Revue d'Evidence-Based Medicine
Des antidépresseurs pour soulager les patients avec lombalgies non spécifiques ?
Résumé
Contexte
Sans mise en évidence d’une étiologie précise, une lombalgie est dite non spécifique. Jusqu’à 30% des lombalgies deviennent récurrentes ou persistantes. Des médicaments antidépresseurs sont couramment prescrits dans ce cas, malgré les preuves non concordantes. Une synthèse était la bienvenue.
Méthodologie
Synthèse méthodique et méta-analyse
Sources consultées
- MEDLINE et EMBASE (jusqu’en septembre 2007), PsycINFO (jusqu’en juin 2006) et Cochrane CENTRAL
- synthèses méthodiques précédentes.
Etudes sélectionnées
- RCTs comparant un médicament antidépresseur versus placebo
- avec au moins un critère de jugement cliniquement pertinent (intensité de la douleur, amélioration générale, status fonctionnel, reprise du travail, dépression)
- exclusion des études : incluant des patients avec entités cliniques spécifiques (infection, cancer, métastase, ostéoporose, arthrite rhumatoïde, fracture), ciblant l’effet antidépresseur, sélectionnant les patients en fonction du diagnostic de dépression majeure
- inclusion de 10 RCTs.
Population étudiée
- patients adultes présentant une douleur non spécifique dorsale basse (située en-dessous des omoplates et au-dessus des plis fessiers) irradiée ou non, avec ou sans douleur dans les membres inférieurs
- en forte majorité spécifiée chronique (> 6 mois mais parfois > 6 semaines seulement) par les auteurs (9 études sur les 10)
- parfois avec des symptômes de dépression
- avec poursuite des autres traitements (AINS entre autres).
Mesure des résultats
- efficacité sur la douleur, la dépression et les capacités fonctionnelles exprimée en Différence Moyenne Standardisée (DMS) pour les antidépresseurs versus placebo ou pour les différents types d’antidépresseurs
- analyse en modèle d’effets aléatoires
- analyse qualitative pour les études avec résultats ne pouvant être sommés.
Résultats
a. Méta-analyses
- pour les différents critères : voir tableau ; pas d’hétérogénéité (test I² de Higgins)
- pour les différents types d’antidépresseurs : pas de différence statistiquement significative versus placebo sur l’intensité de la douleur pour les antidépresseurs tricycliques (2 études), pour les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (2 études)
Tableau : Différence Moyenne Standardisée (DMS) avec IC à 95% pour les critères douleur, dépression et status fonctionnel entre les différentes études.
Critère |
Nombre d’études (N) Nombre de patients (n) |
DMS |
IC à 95% |
Douleur |
N=6 ; n= 343 |
-0,06 |
-0,28 à 0,16 |
Dépression |
N=2 ; n=132 |
0,06 |
-0,29 à 0,40 |
Status fonctionnel |
N=2 ; n=132 |
-0,06 |
-0,40 à 0,29 |
b. Analyse qualitative
- douleur : preuves non concordantes pour l’efficacité des antidépresseurs sur l’intensité de la douleur en cas de lombalgies chroniques
- dépression : pas de preuve nette d’une diminution de la dépression en cas de lombalgies chroniques.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent qu’il n’y a pas de preuve nette que les antidépresseurs soient plus efficaces qu’un placebo pour le traitement de patients présentant une lombalgie chronique. Ces observations n’impliquent pas un non traitement par antidépresseurs des patients lombalgiques présentant une dépression sévère ; en outre, nous disposons de preuves de leur efficacité dans d’autres types de douleur chronique.
Financement
National Health and Medical Research Council (NHMRC) Australia et départements de différentes universités.
Conflits d’intérêt
Pas de conflits d’intérêt ; 1 auteur coéditeur d’un groupe de la Cochrane Collaboration ne l’était pas pour cette synthèse méthodique.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Méthodologie de la Cochrane Collaboration : extraction des données par deux chercheurs indépendamment l’un de l’autre, évaluation de la qualité méthodologique des études sur un score (11 items) du Cochrane Back Review Group. Les auteurs mentionnent que 3 études sont de faible qualité mais une analyse de sensibilité selon la qualité méthodologique des études ne montre pas de modification des résultats en fonction de la qualité des études incluses. La recherche d’une hétérogénéité statistique par le test I² de Higgins n’en met pas en évidence. En cas d’hétérogénéité clinique, les études ne sont pas sommées pour leurs résultats et les auteurs pratiquent une analyse qualitative. Ils ont examiné les publications en anglais, en néerlandais, en français et en allemand.
Analyse des résultats
Les auteurs mentionnent que seules 3 études apportent des données permettant de juger si l’effet observé était cliniquement important et qu’aucune étude ne permet de faire la balance entre les bénéfices du traitement et ses éventuels effets indésirables. Les études réalisées ne permettent pas de tirer de conclusions pour les lombalgies non spécifiques aiguës ou subaiguës. Aucune donnée ne permet d’évaluer l’effet du traitement sur la reprise du travail. Un traitement par antidépresseur est-il efficace chez des patients présentant des lombalgies en même temps qu’une dépression sévère ? A nouveau, aucune conclusion n’est possible au terme de cette méta-analyse. Les auteurs soulignent qu’une efficacité antidépressive des médicaments antidépresseurs a été montrée dans d’autres pathologies (cancer, diabète, sclérose multiple) et que d’autres évaluations sont donc encore nécessaires pour les patients lombalgiques avec dépression sévère. Ils rappellent aussi que les antidépresseurs tricycliques ont montré une efficacité dans d’autres types de douleurs chroniques : neuropathies, fibromyalgie.
Autres études et méta-analyses
Les auteurs reprennent les résultats de précédentes méta-analyses (1-3). Deux de ces méta-analyses concluent que les antidépresseurs sont plus efficaces qu’un placebo pour réduire l’intensité de la douleur en cas de lombalgies chroniques (1,3). La troisième (2) conclut qu’une efficacité est observée pour les antidépresseurs tricycliques mais non pour les ISRS. Les auteurs de la présente méta-analyse expliquent ces divergences par les critères de sélection des études, la date de la recherche dans la littérature et la sélection opérée pour effectuer les différentes sommations de résultats, ce qui aboutit à une sélection d’études différentes dans les méta-analyses effectuées. Au vu de sa date de réalisation et de sa rigueur méthodologique, la méta-analyse d’Urquhart reflète plus correctement l’état actuel des connaissances.
Deux études plus récentes n’ont pas été incluses dans cette méta-analyse. Dans une étude avec un faible pourcentage de suivi (28 patients sur 61 terminent l’étude), la nortriptyline ne se montre pas plus efficace qu’un placebo sur la réduction de la douleur chez des patients avec lombalgie accompagnée d’une sciatique (4). Une autre étude, avec également un pourcentage important de sorties d’étude (38 personnes sur 121), montre l’intérêt de la désipramine ou de la fluoxétine (à différentes doses) sur l’intensité de la douleur en cas de lombalgie chronique chez des patients sans dépression majeure (5).
Les auteurs de cette méta-analyse soulignent que les antidépresseurs ne sont pas recommandés dans certains guidelines (6). Dans le chapitre de Clinical Evidence consacré à « Low back pain (chronic) », rédigé par un des co-auteurs de cette méta-analyse, les antidépresseurs sont indiqués comme « likely to be beneficial » (7) . La recherche dans la littérature date cependant de novembre 2004 et les conclusions de 43 articles thérapeutiques doivent y être intégrées selon la mise à jour mentionnée sur le site web ; une modification est très probablement prévisible.
Effets indésirables
Les auteurs soulignent que les études originales ne donnent que très peu de renseignements sur les effets indésirables encourus. Une évaluation plus approfondie reste indispensable pour les effets indésirables mineurs comme sévères, étant donné l’importance de mieux évaluer la balance bénéfices/risques potentiels.
Conclusion
Cette méta-analyse, au contraire de précédentes, ne montre pas de preuves de l’intérêt d’un traitement par médicament antidépresseur chez des adultes présentant des lombalgies non spécifiques (sans cause établie) en forte majorité chroniques. Les effets indésirables potentiels de ces antidépresseurs sont mal évalués dans des études incluant un faible nombre de patients. Aucune conclusion n’est possible pour des patients présentant des lombalgies chroniques et une dépression majeure.
Références
- Salerno SM, Browning R, Jackson JL. The effect of antidepressant treatment on chronic back pain: a meta-analysis. Arch Intern Med 2002;162:19-24.
- Staiger TO, Gaster B, Sullivan MD, Deyo RA. Systematic review of antidepressants in the treatment of chronic low back pain. Spine 2003;28:2540-5.
- Schnitzer TJ, Ferraro A, Hunsche E, Kong SX. A comprehensive review of clinical trials on the efficacy and safety of drugs for the treatment of low back pain. J Pain Symptom Manage 2004;28:72-95.
- Khoromi S, Cui L, Nackers L, Max MB. Morphine, nortriptyline and their combination vs. placebo in patients with chronic lumbar root pain. Pain 2007;130:66-75.
- Atkinson JH, Slater MA, Capparelli EV, et al. Efficacy of noradrenergic and serotonergic antidepressants in chronic back pain: a preliminary concentration-controlled trial. J Clin Psychopharmacol 2007;27:135-42.
- Koes BW, van Tulder MW, Ostelo R, et al. Clinical guidelines for the management of low back pain in primary care: an international comparison. Spine 2001;26:2504-13.
- van Tulder M, Koes B. Low back pain (chronic). Clinical Evidence, web edition. BMJ Publishing Group Ltd 2007.
Noms de marque
- Désipramine : non disponible (anciennement Pertrofan®)
- Fluoxétine : Docfluoxetine®, Fluox®, Fluoxemed®, Fluoxetine EG®, Fluoxetine Sandoz®, Fluoxetine Teva®, Fluoxetine Topgen®, Fluoxone®, Fontex®, Merck-Fluoxetine®, Prosimed®, Prozac®
- Nortriptyline : Nortrilen®
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