Revue d'Evidence-Based Medicine



Insuffisance cardiaque chronique : modifier le traitement en fonction du BNP ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 1 Page 2 - 3

Professions de santé


Analyse de
Porapakkham P, Porapakkham P, Zimmet H, et al. B-type Natriuretic Peptide-guided heart failure therapy: a meta-analysis. Arch Intern Med 2010;170:507-14.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’une adaptation du traitement médicamenteux en fonction du BNP ou des données cliniques en termes de mortalité et d’hospitalisation chez des patients présentant une insuffisance cardiaque chronique ?


Conclusion
Cette méta-analyse montre qu’un dosage du BNP ou du NT-proBNP en pratique ambulatoire pour des patients présentant une insuffisance cardiaque chronique permet une optimalisation de leur traitement médicamenteux avec diminution de la mortalité, principalement chez les patients âgés de moins de 75 ans. Elle n’inclut qu’un nombre limité d’études, de qualité méthodologique non précisée et cliniquement hétérogènes. Une place pour cette stratégie de traitement basée sur le dosage du BNP reste à préciser.


 

Contexte

L’intérêt d’une détermination des peptides natriurétiques (Brain Natriuretic Peptide (BNP) ou N-terminal pro-BNP (NT-proBNP)) dans le diagnostic de l’insuffisance cardiaque chronique (ICC) est montré (1,2). Différentes études ont aussi montré que les traitements médicamenteux de l’ICC diminuent les concentrations plasmatiques de BNP (3) d’où l’idée d’utiliser le BNP comme paramètre d’efficacité de ce traitement médicamenteux. Les études évaluant l’intérêt d’un dosage du BNP avaient une puissance insuffisante pour évaluer l’impact d’une adaptation du traitement en fonction du BNP sur la mortalité et les événements cardiovasculaires, d’où l’intérêt d’une méta-analyse.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • MEDLINE, EMBASE, Cochrane Controlled Clinical trials Register Database, the Clinical Trials.gov Website (jusqu’en décembre 2008)
  • liste de références des études isolées, résumés de congrès scientifiques.

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCTs pour des patients en ICC en ambulatoire
  • critères d’exclusion : études avec ≤ 20 patients, avec critère de jugement non présent dans les autres études
  • 1 020 articles potentiels ; inclusion de 8 RCTs (avec un total de 1 726 patients – 41 à 499 patients par étude).

Population étudiée

  • patients âgés de 18 à 85 ans, principalement masculins, avec une insuffisance cardiaque de classe NYHA II à IV et une fraction d’éjection VG < 50%.

Mesure des résultats

  • mortalité globale, hospitalisation de toute cause, survie et nombre de jours sans hospitalisation, mortalité suivant l’âge (plus ou moins de 75 ans), pourcentage de patients mis sous médicaments pour ICC et atteignant les doses cibles d’IEC et de β-bloquants
  • sommation en modèle d’effets fixes.

Résultats

  • suivi moyen de 17 mois (3 à 24 mois)
  • mortalité globale (N=8) : significativement moindre avec un suivi par BNP versus données cliniques : RR 0,76 (IC à 95% de 0,63 à 0,91; p = 0,003) ; pas d’ hétérogénéité significative, peu d’argument pour un biais de publication ; une analyse en sous-groupes (N=2) confirme l’intérêt chez des sujets de moins de 75 ans (RR 0,52 ; IC à 95% de 0,33 à 0,82 ; p = 0,005) mais non après au moins 75 ans
  • hospitalisation de toute cause (N=3) et survie sans hospitalisation (N=2) : pas de différence significative
  • adaptation du traitement (N=2) : davantage pour les diurétiques dont l’aldactone, les IEC et sartans, les β-bloquants avec la stratégie BNP ; pour les doses cibles d’IEC et de β-bloquants atteintes, double de patients dans le groupe BNP.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement guidé par le dosage des peptides natriurétiques versus soins courants réduit la mortalité globale chez des patients en insuffisance cardiaque chronique, particulièrement chez ceux âgés de moins de 75 ans. Un des éléments expliquant cette amélioration de la survie peut être le recours accru à des médicaments ayant prouvé leur efficacité pour diminuer la mortalité en cas d’ICC. Cependant, cette approche ne semble pas réduire les hospitalisations de toute cause ni augmenter la survie sans hospitalisation.

Financement: aucun.

Conflits d’intérêt: aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Le processus de sélection de cette synthèse méthodique est correctement décrit, en respect des directives Quorum (quality of reporting of meta-analyses). Les auteurs incluent cependant 4 RCTs dont les données ne sont connues que via des résumés ou communications et excluent 2 études pertinentes pour des raisons non évidentes. Les données individuelles font défaut. En se basant sur un graphique en entonnoir (funnel plot) les auteurs estiment que le risque de biais de publication est faible, mais le nombre limité d’études ne permet en fait pas de l’exclure. La qualité méthodologique des études n’est pas évaluée. L’hétérogénéité statistique est explorée avec un test I². Une étude de sensibilité est réalisée pour évaluer l’impact des différentes études sur les résultats pour les critères mortalité globale et hospitalisation de toute cause.

Mise en perspective des résultats

Le sujet de cette étude est très pertinent et actuel, dans le cadre des questions actuelles concernant l’intérêt des marqueurs biologiques pour les affections cardiovasculaires ou autres (4). Les défenseurs de dosages répétés des peptides natriurétiques postulent que ceux-ci offrent une information plus complète que les paramètres cliniques traditionnels et stimulent ou aident l’optimalisation du traitement médicamenteux des patients présentant une insuffisance cardiaque chronique (5). Cette méta-analyse-ci montre une diminution de la mortalité globale de 25% en cas de stratégie basée sur un dosage du BNP plutôt que sur les données cliniques, de 50% même chez des patients âgés de moins de 75 ans. Ce dernier résultat est cependant basé sur 2 études seulement.

Les résultats montrent également que le traitement médicamenteux de l’ICC est fréquemment titré, avec des doses d’IEC et de β-bloquants cibles atteintes deux fois plus fréquemment sous stratégie BNP. Un résultat élevé de BNP a probablement un effet sensibilisant ou stimulant pour cette titration de médicaments (IEC et β-bloquants) avec effet favorable sur le pronostic de l’insuffisance cardiaque, mais ceci reste une hypothèse non directement vérifiée dans cette méta-analyse.

Pourquoi aucune différence n’est-elle observée entre les deux stratégies dans le sous-groupe des patients âgés d’au moins 75 ans ? Il est possible que le tableau clinique soit plus évident chez des personnes âgées, avec un intérêt moindre donc pour la mesure du BNP. Une autre explication possible est la fréquence plus grande d’une fraction d’éjection préservée chez des personnes plus âgées en insuffisance cardiaque, avec diminution de l’efficacité des médicaments et moindre importance donc d’une titration de ceux-ci.

Une efficacité supérieure de la stratégie basée sur le BNP n’est pas montrée pour le critère hospitalisation probablement en raison de la comorbidité aussi importante dans les deux groupes (6).

L’hétérogénéité clinique des études incluses dans cette méta-analyse est également à souligner. Trois études ont recours au dosage du BNP, 5 à celui du NT-proBNP. Certaines études ont des valeurs seuils pour ces peptides natriurétiques, d’autres ont recours à une association de paramètres cliniques avec des valeurs seuils pour ces peptides natriurétiques. Une hétérogénéité importante est également présente dans les protocoles d’adaptation des doses médicamenteuses en fonction des dosages de peptides. Quel protocole faut-il adopter pour une stratégie guidée par le dosage du BNP ? Cette méta-analyse n’apporte pas la réponse. Faut-il viser une valeur uniforme de BNP, identique pour tous les patients ? Quelle est cette valeur ? Les valeurs de BNP varient fort d’un patient à l’autre. Faut-il individualiser la valeur cible de BNP, et suivant quelle méthode ? Quelles sont les valeurs discriminantes pour parler d’une diminution ou d’une augmentation du BNP (valeur absolue versus valeur relative) ? Que faire en cas de non concordance entre l’information apportée par les valeurs de BNP et celles issues de l’anamnèse et de l’examen clinique ? Lesquelles faut-il privilégier ? Faut-il préférer le BNP ou le NT-proBNP ?

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse montre qu’un dosage du BNP ou du NT-proBNP en pratique ambulatoire pour des patients présentant une insuffisance cardiaque chronique permet une optimalisation de leur traitement médicamenteux avec diminution de la mortalité, principalement chez les patients âgés de moins de 75 ans. Elle n’inclut qu’un nombre limité d’études, de qualité méthodologique non précisée et cliniquement hétérogènes. Une place pour cette stratégie de traitement basée sur le dosage du BNP reste à préciser.

 

Pour la pratique

Le récent NHG-standaard sur l’insuffisance cardiaque (2) recommande de cibler, autant que possible, la dose maximale des médicaments améliorant le pronostic de l’insuffisance cardiaque (IEC et β-bloquants). La tolérance clinique détermine la titration ultérieure. Les diurétiques épargnant du potassium (aldostérone) ne seront ajoutés qu’en cas de persistance de plaintes importantes malgré des doses adéquates d’IEC et de β-bloquants. Dans ce cadre, la plus-value d’une stratégie basée sur le dosage du BNP chez des patients qui peuvent atteindre des doses cibles d’IEC et de β-bloquants (et d’aldactone) n’est pas nette. Le dosage du BNP n’est actuellement pas remboursé en Belgique.

 

Références

  1. Mant J, Doust J, Roalfe A, et al. Systematic review and individual patient data meta-analysis of diagnosis of heart failure, with modelling of implications of different diagnostic strategies in primary care. Health Technol  Assess 2009;13:1-207.
  2. Hoes AW, Voors AA, Rutten FH, et al. NHG-Standaard Hartfalen (Tweede herziening). Huisarts Wet 2010;53:368-89.
  3. van Veldhuisen DJ, Genth-Zotz S, Brouwer J, et al. High- versus low-dose ACE inhibition in chronic heart failure: a double-blind, placebo-controlled study of imidapril. J Am Coll Cardiol 1998;32:1811-8.
  4. Braunwald E. Biomarkers in heart failure. N Engl J Med 2008;358:2148-59.
  5. Hunt SA, Abraham WT, Chin MH, et al. 2009 focused update incorporated into the ACC/AHA 2005 Guidelines for the Diagnosis and Management of Heart Failure in Adults: a report of the American College of Cardiology Foundation/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines: developed in collaboration with the International Society for Heart and Lung Transplantation. Circulation 2009;119:e391-479.
  6. Richards AM. B-type natriuretic peptide-guided therapy for chronic heart failure reduces all-cause mortality compared with usual care but does not affect all-cause hospitalisation or survival free of hospitalisation. Evid Based Med 2010;15:137-8. Comment on: Porapakkham P, Porapakkham P, Zimmet H, et al. B-type Natriuretic Peptide-guided heart failure therapy: a meta-analysis. Arch Intern Med 2010;170:507-14.
Insuffisance cardiaque chronique : modifier le traitement en fonction du BNP ?

Auteurs

De Keulenaer G.
Afdeling Cardiologie, ZNA; Onderzoeksgroep Fysiofarmacologie, Universiteit Antwerpen
COI :

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