Analyse


Risque fracturaire avant et après une chirurgie bariatrique : étude cas-témoins sur un échantillon


15 06 2017

Professions de santé

Analyse de
Rousseau C, Jean S, Gamache P, et al. Change in fracture risk and fracture pattern after bariatric surgery: nested case-control study. BMJ 2016;354:i3794. DOI: 10.1136/bmj.i3794


Conclusion
Cette large étude cas-témoin sur un échantillon, aux limites méthodologiques propres à ce type d’études ne facilitant pas l’interprétation des résultats, montre que les patients qui ont recours à la chirurgie bariatrique ont un risque fracturaire supérieur aux patients non obèses déjà avant la chirurgie, et, en termes d’incidence, ce risque reste significativement augmenté pour les interventions par dérivation bilio-pancréatique (qui provoquent une malabsorption) tandis que les résultats sont non concluants pour les autres méthodes de chirurgie bariatrique. La chirurgie semble cependant modifier le pattern de fractures, les fractures au niveau distal des membres inférieurs diminuent, les fractures de type ostéoporotiques (hanche, bassin, fémur, membre supérieur) augmentent.



 

Nous avons déjà analysé dans Minerva l’efficacité et les risques liés à la chirurgie bariatrique dans le traitement de l’obésité morbide (BMI > 40 ou > 35 si comorbidités) (1-6). Nous avions conclu que ce type de traitement est efficace tant pour la diminution du poids que pour la rémission de comorbidités. La mortalité postopératoire légèrement augmentée, le nombre de complications postopératoires (y compris psychiques) et le nombre de réinterventions invitaient cependant à bien en informer les patients, et à assurer une préparation et un suivi post opératoire adéquats. Cependant, parmi les possibles complications, très peu d’études s’étaient intéressées jusqu’à présent au risque fracturaire présent chez les patients qui ont recours à la chirurgie bariatrique.

 

Une étude cas-témoins sur un échantillon rétrospective publiée en 2016 (7) a analysé l’incidence des fractures osseuses et leurs sites chez 12676 patients (dont 72,3% de femmes ; âge moyen de 42,6 ans (ET 11)) avant et après une chirurgie bariatrique, en appariant ces patients avec des patients d’âge et de sexe équivalents, qui n’ont pas subi cette chirurgie, et qui étaient soit obèses (ratio 1 cas pour 3 témoins, n = 38028), soit non obèses (ratio 1 cas pour 10 témoins, n = 126760). Les patients ont tous été recrutés dans la province du Québec, entre 2001 et 2014. Les données ont été récoltées en analysant les dossiers administratifs (assurances santé), de facturation et de sortie d’hôpital. Il n’a pas été possible de connaître le BMI des patients inclus. Quatre types de chirurgie bariatrique ont été distinguées : l’anneau ajustable, le by-pass gastrique, la gastrectomie en sleeve et la dérivation bilio-pancréatique.

Avant la chirurgie, par rapport aux patients non obèses, les patients qui ont eu recours à la chirurgie avaient un risque fracturaire (tous sites de fracture inclus) supérieur : RR ajusté de 1,30 (avec IC à 95% de 1,21 à 1,39) ; de même, pour les patients obèses sans chirurgie, le risque fracturaire était légèrement supérieur : RR ajusté de 1,18 (avec IC à 95% de 1,13 à 1,23).

Après un suivi de 4,4 ans, par rapport aux patients non obèses, les patients ayant subi une chirurgie bariatrique présentaient un risque fracturaire majoré : RR ajusté de 1,44 (avec IC à 95% de 1,29 à 1,59). Le risque fracturaire était également significativement plus élevé par rapport au groupe de patients obèses sans chirurgie bariatrique : RR de 1,38 (avec IC à 95% de 1,23 à 1,55). Si le risque fracturaire restait relativement stable dans les populations non obèses et obèses sans chirurgie bariatrique au cours du temps, celui-ci présentait 2 pics de risque majoré chez les patients avec chirurgie bariatrique : de la 1ère année à la 3ème année post chirurgie pour le 1er pic de risque, puis de la 8ème à la 11ème année pour le 2ème pic de risque.

En considérant tous les sites de fracture chez les patients avec chirurgie, la proportion de fractures au niveau distal des membres inférieurs (genou, pied, cheville, tibia/fibula) diminue fortement après la chirurgie, passant de 64,2% à 37,5%, tandis que la proportion de fractures au niveau du bassin, de la hanche et du fémur augmente (passant de 4,5% à 12,2%), de même que les fractures au niveau des membres supérieurs qui passent de 28,3% à 46,1%. De telles variations n’ont logiquement pas été observées dans les groupes témoins sauf au niveau des bassin, hanche, fémur pour lesquels le risque fracturaire passe de 4,4% à 7,3% chez non obèses et de 4,2% à 7,2% chez les obèses, faisant penser que les patients obèses ayant subi une chirurgie bariatrique, bien que restant à risque fracturaire augmenté, retrouvent un risque de pattern de fractures lié à l’ostéoporose. À remarquer que cette augmentation de risque fracturaire n’a été clairement significative que pour les patients ayant bénéficié d’une dérivation bilio-pancréatique, tandis que pour les patients ayant subi un by-pass gastrique ou une gastrectomie en sleeve, les résultats étaient non concluants.

Cette étude rétrospective est la première à inclure un nombre aussi important de patients pour évaluer le risque fracturaire des patients ayant subi une chirurgie bariatrique. Cependant, l’absence d’informations relatives aux BMI des patients, comorbidités, suivis médicamenteux, caractéristiques des patients selon leur répartition par procédure chirurgicale, consommation de tabac ou alcool, du degré d’activité physique en limite l’interprétation. On peut au mieux estimer que les patients qui ont eu recours à la chirurgie avaient un BMI supérieur aux patients inclus dans le groupe « obèses ».

Pour la pratique, selon les auteurs, la nécessité d’une information correcte des patients et d’un suivi post opératoire par rapport aux possibles déficits nutritionnels en calcium et vitamine D, surtout dans le cas des interventions par dérivation bilio-pancréatique, est confirmée par cette étude. Cela renforce les messages des guides de pratique clinique proposés par NICE (8) (« suivi diététique spécialisé »), SIGN (9) (évaluer le besoin en vitamine D / calcium chez tous les patients opérés ; niveau vitamine D déjà bas avant la chirurgie), HAS (10) (suppléments systématiques en vitamine D / calcium chez tous les patients opérés par technique « malabsorptive »). On y ajoutera les recommandations de Farmaka (11) : suppléments systématiques de calcium et vitamine D associés à un complément multivitaminé si chirurgie avec risque de malabsorption, ainsi qu’une surveillance à vie pour tous les types de chirurgie. Les auteurs rappellent également d’assurer une activité physique adéquate. Ces messages concernent autant les patients que les professionnels de la santé.

 

Conclusion

Cette large étude cas-témoin sur un échantillon, aux limites méthodologiques propres à ce type d’études ne facilitant pas l’interprétation des résultats, montre que les patients qui ont recours à la chirurgie bariatrique ont un risque fracturaire supérieur aux patients non obèses déjà avant la chirurgie, et, en termes d’incidence, ce risque reste significativement augmenté pour les interventions par dérivation bilio-pancréatique (qui provoquent une malabsorption) tandis que les résultats sont non concluants pour les autres méthodes de chirurgie bariatrique. La chirurgie semble cependant modifier le pattern de fractures, les fractures au niveau distal des membres inférieurs diminuent, les fractures de type ostéoporotiques (hanche, bassin, fémur, membre supérieur) augmentent.

 

 

Références 

  1. Michiels B. Efficacité et risques de la chirurgie bariatrique. Minerva bref 15/07/2014.
  2. Chang SH, Stoll CR, Song J, et al. The effectiveness and risks of bariatric surgery: an updated systematic review and meta-analysis, 2003-2012. JAMA Surg 2014;149:275-87. DOI: 10.1001/jamasurg.2013.3654
  3. Michiels B. Chirurgie bariatrique et accidents cardiovasculaires à long terme. Minerva bref 28/11/2012.
  4. Sjöström L, Peltonen M, Jacobson P, et al. Bariatric surgery and long-term cardiovascular events. JAMA 2012;307:56-65. DOI: 10.1001/jama.2011.1914
  5. Schauer PR, Kashyap SR, Wolski K, et al. Bariatric surgery versus intensive medical therapy in obese patients with diabetes. N Engl J Med 2012;366:1567-76. DOI: 10.1056/NEJMoa1200225
  6. Mingrone G, Panunzi S, De Gaetano A, et al. Bariatric surgery versus conventional medical therapy for type 2 diabetes. N Engl J Med 2012;366:1577-85. DOI: 10.1056/NEJMoa1200111
  7. Rousseau C, Jean S, Gamache P, et al. Change in fracture risk and fracture pattern after bariatric surgery: nested case-control study. BMJ 2016;354:i3794. DOI: 10.1136/bmj.i3794
  8. National Institute for Health and Care Excellence. Obesity: identification, assessment and management. NICE Clinical guideline [CG 189], 2014. 
  9. Scottish Intercollegiate Guidelines Network. Management of obesity. A national clinical guideline. N° 115. NHS, 2010.
  10. Haute Autorité de Santé. Obésité : prise en charge chirurgicale chez l’adulte. Recommandations de bonne pratique. HAS, 2009.
  11. De Ruyck I, Devillers C, Lacroix S, et al. Chirurgie bariatrique – Suivi. Farmaka, 2016.

 

 


Auteurs

Feron J-M.
Centre Académique de Médecine Générale, UCL
COI :

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