Revue d'Evidence-Based Medicine



Kinésithérapie brève ou classique pour les cervicalgies non aiguës?



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 9 Page 140 - 142

Professions de santé


Analyse de
Klaber Moffett JA, Jackson DA, Richmond S et al. Randomised trial of a brief physiotherapy intervention compared with usual physiotherapy for neck pain patients: outcomes and patients’ preference. BMJ 2005;330:75-80.


Question clinique
Existe-t-il une différence d’efficacité entre une kinésithérapie de courte durée et une kinésithérapie traditionnelle pour les patients présentant une cervicalgie subaiguë ou chronique? Quelle est l’influence des préférences des patients au niveau du résultat obtenu?


Conclusion
Cette étude au protocole de non infériorité, effectuée chez des patients présentant des cervicalgies subaiguës ou chroniques, ne peut montrer qu'une intervention cognitivo-comportementale courte (une à trois sessions) soit au moins aussi efficace qu'un traitement de kinésithérapie traditionnelle (de cinq sessions). Cette étude ne possède pas la puissance nécessaire pour permettre des conclusions quant à une différence d'efficacité.


 

Résumé

Contexte

Nous ne disposons pas de données probantes pour la prise en charge des cervicalgies. Les patients qui en souffrent étant régulièrement adressés en physiothérapie, il est important d’évaluer l’efficacité de celle-ci, comme l'influence des préférences des patients sur les résultats du traitement.

Population étudiée

Les 268 patients inclus dans l'étude ont un âge moyen de 48 ans, présentent une cervicalgie subaiguë ou chronique depuis au moins deux semaines. Ils doivent être âgés d'au minimum 18 ans, être adressés à un des huit centres de kinésithérapie participants, consentir à participer à l’étude et ne pas présenter une préférence incontestable pour l’un ou l’autre traitement. Ont été exclus: les patients présentant des pathologies potentiellement graves, une douleur principale sous le coude ou dans toute autre partie du corps, la coexistence d’un «autre problème grave» (telle une capsulite de l’épaule ou une épicondylite) qui nécessiterait un traitement complémentaire, ayant bénéficié d’un traitement récent (dans les six semaines précédentes) pour un problème cervical ou manifestant l’intention de poursuivre un traitement complémentaire à celui du service de kinésithérapie ainsi que les patients ayant subi une intervention chirurgicale de la nuque.

Protocole d’étude

Avant la randomisation, la préférence thérapeutique des patients est explorée. Sans tenir compte de celle-ci, la répartition aléatoire est faite dans deux groupes. Le premier (n=139) reçoit une kinésithérapie «brève»: une à trois séance(s) au cours de(s) la(es)quelle(s) sont utilisés des principes cognitivo-comportementaux afin de stimuler une prise en charge personnelle avec un retour aux activités quotidiennes normales le plus rapidement possible. Le second (n=129) reçoit une kinésithérapie «habituelle» durant 5 séances. Douze des 28 kinésithérapeutes ont reçu une formation d’un jour pour les entraîner à pratiquer ce traitement de courte durée. Ces kinésithérapeutes délivrent les deux types de traitements. L'étude est conçue comme une étude de non infériorité devant inclure 400 personnes pour avoir une puissance suffisante.

 

Mesures des résultats

Le critère de jugement primaire est la modification, par rapport aux valeurs de départ, de scores moyens enregistrés au moyen de quatre questionnaires: le Northwick Park neck pain Questionnaire (NPQ), le SF-36, le Tampa scale for kinesophobia (TSK) ainsi qu’une échelle numérique mesurant la douleur (score de 0 à 10). L’analyse se fait en intention de traiter.

 

Résultats

A trois mois, le critère de jugement primaire évalué sur les scores NPQ et SF-36 est amélioré dans les deux groupes, avec une tendance à de meilleurs résultats pour le groupe recevant une kinésithérapie traditionnelle: amélioration significativement supérieure pour deux des huit domaines SF-36 mais non significative pour le score NPQ (différence entre intervention brève (-1,48) et kinésithérapie traditionnelle (-2,10) de 0,62 (IC à 95% de -0,44 à 1,68; p=0,25) ni pour les autres domaines du SF-36. La petite différence de changement dans l’échelle Tampa est significative en faveur du groupe intervention brève à trois mois (différence entre intervention brève (-1,03) et kinésithérapie traditionnelle (1,19) de -2,23 (IC à 95% de -3,72 à -0,73; p<0,0036) mais pas à douze mois (différence entre intervention brève (-0,30) et kinésithérapie traditionnelle (-0,22) de -0,08 (IC à 95% de -1,75 à 1,58; p=0,92). Vingt patients sont passés de la kinésithérapie brève à la kinésithérapie traditionnelle. Après douze mois, les patients du groupe kinésithérapie traditionnelle (cinq séances) présentent une amélioration de faible ampleur (-2,82) mais significative (score NPQ) par rapport aux patients du groupe intervention brève (-0,84): différence entre intervention brève et kinésithérapie traditionnelle de 1,98 (IC à 95% de 0,45 à 3,51; p=0,0114). Toutefois, en respectant le protocole d'étude de non infériorité, l'intervalle de confiance des résultats montre une infériorité possible du traitement court.

La préférence des patients pour un traitement influence les résultats. Ceux qui souhaitaient un traitement bref, ont enregistré une amélioration significative sur l’échelle NPQ pour ce traitement court, mais non pour le traitement long. Les patients préférant le traitement traditionnel sont significativement améliorés s'ils reçoivent ce type de traitement mais non en cas de traitement court. Dans le groupe sans préférence, cette analyse montre un intérêt significatif acquis uniquement avec un traitement traditionnel.

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent qu'un traitement de physiothérapie classique est marginalement supérieur à une intervention de physiothérapie brève chez des patients souffrant de cervicalgies. Des patients préférant une intervention brève pourraient cependant tirer un bénéfice semblable de ce type d'intervention.

  

Financement

Northern and Yorkshire R&D Executive et Trent Region NHS Executive.

 

Conflits d’intérêt

Non déclarés.

 

 

Discussion

Importance de l'étude

Une cervicalgie prolongée peut mener à un ensemble de difficultés physiques, psychologiques et sociales. Pour cette raison, la mise en application des principes de traitement cognitivo-comportemental dans la prise en charge physiothérapeutique de la cervicalgie (maintien, apprentissage d’exercices spécifiques) peut être intéressante. Cette étude compare l'efficacité d'une à trois séances de traitement de type cognitivo-comportemental par rapport à un traitement de kinésithérapie classique de cinq séances. Une différence d'approche est peut-être nécessaire entre une affection subaiguë et une affection chronique, comme dans les lombalgies.

Forces et faiblesses de l’étude

Cette étude est bien conçue (large population, longue période de suivi, randomisation équilibrée pour ce qui est de l’âge et de la durée de la douleur, sorties d’étude similaires dans les deux groupes). L'attribution dans les groupes est indépendante des préférences de base des patients (avec environ 30% de patients préférant la kinésithérapie traditionnelle) pour éviter les biais de sélection. L’étude était initialement planifiée comme une étude de non-infériorité. Environ 400 patients étaient nécessaires afin d’exclure une différence d'efficacité avec un pouvoir statistique suffisant. Le recrutement des participants a été beaucoup plus lent que prévu et la taille de l’échantillon initial visé n’a pas été atteinte.

Certains kinésithérapeutes pratiquant les deux types de traitement, un biais de contamination est donc théoriquement possible. Une étude du travail des kinésithérapeutes par un observateur indépendant montre cependant un respect du protocole d’étude par ces kinés. Il existe une diversité importante de traitements dans le groupe thérapie traditionnelle: un pourcentage important de patients reçoivent des conseils (38%) et réalisent des exercices à domicile (21%). Pour ce qui est de l’approche cognitivo-comportementale, une étude comparant une à trois séances versus cinq séances ou davantage serait intéressante. Il est possible également que la formation cognitivo-comportementale assurée dans cette étude-ci soit insuffisante pour maximaliser les effets de l’intervention brève.

Autres traitements des cervicalgies

En 2004, la Revue Minerva concluait 1 à l'absence probable d’efficacité d'exercices de renforcement musculaire et de relaxation par rapport à une poursuite des activités quotidiennes habituelles dans l'amélioration de cervicalgies chroniques atypiques. Les preuves sont insuffisantes quant à l'efficacité de l'éducation des patients et d'une prise en charge pluridisciplinaire 2, pour les adultes en âge de travail 3 et pour comparer les effets des traitements pluridisciplinaires avec d’autres traitements: exercices à domicile supervisés, recommandation pour les exercices 4,5, mobilisation 7,8, programme d’exercices, gestion du stress et absence de traitement 9. Une seule étude montre qu'un traitement pluridisciplinaire diminue significativement la douleur à la fin du traitement (p<0,05) et après un et six mois (p<0,001) en comparaison avec un traitement physique (électrique, acoustique, ultrasons et stimulation nerveuse électrique transcutanée) 6. En ce qui concerne l’absentéisme au travail, un traitement multimodal cognitivo-comportemental (six séances) réduit le temps nécessaire à la reprise du travail (243 personnes) de façon significative comparé à une brochure éducationnelle 5, et en comparaison avec un traitement physique (électrique, acoustique, ultrasons, et stimulation nerveuse électrique transcutanée) 6.

Rôle des préférences des patients

Les auteurs ont observé, dans cette étude, un effet des préférences, non significatif mais potentiel, sur les résultats. Pour certains patients, un traitement court (deux séances) peut être aussi bénéfique qu'un traitement long s’ils préfèrent ce traitement court. Il est également moins onéreux. Une différence est observée en fonction du choix initial du patient mais une analyse statistique classique de ces interactions n’atteint pas un niveau significatif (p=0,19). Les auteurs notent cependant que cette étude n’avait pas la puissance nécessaire pour évaluer une interaction. Il n'existe pas d’autres études cliniques montrant que les préférences de patients peuvent influencer le résultat, dans le cas de cervicalgies. Une étude 10, utilisant le même modèle avec des patients lombalgiques, semble montrer que les préférences des patients n’augmentent ou ne diluent pas les effets du traitement sur la qualité de vie.

 

Conclusion

Cette étude au protocole de non infériorité, effectuée chez des patients présentant des cervicalgies subaiguës ou chroniques, ne peut montrer qu'une intervention cognitivo-comportementale courte (une à trois sessions) soit au moins aussi efficace qu'un traitement de kinésithérapie traditionnelle (de cinq sessions). Cette étude ne possède pas la puissance nécessaire pour permettre des conclusions quant à une différence d'efficacité.

 

Références

  1. Eyskens J. Exercices musculaires versus relaxation pour les cervicalgies chroniques. MinervaF 2004;3(8):130-2.
  2. Binder A. Neck pain. Clin Evid 2005;13:1501-24.
  3. Karjalainen K, Malmivaara A, van Tulder M et al. Multidisciplinary biopsychosocial rehabilitation for neck and shoulder pain among working age adults. Cochrane Database Syst Rev 2001, Issue 3
  4. Taimela S, Takala EP, Asklof T et al. Active treatment of chronic neck pain: a prospective randomized intervention. Spine 2000;25:1021-7.
  5. Linton SJ, Andersson T. Can chronic disability be prevented? A randomized trial of a cognitive-behaviour intervention and two forms of information for patients with spinal pain. Spine 2000;25:2825-31.
  6. Provinciali L, Baroni M, Illuminati L, Ceravolo MG. Multimodal treatment to prevent the late whiplash syndrome. Scand J Rehabil Med 1996;28:105-11.
  7. Hoving JL, Koes BW, de Vet HC et al. Manual therapy, physical therapy, or continued care by a general practitioner for patients with neck pain. A randomized, controlled trial. Ann Intern Med 2002;136:713-22.
  8. Korthals-de Bos IB, Hoving JL, Van Tulder MW et al. Cost effectiveness of physiotherapy, manual therapy, and general practitioner care for neck pain: economic evaluation alongside a randomised controlled trial. BMJ 2003;326:911-4.
  9. Horneij E, Hemborg B, Jensen I, Ekdahl C. No significant differences between intervention programmes on neck, shoulder and low back pain: a prospective randomized study among home-care personnel. J Rehabil Med 2001;33:170-6.
  10. Moffett JK, Torgerson D, Bell-Syer S et al. Randomised controlled trial of exercise for low back pain: clinical outcomes, costs, and preferences. BMJ 1999;319:279-83.
Kinésithérapie brève ou classique pour les cervicalgies non aiguës?



Ajoutez un commentaire

Commentaires