Revue d'Evidence-Based Medicine



Prévention des fractures : vitamine D avec ou sans calcium ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 8 Page 92 - 93

Professions de santé


Analyse de
The DIPART (vitamin D Individual Patient Analysis of Randomized Trials) Group. Patient level pooled analysis of 68 500 patients from seven major vitamin D fracture trials in US and Europe. BMJ 2010;340:b5463.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de suppléments de vitamine D avec ou sans calcium versus placebo ou intervention non médicamenteuse chez des personnes âgées, en termes de prévention de différents types de fracture ?


Conclusion
Cette méta-analyse de bonne qualité, sur données individuelles, montre l’intérêt de l’administration de calcium et de vitamine D quotidiennement chez des personnes âgées, en prévention des fractures, particulièrement de la fracture de hanche.


 

Contexte

Une carence en vitamine D est fréquente chez les personnes âgées, particulièrement chez les personnes institutionnalisées qui sont aussi celles qui présentent le plus de risque de chutes. Le risque de fractures est augmenté chez ces personnes. Des suppléments de vitamine D avec ou sans calcium sont administrés en prévention des fractures. L’efficacité de ces traitements a fait l’objet de plusieurs publications avec des résultats parfois contradictoires. Une méta-analyse sur données individuelles était la bienvenue pour évaluer l’efficacité de la vitamine D et du calcium en fonction de leur association ou non, des doses administrées et du type de fracture (hanche, vertébrale clinique ou de toute localisation) et en fonction des caractéristiques des patients (âge, sexe, substitution hormonale, prise de bisphosphonates).

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse sur données individuelles

 

Sources consultées

 

Etudes sélectionnées

  • études avec randomisation individuelle ou en grappes
  • comparant un bras avec administration de vitamine D versus un bras sans supplément de vitamine D
  • évaluant les fractures (de hanche, vertébrale clinique, autre)
  • incluant au moins 1 000 patients
  • inclusion de 7 études (sur 11 répondant aux critères) dont les données individuelles étaient transmises par les auteurs ; 5 versus placebo (n= de 1 144 à 36 282), 1 versus brochure d’information (n=3 314), 1 versus intervention environnementale (n=9 605).

 

Population étudiée

  • population totale de 68 516 personnes
  • âge moyen de 69,9 ans (de 62,4 à 84,7 selon les études) avec des écarts de 47 à 107 ans pour la méta-analyse
  • 14,7% d’hommes.

 

Mesure des résultats

  • critère primaire : survenue d’une fracture
  • critères secondaires : fracture de hanche, vertébrale clinique
  • analyse en régression logistique pour les facteurs suivants : âge, sexe, substitution hormonale, prise de bisphosphonate, antécédent de fracture de hanche, vertébrale ou autre à l’âge adulte
  • analyse en fonction de : dose de vitamine D (10 ou 20 microg/j), voie d’administration (orale, IM (1 étude, administration 300.000UI/12 mois)), coadministration de calcium 
  • mesure des résultats limitée à 36 mois maximum pour la méta-analyse (études sur une médiane de 22,5 à 85 mois).

 

Résultats

  • Vitamine D (D2 ou D3) avec calcium
    • toute fracture : HR 0,92 (IC à 95% de 0,86 à 0,99), p=0,025, NST 213/3 ans (111 après l’âge de 70 ans)
    • fracture de hanche : toute dose de vit D : HR 0,84 (IC à 95% de 0,70 à 1,01), p=0,07 ; dose vit D 10 microg (400 UI) : HR 0,74 (IC à 95% de 0,60 à 0,91), p=0,005 ; NST sur 3 ans de 82 si antécédent de fracture
  • Vitamine D (D2 ou D3) seule
  • Dose 10 ou 20 microg : pas d’efficacité significative
  • Pas d’interaction entre réponse thérapeutique et antécédent de fracture, âge, sexe et substitution hormonale.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que cette analyse des données de patients individuels montre une absence d’efficacité de doses de vitamine D seule (10 ou 20 microg) pour la prévention des fractures. Par contre, l’association de calcium et de vitamine D réduit les fractures de hanche et toute fracture, et probablement les fractures vertébrales, quel que soit l’âge, le sexe ou les antécédents de fracture.

 

Financement 

Instituts de recherche (NHLBI et autres financés par l’état des E.-U.) pour 1 des études incluses ; 1 auteur payé par des institutions officielles R.U. et Ecosse.

 

Conflits d’intérêt 

de nombreux auteurs déclarent des financements reçus à titres divers de plusieurs firmes.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse de données individuelles repose sur une très bonne méthodologie : recherche dans plusieurs bases de données, sur une période étendue, critères rigoureux de sélections d’étude, analyse en intention de traiter et en régression logistique, analyse de sensibilité en excluant certaines études, étude des interactions et suivant les doses de vitamine D, 20 microg d’ergocalciférol (D2) étant considérés comme équivalents de 10 microg de colécalciférol (D3). Les auteurs ne mentionnent cependant pas d’analyse de la qualité méthodologique des études ni une extraction des résultats faites par 2 chercheurs indépendamment l’un de l’autre. Ils n’ont pas pu obtenir les données individuelles pour 4 études, ce qui nuit à l’exhaustivité des données. Ils analysent l’effet de plusieurs caractéristiques sur les résultats mais sans prise en compte du degré de fragilité ou du contexte de vie (institutionnalisation) des patients, ce qui nous aurait apporté des renseignements précieux.

 

Mise en perspective des résultats

Nous avons déjà analysé dans Minerva de nombreuses publications concernant la prévention des fractures, publications souvent orientées vers la prévention des fractures ostéoporotiques. Une première synthèse méthodique évaluait tous les traitements dans cette dernière indication (1). Avec des limites méthodologiques importantes, elle ne montrait de bonnes preuves d’une plus-value bénéfices/risques que pour la prévention des fractures chez les femmes ostéoporotiques à haut risque de fractures, avec de l’alendronate ou du risédronate en plus d’un traitement par calcium et vitamine D (2).

D’autres synthèses de la littérature évaluaient plus spécifiquement l’efficacité de la vitamine D et/ou de calcium (3-7). Nos analyses de ces différentes études concluaient d’une part à l'efficacité d'une administration d'un supplément quotidien de vitamine D sous la forme de colécalciférol (D3, avec du calcium dans la majorité des études) chez des femmes âgées institutionnalisées ou non pour la prévention d'une première fracture, en général de hanche ou non vertébrale (8) d’une part, et d’autre part à l’intérêt de l’administration de calcium à une dose d’au moins 1 200 mg par jour à des personnes âgées de plus de 50 ans (forte majorité de femmes) en prévention de fractures ostéoporotiques, sans preuve de l’intérêt d’y associer de la vitamine D (800 UI par jour) (9). Une méta-analyse publiée plus récemment (10) montre l’intérêt d’une dose quotidienne de vitamine D > 400 UI pour la prévention des fractures non vertébrales sur base de l’analyse des résultats de 12 études, mais en classant l’étude WHI qui inclut la population la plus importante (36 282 femmes) comme une étude avec > 400 UI de vit D alors que le supplément reçu de 400 UI est pris en considération pour le groupe traité et non pour le groupe contrôle, ce que les auteurs de la présente analyse n’admettent pas. Face à ces résultats d’études quelque peu complexes parce que la question de recherche est différente, la présente méta-analyse sur données individuelles apporte un éclairage plus précis.

Les auteurs notent différents facteurs augmentant le risque de toute fracture (l’âge, un antécédent de fracture de hanche, vertébrale ou autre, la prise initiale d’un bisphosphonate) ou diminuant ce risque (le sexe mâle, une substitution hormonale) mais ces facteurs n’influencent pas la réponse thérapeutique à la vitamine D. Ils observent un bénéfice franc de l’administration de vitamine D à la dose de 10 microg (400 UI/j) avec du calcium (mais sans donner d’IC pour le NST calculé, ce qui est imprécis et ne permet pas de bien situer la pertinence clinique du résultat) mais pas pour la vitamine D administrée seule. Étonnamment, une dose quotidienne de 10 microg de vitamine D est efficace et non une dose de 20 microg, particulièrement pour la prévention de fracture de hanche chez les patients avec antécédent de fracture (NST de 82) ; le risque est cependant 3 fois plus élevé dans le groupe placebo des études avec 20 microg. L’administration de vitamine D en intramusculaire ne se montre pas significativement efficace. Une administration orale et quotidienne est plus favorable, mais il n’y a qu’une étude avec une administration non orale et non quotidienne. Les auteurs précisent que nous manquons de données d’évaluation de l’intérêt d’une administration intermittente ou de fortes doses de vitamine D sans calcium.

 

Pour la pratique

Quels que soient l’âge, le sexe, les antécédents de fracture ou non, le recours à une substitution hormonale ou non chez la femme, une administration de vitamine D orale quotidienne avec du calcium est efficace pour la prévention de toute fracture et de fracture de hanche chez des personnes âgées. Une dose de 400 UI/jour de vitamine D semble suffisante. Une autre méta-analyse montre l’intérêt d’une dose de 700 à 1 000 UI/j pour prévenir les chutes chez les personnes âgées (11) mais cette dose est trop mal évaluée pour la prévention des fractures. La dose de supplément calcique est de 1g/j dans les études analysées ici, une autre méta-analyse recommandant une dose d’au moins 1 200 mg/j (5).

 

Conclusion

Cette méta-analyse de bonne qualité, sur données individuelles, montre l’intérêt de l’administration de calcium et de vitamine D quotidiennement chez des personnes âgées, en prévention des fractures, particulièrement de la fracture de hanche.

 

 

Références

  1. MacLean C, Newberry S, Maglione M, et al. Systematic review: comparative effectiveness of treatments to prevent fractures in men and women with low bone density or osteoporosis. Ann Intern Med 2008;148:197-213.
  2. Michiels B. Un premier choix parmi les médicaments en prévention des fractures ostéoporotiques. MinervaF 2008;7(7):98-9.
  3. Sea B, Wells G, Cranney A, et al; Osteoporosis Methodology Group and The Osteoporosis Research Advisory Group. Meta-analysis of calcium supplementation for the prevention of postmenopausal osteoporosis. Endocr Rev 2002;23:552-9.
  4. Bischoff-Ferrari HA, Willett WC, Wong JB, et al. Fracture prevention with vitamin D supplementation: a meta-analysis of randomized controlled trials. JAMA 2005;293:2257-64.
  5. Tang BM, Eslick GD, Nowson C, et al. Use of calcium or calcium in combination with vitamin D supplementation to prevent fractures and bone loss in people aged 50 years and older: a meta-analysis. Lancet 2007;370:657-66.
  6. Boonen S, Lips P, Bouillon R, et al. Need for additional calcium to reduce the risk of hip fracture with vitamin D supplementation: evidence from a comparative meta-analysis of randomized controlled trials. J Clin Endocrinol Metab 2007;92:1415-23.
  7. Avenell A, Gillespie WJ, Gillespie LD, O’Connell D. Vitamin D and vitamin D analogues for preventing fractures associated with involutional and post-menopausal osteoporosis. Cochrane Database Syst Rev 2009, issue 2.
  8. Chevalier P. Le rôle de la vitamine D dans la prévention des fractures. MinervaF 2006;5(3):41-3.
  9. Chevalier P. Efficacité de suppléments calciques pour prévenir les fractures. MinervaF 2007;6(10):156-7.
  10. Bischoff-Ferrari HA, Willett WC, Wong JB, et al. Prevention of nonvertebral fractures with oral vitamin D and dose dependency: a meta-analysis of randomized controlled trials. Arch Intern Med 2009;23:551-61.
  11. Bischoff-Ferrari HA, Dawson-Hughes B, Staehelin HB, et al. Fall prevention with supplemental and active forms of vitamin D: a meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2009;339:b3692.
Prévention des fractures : vitamine D avec ou sans calcium ?



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