéculum ? Minerva Analyse 21/10/2022
- Landy R, Hollingworth T, Waller J, et al. Non-speculum sampling approaches for cervical screening in older women: randomised controlled trial. Br J Gen Pract 2021;72:e26-e33. DOI: 10.3399/BJGP.2021.0350
- Chevalier P. Le risque de biais lié au secret d’attribution. MinervaF 2012;11(6):77.
- Sedgwick P, Hooper C. What are randomised consent designs? BMJ 214;349:g4727. DOI: 10.1136/bmj.g4727
- Zelen M. A new design for randomized clinical trials. N Engl J Med 1979:300:1242-5. DOI: 10.1056/NEJM197905313002203
- Simon GE, Shortreed SM, DeBar LL. Zelen design clinical trials: why, when, and how. Trials 2021;22:541. DOI: 10.1186/s13063-021-05517-w
- Sedgwick P. Zelen’s design. BMJ 2012;e345:e8505. DOI: 10.1136/bmj.e8505
Auteurs
Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
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