Revue d'Evidence-Based Medicine
Traitement médicamenteux de la démence
Contexte
L’efficacité, dans l’obtention d’amélioration cliniquement pertinente, des cinq traitements approuvés par le US Food and Drug Administration dans la démence reste imprécise.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique et méta-analyse
Sources consultées
- Cochrane Central Register of Controlled Trials, MEDLINE, PREMEDLINE, EMBASE, AMED, CINAHL, AgeLine, PsycINFO de janvier 1986 à novembre 2006 y compris
- listes de références des articles retenus.
Etudes sélectionnées
- RCTs anglophones comparant l’efficacité des inhibiteurs des cholinestérases ou de la mémantine avec un placebo ou avec un autre médicament pour le traitement de la démence de l’adulte
- score minimal de 3 score de Jadad modifié
- exclusion : études avec permutation
- au total 96 articles, 59 études originales.
Population étudiée
- adultes souffrant d’une des formes de démence telles que maladie d’Alzheimer, démence vasculaire ou démence liée à la maladie de Parkinson ou une forme légère de troubles cognitifs.
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires : fonctionnement cognitif : ADAS-cog (gain > 4 points = cliniquement pertinent), MMSE (gain > 3 points = cliniquement pertinent), SIB ; fonctionnement global : CIBIC, CIBIC-plus (toute amélioration = cliniquement pertinente), CGIC ; comportement : ADAS-noncog, NPI ; qualité de vie (y compris activités de la vie quotidienne et lourdeur des soins) : ADL
- critères secondaires : admission dans une institution de soins, décès, effets indésirables
- méta-analyse si possible avec analyse en modèle d’effets aléatoires.
Résultats
- pas d’amélioration cliniquement pertinente pour : ADAS-cog, MMSE, CIBIC-plus et NPI pour les donépézil, galantamine, rivastigmine et mémantine (voir tableau)
- 2 études seulement comparent le donépézil avec la galantamine ou avec la rivastigmine : preuves insuffisantes pour retenir un avantage substantiel pour l’un ou l’autre critère
- effets indésirables principaux : typiques pour les anticholinergiques : nausées, vomissements, diarrhée, anorexie et perte de poids ; également davantage de : insomnie, céphalées, crampes musculaires, troubles d’équilibre (voir tableau 2)
- pas de différence statistiquement significative pour les effets indésirables sévères, sans chiffres mentionnés pour la mémantine.
Tableau 1 : Taille de l’effet (Différence Moyenne Pondérée DMP, sauf mention différente, met 95% BI) pour les différents médicaments pour le traitement de la démence sur ADAS-cog, MMSE, CIBIC-plus et NPI (N = nombre d’études; n= nombre de patients).
ADAS-cog |
MMSE |
CIBIC-plus |
NPI |
||
Donépézil 5 ou 10 mg versus placebo |
N=10 n=2275 |
N=14 n=3532 |
N=4 n=2049 |
N=9 n=1769 |
|
Alzheimer (tous grades) |
-2,83 (-3,29 à -2,37) |
1,14 (0,76 à 1,53) |
-0,45 (-0,54 à -0,36) |
-3,99 (-6,85 à -1,12) |
|
N=2 n=1219 |
N=2 n=1219 |
||||
Démences vasculaires (tous grades) |
-2,16 (-3,00 à -1,34) |
1,10 (0,64 à 1,55) |
|||
N=2 n=1060 |
|||||
Perturbations cognitives légères |
-0,93 (-2,73 à 0,87) |
||||
Galantamine 24 à 36 mg versus placebo |
N=8 n=4479 |
N=5 n=3624 |
#N=3 n=2335 |
||
Alzheimer (tous grades) |
-2,46 (-3,47 à -1,44) |
RR amélioration ou stabilisation : 1,22 (1,12 – 1,33) |
-1,72 (-3,12 à -0,33) |
||
Rivastigmine 6 ou 12 mg versus placebo |
N=4 n=1582 |
N=3 n=1171 |
N=5 n=1609 |
||
Alzheimer (tous grades) |
-3,91 (-5,48 à -2,34) |
-0,04 (-1,28 à 1,20) |
-0,36 (-0,45 à -0,27) |
||
Mémantine 20 mg #N=2 n=900 versus placebo |
#N=2 n=900 |
N=3 n=1059 |
N=3 n=1059 |
||
Alzheimer (tous grades) |
-0,27 (-0,43 à -0,10) |
-3,19 (-5,09 à -1,29) |
|||
Démences vasculaires (tous grades) |
-2,21 (-3,27 à -1,15) |
0,45 (-1,02 à 1,92) |
Tableau 2 : Résumé des effets indésirables enregistrés (par rapport au placebo) indépendamment du type de démence ou de la dose utilisée (si différents chiffres sont disponibles, mention du RR le plus élevé).
Effets indésirables |
Donépézil |
Galantamine |
Rivastigmine |
Rêves anormaux |
5,36 (2,67 – 10,76) |
||
Anorexie |
3,21 (1,94 – 5,33) |
3,41 (2,36 – 4,93) |
5,34 (2,30 – 12,42) |
Asthénie |
1,65 (1,09 – 2,48) |
||
Vomissements |
2,25 (1,26 – 4,03) |
3,27 (2,13 – 5,01) |
6,06 (3,88 – 9,45) |
Mal de ventre |
3,19 (1,03 – 9,83) |
||
Diarrhée |
2,96 (1,95 – 4,48) |
||
Troubles d’équilibre |
1,47 (1,06 – 2,03) |
1,90 (1,43 – 2,51) |
2,24 (1,45 – 3,46) |
Perte de poids |
1,83 (1,18 – 2,86) |
3,29 (1,66 – 6,53) |
|
Céphalées |
2,43 (1,60 – 3,70) |
||
Malaise |
4,24 (1,88 – 9,55) |
||
Nausées |
2,92 (1,61 – 5,31) |
2,84 (1,76 – 4,61) |
2,79 (1,26 – 6,19) |
Insomnie |
3,34 (1,27 – 8,80) |
||
Crampes musculaires |
9,62 (3,48 – 26,58) |
||
Fatigue |
2,24 (1,17 – 4,30) |
3,04 (1,72 – 5,38) |
Conclusion des auteurs
Les études évaluant des inhibiteurs des cholinestérases ou la mémantine montrent des résultats statistiquement significatifs pour le traitement de la démence. La pertinence clinique de l’amélioration de la cognition et du fonctionnement global est cependant limitée.
Financement
Institutions gouvernementales des E.-U. et du Canada.
Conflits d’intérêt
Un auteur a reçu des honoraires de l’American College of Physicians.
Discussion
Considérations méthodologiques
Cette méta-analyse est bien réalisée, cependant seuls les articles en langue anglaise sont retenus. Une grande attention a été donnée au contrôle de l’hétérogénéité et aux effets indésirables rapportés. L’hétérogénéité a été bien contrôlée (Chi carré et I² ) et seuls les résultats cliniquement homogènes sont sommés en analyse en modèle d’effets aléatoires.
Les auteurs signalent les limites des RCTs :
- courte durée des études : < 1 an, souvent 6 mois
- différentes méthodes pour le diagnostic différentiel des démences
- détermination hétérogène de la sévérité de la démence (formes légères à modérées d’Alzheimer généralement incluses)
- effets indésirables non dépistés de façon univoque ; déclarations insuffisantes faites par le patient lui-même ou les soignants, manque de détails ou de comparaison correcte versus placebo
- peu de comorbités et de conclusions possibles pour les interactions médicamenteuses
- pas de consensus concernant le meilleur instrument de mesure pour l’amélioration de la cognition ou du fonctionnement global ; pléthore de tests (> 40!) dont la plupart non utilisables dans la pratique et de pertinence variable suivant les points de vue
- outils de mesures variables et difficilement comparables pour évaluer le comportement et la qualité de vie ; 8) absence fréquente de correction pour mesures multiples
- parfois absence d’analyse en intention de traiter ; biais sur la taille de l’effet possible. Ces insuffisances ont déjà fait l’objet d’une description approfondie dans Minerva (1).
Mise en perspective des résultats
Pour accorder une pertinence clinique aux résultats, la plupart des études ont exigé une amélioration d’au moins 4 points sur l’ADAS-cog et d’au moins 3 points sur le MMSE pour les formes légères à modérées de la maladie d’Alzheimer. Comme indiqué dans le tableau des résultats, aucun médicament n’a pu obtenir une efficacité moyenne qui réponde à ces seuils. Certaines études mentionnent le nombre de participants présentant une amélioration cliniquement pertinente comme critère de jugement secondaire, sans calcul statistique pour la différence, dans le but de montrer l’existence d’un sous-groupe de répondeurs (non défini dans le protocole). En pratique clinique, il n’existe aucun instrument pour déterminer les futurs répondeurs, mis à part l’essai de traitement. En général, l’estimation est de 10% de réponse favorable temporaire aux médicaments pour les patients présentant une maladie d’Alzheimer (2). Pour le CIBIC et CIBIC-plus, outils de mesure du fonctionnement global, toute amélioration significative est considérée comme cliniquement pertinente ; ces échelles se limitent cependant aux évaluations des médecins, ce qui n’équivaut pas forcément à une amélioration pertinente pour le patient et/ou son soignant naturel. La plupart des études montrent une amélioration limitée dans ce domaine. L’effet sur le comportement, la qualité de la vie, la charge pour les soignants, le report de l’institutionnalisation, est encore plus imprécis par manque de toute évaluation ou par utilisation d’instruments de mesure hétérogènes. En outre, les inhibiteurs des cholinestérases présentent des effets indésirables gênants surtout gastro-intestinaux. Une efficacité clinique pertinente limitée des inhibiteurs des cholinestérases sur la cognition et sur le fonctionnement global dans la maladie d’Alzheimer (formes légères à modérées) est également observée dans d’autres synthèses systématiques telles que la conférence de consensus sur la démence (2), guides d’évaluation du rapport coût-efficacité de NICE (3) et les synthèses méthodiques de la Cochrane Collaboration (4,5). Ces dernières synthèses tiennent cependant moins compte des faiblesses méthodologiques des RCTs (1).
Pour la pratique
Tant les guides de pratique (6) sur bases des synthèses méthodiques précitées, que la conférence de consensus (2) aboutissent à des recommandations semblables. Elles ont déjà été formulées antérieurement dans Minerva (1, 7). Il n’y a pas de preuve permettant de recommander la prescription systématique de médicaments pour la démence. Une approche individualisée, en concertation avec la famille et le patient est recommandée, avec évaluation des avantages et des inconvénients des médicaments. La durée d’essai du traitement reste imprécise, ainsi que les conséquences de son arrêt, mais le rapport du jury de la conférence de consensus (2) propose un essai de 6 mois. Une attention accrue doit être donnée à l’approche non médicamenteuse aux soins dispensés et au soutien des soignants.
Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre que le donépézil, la galantamine, la rivastigmine et la mémantine n’ont pas d’efficacité clinique globale pertinente sur les capacités cognitives et une efficacité limitée sur le fonctionnement global chez certains patients présentant des formes diverses de démence. L’effet sur le comportement et sur la qualité de la vie est trop hétérogène pour permettre des conclusions cliniquement pertinentes. Les précédentes recommandations formulées par Minerva restent valables : il n’existe pas de preuves en faveur de la prescription systématique des inhibiteurs des cholinestérases et de la mémantine.
Références
- Michiels B. Inhibiteurs des cholinestérases: preuves scientifiques? MinervaF 2006;5(6):94-6
- Comité pour l’évaluation des pratiques médicales en matière des médicaments, L’usage efficient des médicaments dans le traitement de la démence chez les personnes âgées. Conférence de consensus, De Cock J, Editor. 2005, INAMI: Bruxelles p. 1-54.
- National Institute for Health and Clinical Excellence. Alzheimer's disease - donepezil, galantamine, rivastigmine (review) and memantine: guidance (amended September 2007). Technology appraisal guidance; no. 111.
- Birks J. Cholinesterase inhibitors for Alzheimer's disease. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 4. http://www.cochrane.org/reviews/en/ab005593.html
- Birks J, Harvey RJ. Donepezil for dementia due to Alzheimer's disease. Cochrane Database Syst Rev 2004, Issue 3.
- Qaseem A, Snow V, Cross JT Jr, Forciea MA, et al; American College of Physicians/American Academy of Family Physicians Panel on Dementia. Current pharmacologic treatment of dementia: a clinical practice guideline from the American College of Physicians and the American Academy of Family Physicians. Ann Intern Med 2008;148:370-8.
- Rédaction. Messages clés. Minerva 2002;1(8):14.
Productnamen
Donepezil: Aricept®
Galantamine: Reminyl®
Rivastigmine: Exelon®
Memantine: Ebixa®
Auteurs
Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :
Code
Ajoutez un commentaire
Commentaires