Revue d'Evidence-Based Medicine
Etanercept en association avec le méthotrexate pour l'arthrite rhumatoïde
Minerva 2005 Volume 4 Numéro 2 Page 19 - 21
Professions de santé
Résumé
Contexte
Le tumor necrosis factor (TNF) est une cytokine-clé dans la pathogénie de l’arthrite rhumatoïde et l’efficacité thérapeutique des médicaments anti-TNF, tels l’étanercept, a déjà été montrée. L’association d’étanercept au méthotrexate semble plus efficace qu’un traitement au seul méthotrexate chez des patients présentant une arthrite rhumatoïde active. Une comparaison entre cette association et chacun des produits administrés en monothérapie n’avait cependant encore jamais été faite.
Population étudiée
Cette étude inclut 686 patients âgés de plus de 18 ans présentant une arthrite rhumatoïde active, définie par la présence d’au moins dix articulations enflées, d’au moins douze articulations douloureuses et d’au moins un des critères parmi les suivants: vitesse de sédimentation ≥28 mm après une heure,CRP ≥20 mg/l, raideur matinale ≥45 minutes. Une utilisation précédente d’un DMARD, autre que le méthotrexate, avec une réponse insuffisante, était un critère d’inclusion complémentaire. Un traitement précédent au méthotrexate était admis, pour autant qu’il ait été arrêté au moins six mois avant le début de cette étude et qu’il n’ait entraîné aucune toxicité ou absence de réponse. Les critères d’exclusion sont: un traitement précédent avec un médicament anti-TNF, un traitement immunosuppresseur dans les six mois précédents, un traitement par DMARD ou des injections de corticostéroïdes dans les quatre semaines précédentes ou une comorbidité significative. L’âge moyen des participants est de 53 ans environ et plus de 70% sont des femmes.La durée moyenne de la maladie est d’environ 6,5 années et le score moyen de maladie est aux alentours de 5,5 (ET 1,2) sur l’échelle DAS.
Protocole d’étude
Cette étude randomisée, en double aveugle, comporte trois bras: un premier reçoit 25 mg d’étanercept en sous-cutané deux fois par semaine et un placebo oral hebdomadairement (n=223), le deuxième, du méthotrexate oral hebdomadairement (7,5 mg augmenté progressivement sur 8 semaines à 20 mg) avec des injections de placebo deux fois par semaine (n=228) et le troisième qui reçoit une association d’étanercept et de méthotrexate (n=231) dans les mêmes conditions.
Mesure des résultats
Le critère de jugement clinique primaire est courbe ROC indique la précision du test : égale à 1 si le test est parfait, à 0,5 si le test est sans valeur. Pour des critères binaires, la statistique C correspond à l'aire sous la courbe d'une courbe ROC.">l’aire sous la courbe (AUC) de la réponse numérique ACR20% (American College of Rheumatology de 20%)" data-content="Une réponse ACR 20 (American College of Rheumatology) signifie une réduction du nombre d’articulations gonflées et du nombre d’articulations douloureuses de 20% par rapport aux chiffres initiaux et qu’une amélioration d’au moins 20% est observée pour trois des cinq critères suivants: vitesse de sédimentation ou CRP, score de maladie évalué par le chercheur, douleur estimée par le patient et score HAQ (Health Assessment Questionnaire) qui est un questionnaire sur les capacités fonctionnelles. La réponse ACR numérale (ACR-N) est la somme des pourcentages les plus bas parmi les critères ACR. Cette valeur varie entre 0 et 100%.">ACR (ACR-N) après 24 semaines. Les critères cliniques secondaires sont: les réponses ACR20,ACR20% (American College of Rheumatology de 20%)" data-content="Une réponse ACR 20 (American College of Rheumatology) signifie une réduction du nombre d’articulations gonflées et du nombre d’articulations douloureuses de 20% par rapport aux chiffres initiaux et qu’une amélioration d’au moins 20% est observée pour trois des cinq critères suivants: vitesse de sédimentation ou CRP, score de maladie évalué par le chercheur, douleur estimée par le patient et score HAQ (Health Assessment Questionnaire) qui est un questionnaire sur les capacités fonctionnelles. La réponse ACR numérale (ACR-N) est la somme des pourcentages les plus bas parmi les critères ACR. Cette valeur varie entre 0 et 100%."> ACR50 et ACR70 ainsi que les modifications dans le DAS-score. Le critère radiologique primaire est le changement après 52 semaines, par rapport à la valeur de départ, du Sharp-score modifié. Les analyses ont été faites en intention de traiter.
Résultats
L’AUC de l’ACR-N à 24 semaines est supérieure pour le groupe traitement associé (18,3%-an; IC à 95% de 17,1 à 19,6) et pour le groupe étanercept (14,7%-an; IC à 95% de 13,5 à 16) par rapport au groupe méthotrexate (12,2%- an; IC à 95% de 11 à 13,4). La différence moyenne entre traitement associé et méthotrexate est de 6,1 (IC à 95% de 4,5 à 7,8; p<0,0001) et entre étanercept et méthotrexate de 2,5 (IC à 95% de 0,8 à 4,2; p=0,0034). L’AUC du ACRN est également plus grand pour le groupe traitement associé par rapport au groupe étanercept seul (p<0,0001). Après 52 semaines, le pourcentage de répondeurs ACR20, ACR50 et ACR70 est significativement plus élevé dans le bras traitement combiné que dans ceux des monothérapies. Le DAS-score moyen après 52 semaines est significativement plus bas dans le groupe traitement combiné que dans les deux autres. Un pourcentage de patients significativement plus élevé obtient une rémission à 52 semaines (DAS-score <1,6). Les capacités fonctionnelles des patients semblent également évoluer plus favorablement grâce au traitement associé par rapport aux monothérapies.
Le traitement combiné se montre plus efficace que les monothérapies dans le ralentissement de la destruction articulaire objectivée radiologiquement: différence moyenne pour le score Sharp total de -0,54 (IC à 95% de -1,0 à -0,07) pour le traitement associé, versus 2,8 (IC à 95% de 1,08 à 4,51) pour le méthotrexate seul (p<0,0001) et de 0,52 (IC à 95% de -0,1 à 1,15) pour l’étanercept seul (p=0,0006). Le nombre de patients présentant une infection ou d’autres effets indésirables est semblable dans les trois groupes.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que l’association d’étanercept et de méthotrexate réduit l’activité de la maladie, améliore les capacités fonctionnelles du patient et freine l’évolution radiologique et tout ceci mieux que ne le permettent l’étanercept et le méthotrexate en monothérapies.
Financement
Wyeth Research.
Conflits d’intérêt
Tous les auteurs ont des liens avec la firme Wyeth. Ce sponsor est intervenu dans le protocole d’étude, dans la collecte des résultats, leur analyse et interprétation, dans la rédaction et la publication de l’article.
Discussion
Méthodologie: évaluation clinique
Cette étude est de bonne qualité méthodologique. Les doses de DMARDs (de méthotrexate par exemple) sont adéquates; la dose moyenne de méthotrexate est de 17,2 mg par semaine dans l’étude. Les critères d’inclusion sélectionnent des patients ayant une forte activité de la maladie et donc un pronostic plus fâcheux. Il faut souligner que les patients du groupe méthotrexate présentaient un score Sharp moyen plus élevé au départ. Etonnant également que seuls 42% des patients présentant une durée moyenne d’évolution de la maladie de plus de six ans, étaient traités par méthotrexate qui est quand même le traitement de référence.
L’évaluation clinique repose sur une analyse de l’aire sous la courbe qui montre une différence significative, sur les 24 semaines, en faveur du traitement associé. Pour les critères de réponse secondaires (ACR20,ACR50,ACR70, pourcentage de patients en rémission, DAS- et HAQscore) qui ne tiennent pas compte de l’évolution sur les 52 semaines par contre, aucune différence statistiquement significative n’est observée entre le méthotrexate et l’étanercept, mais bien entre les deux monothérapies et le traitement combiné. Au vu de l’action plus rapide de l’étanercept, il est logique qu’une évaluation après 24 semaines soit à l’avantage du produit agissant le plus rapidement.
Plusieurs paramètres secondaires sont analysés en utilisant des tests multiples, sans adaptation par les auteurs de la valeur p.Nous devons donc les considérer comme uniquement indicatives. Dans l’article, aucune mention n’est faite de la proportion de données manquantes. L’analyse de celle-ci s’est faite lors de l’évaluation du critère de jugement clinique suivant le principe du LOCF. Nous nous interrogeons sur l’adéquation du choix de cette méthode pour une maladie et une efficacité thérapeutique non stables dans le temps 1. En ce qui concerne les effets indésirables, il est étonnant de constater que le traitement combiné provoque moins (par exemple) de nausées que le méthotrexate en monothérapie.
Evaluation radiologique
L’évaluation radiologique est faite au moyen du score Sharp variant de 0 à 398. Quoique statistiquement significative, quelle est la pertinence clinique d’une différence moyenne de +2,8, +0,52 ou -0,54 dans ce score, respectivement pour les groupes méthotrexate, étanercept et traitement combiné? Il faut noter que la variable dans une population : moyenne, médiane et mode. La moyenne est calculée en divisant la somme de toutes les valeurs observées par le nombre d’observations. La médiane est la valeur centrale lorsque toutes les observations sont classées par ordre croissant. La médiane divise les observations en deux parties comprenant chacune 50% des observations. Le mode se réfère à la valeur la plus fréquente. Lors d’une répartition parfaitement symétrique des observations, les médiane, moyenne et mode sont identiques.">médiane pour le score Sharp est respectivement de 0, 0 et -0,5 pour ces mêmes groupes. Ceci signifie que la courbe n’est pas symétriquement distribuée et qu’il existe probablement un sous-groupe de patients qui bénéficiera théoriquement d’un traitement associé.
Place de cette étude
Une arthrite rhumatoïde se caractérise par une inflammation chronique des articulations, parfois accompagnée d’une atteinte systémique.L’espérance de vie de patients atteints d’arthrite rhumatoïde est de 3 à 10 ans moindre que celle de patients non atteints par cette pathologie. Après 10 ans de suivi, 50% des patients présentent une diminution de leurs capacités fonctionnelles. Les dégâts articulaires se produisent précocement dans cette maladie: 30% des patients présentent des érosions lors du diagnostic et celles-ci montent à 60% après deux ans de suivi 2-4. Les caractéristiques d’une stratégie thérapeutique idéale sont:
Précocité: selon la littérature et les guidelines actuels, un traitement précoce par DMARD est indiqué chez les patients atteints d’arthrite rhumatoïde. Un traitement précoce permet d’obtenir une meilleure réponse thérapeutique, d’améliorer les capacités fonctionnelles des patients, de freiner la progression des lésions radiologiques et de l’inflammation 5-7.
Intensité: le méthotrexate est la pierre d’angle du traitement, ayant une efficacité démontrée, des effets indésirables bien connus sur de longs suivis et un coût peu élevé. Actuellement, aux Etats-Unis, un tiers des patients bénéficie d’un traitement associé. Pour des patients présentant une arthrite rhumatoïde «initiale», plusieurs études cliniques ont montré l’utilité d’un traitement combiné. Ces études ont été faites avant l’introduction des traitements anti-TNF 6,8,10.
Place des traitements anti-TNF: il existe actuellement trois médicaments anti-TNF sur le marché belge: l’adalimumab, l’étanercept et l’infliximab dans l’indication arthrite rhumatoïde résistante au traitement (résistance définie par une réponse insuffisante au méthotrexate, présence d’érosions et une synovite significative). Pour des patients présentant cette résistance, l’efficacité des anti-TNF est bien établie 9,10,13.
Les guides de pratique de l’American College of Rheumatology recommandent les traitements anti-TNF en cas d’échec des DMARDs conventionnels. Chez les patients présentant une arthrite rhumatoïde initiale, l’efficacité de l’étanercept a été évaluée versus méthotrexate: en ce qui concerne le critère de jugement radiologique primaire, aucune différence n’est observée après un an entre les deux groupes (pour le score Sharp total et le score de dégradation articulaire). L’étanercept possède une efficacité plus rapide par rapport au méthotrexate en ce qui concerne le critère de jugement clinique primaire (AUC de l’ACR après 24 semaines). Le nombre de répondeurs ACR20 après douze mois est cependant semblable dans les deux groupes 11,12.
Attention à la comorbidité 10: les patients atteints d’arthrite rhumatoïde présentent une morbi-mortalité cardiovasculaire accrue.Le médecin traitant peut remplir son rôle crucial dans la prise en charge adéquate de l’ensemble des risques cardiovasculaires et dans la détection rapide d’infections.
Conclusion
Cette étude confirme la plus-value d’un traitement par association d’étanercept et de méthotrexate versus méthotrexate ou étanercept en monothérapies chez les patients présentant une arthrite rhumatoïde ne répondant pas suffisamment à un DMARD (autre que le méthotrexate). Un traitement précoce et intensif est recommandé. Le méthotrexate reste le traitement de base, les preuves étant insuffisantes pour un traitement initial par une association de DMARDs conventionnels. Une place pour les traitements anti-TNF doit momentanément être réservée, au vu du coût de traitement élevé, des modalités actuelles de remboursement et des effets indésirables non connus à long terme, aux patients résistants au traitement.
Références
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- Blumenauer B, Judd M, Cranney A, et al. Etanercept for the treatment of rheumatoid arthritis. (Cochrane Review). In: The Cochrane Library, Issue 3, 2004.
Noms de marque
Adalimumab: Humira®
Etanercept: Enbrel®
Infliximab: Remicade®
Methotrexaat: Ledertrexate®
Auteurs
Ravelingien I.
Reumatologie, Onze-Lieve-Vrouwziekenhuis Aalst
COI :
Van Wilder P.
apotheker
COI :
Verschueren P.
Dienst Reumatologie, UZ Leuven
COI :
Westhovens R.
reumatoloog, emeritus gewoon hoogleraar KULeuven
COI :
Code
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