Analyse
Utilisation prolongée d’une faible dose de corticostéroïdes en cas de polyarthrite rhumatoïde au stade précoce
15 05 2018
Professions de santé
Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien
En 2006, Minerva a commenté une étude randomisée contrôlée (RCT) menée en ouvert qui montrait qu’une faible dose de prednisolone (7,5 mg/jour) en complément au traitement de fond par des inducteurs de rémission (DMARD), comme le méthotrexate (MTX), entraînait un ralentissement de la progression radiologique et un plus grand nombre de rémissions, avec peu d’effets indésirables, chez les patients présentant une polyarthrite rhumatoïde (PR) au stade précoce (1,2). En 2017, nous avons aussi commenté une autre RCT qui montrait que, chez les patients présentant une polyarthrite rhumatoïde au stade précoce, un traitement intensif précoce pour atteindre les objectifs thérapeutiques (treat to target) avec un traitement, éventuellement combiné, dans lequel les corticostéroïdes avaient leur place entraînait une diminution de l’activité de la maladie et prévenait la perte fonctionnelle après 10 ans (3,4). L’étude CareRA (5) a montré que l’association de MTX et de prednisone en schéma de diminution progressive de la posologie entraînait, après un an, une rémission sur le plan biochimique (CRP) chez 62 à 67% des participants, une amélioration cliniquement pertinente du score HAQ chez 56 à 72% des participants et une faible progression radiologique chez tous les participants, et ce tant chez les patients chez qui le pronostic selon les marqueurs cliniques, biochimiques et radiographiques était favorable que chez ceux chez qui il était défavorable. Ce traitement était en outre associé à peu d’effets indésirables, et, chez 76% des patients, la prednisone a pu être arrêtée dans l’année. S’appuyant notamment sur cette étude, la dernière recommandation européenne (6) préconise donc, dans la phase initiale de la PR, d’instaurer un traitement par MTX associé à des corticostéroïdes pour un traitement de courte durée. Dans une étude qualitative, les médecins sont réticents à prescrire un traitement associant des corticostéroïdes chez les patients présentant une polyarthrite à un stade précoce, en raison de contre-indications chez certains patients (âge, comorbidité), de la résistance des patients et de la crainte des effets indésirables (7).
Une étude de cohorte (8), publiée en 2016, a inclus 602 patients âgés en moyenne de 48 ans (ET 12 ans), dont 79% de femmes, dans 14 centres, qui présentaient une polyarthrite rhumatoïde non encore traitée (durée de la maladie inférieure à 6 mois) entre 2002 et 2005 et les a suivis de manière prospective pendant une durée médiane de 7 ans (intervalle interquartile 0,038-7,65). Les patients ont été répartis entre un groupe sans (n = 216) et un groupe avec (n = 386) au moins une période de traitement par corticostéroïdes. 64,1% des patients ont reçu une faible dose (en moyenne 3,1 mg/jour (ET 2,9 mg/jour) durant toute la période de suivi), 68% ont commencé dans les 6 mois suivant le diagnostic, et la durée moyenne du traitement était de 1057 jours (ET 876 jours). Parmi les 65 événements prédéfinis (7 décès, 14 maladies cardiovasculaires, 19 infections graves et 25 fractures), 44 se sont produits chez les patient qui avaient pris des corticostéroïdes, et 21 chez ceux qui n’en avaient pas pris (p = 0,520). Chez les patients qui recevaient un traitement avec des corticostéroïdes, l’activité de la maladie était plus élevée, de même que l’utilisation d’AINS et de traitements de fond de synthèse (DMARD) et biologiques. Dans ce groupe, le nombre de patients qui avaient une hypertension artérielle ou de l’hypercholestérolémie ou un diabète ou un IMC > 30 kg/m² ou qui fumaient était plus élevé, et ce de manière statistiquement significative. Après correction pour tenir compte des facteurs de confusion qui pouvaient influencer le choix d’un traitement avec corticostéroïdes (score de propension) et le critère de jugement composite (activité de la maladie, risque cardiovasculaire, diabète, hypertension artérielle, âge, sexe), on n’a observé aucune différence quant au critère de jugement composite (décès, événement cardiovasculaire, infection grave et fracture) entre les utilisateurs de corticostéroïdes et ceux qui n’en utilisaient pas (p = 0,520). Il n’y avait pas non plus d’influence de la durée ni de la dose cumulative du traitement par corticostéroïdes sur le critère de jugement principal.
Conclusion
Cette étude de cohorte montre que l’utilisation d’une faible dose de corticostéroïdes au stade précoce de la polyarthrite rhumatoïde n’est pas associée à une augmentation du critère de jugement composite associant décès, événements cardiovasculaires, infections graves et fractures. Bien qu’une correction ait été appliquée pour tenir compte d’un biais éventuel, ce résultat doit encore être confirmé à l’aide d’une étude randomisée.
Pour la pratique
En cas de polyarthrite rhumatoïde au stade précoce, il est recommandé de débuter aussitôt que possible un traitement ciblé associant du méthotrexate et une faible dose de corticostéroïdes (6). Cette étude de cohorte suggère que l’utilisation de corticostéroïdes dans cette indication est sans danger. Une stratégie dans laquelle l’utilisation de corticostéroïdes peut être arrêtée après environ 6 mois semble toutefois préférable car il n’existe pas d’étude randomisée comparant un traitement de 6 mois et un traitement à faible dose sur plusieurs années. En outre, la dose de départ des corticostéroïdes fait encore l’objet d’un débat.
- Westhovens R. Ajouter de faibles doses de prednisolone au traitement de l’arthrite rhumatoïde. MinervaF 2006;5(9):135-7.
- Svensson B, Boonen A, Albertsson K, et al. Low dose prednisolone in addition to the initial disease-modifying antirheumatic drug in patients with early rheumatoid arthritis reduces joint destruction and increases the remission rate. Arthritis Rheum 2005;52:3360-70. DOI: 10.1002/art.21298
- Westhovens R. Stratégie thérapeutique ciblée pour la polyarthrite rhumatoïde. MinervaF 2017;16(2):39-42.
- Markusse IM, Akdemir G, Dirven L, et al. Long-term outcomes of patients with recent-onset rheumatoid arthritis after 10 years of tight controlled treatment: a randomized trial. Ann Intern Med 2016;164:523-31. DOI: 10.7326/M15-0919
- Verschueren P, De Cock D, Corluy L, et al. Effectiveness of methotrexate with step-down glucocorticoid remission induction (COBRA Slim) versus other intensive treatment strategies for early rheumatoid arthritis in a treat-to-target approach: 1-year results of CareRA, a randomised pragmatic open-label superiority trial. Ann Rheum Dis 2017;76:511-20. DOI: 10.1136/annrheumdis-2016-209212
- Smolen JS, Landewé R, Bijlsma J, et al. EULAR recommendations for the management of rheumatoid arthritis with synthetic and biological disease-modifying antirheumatic drugs: 2016 update. Ann Rheum Dis 2017;76:960-77. DOI: 10.1136/annrheumdis-2016-210715
- Meyfroidt S, Hulscher M, De Cock D, et al. A maximum difference scaling survey of barriers to intensive combination treatment strategies with glucocorticoids in early rheumatoid arthritis. Clin Rheumatol 2015;34:861-9. DOI: 10.1007/s10067-015-2876-3
- Roubille C, Rincheval N, Dougados M, et al. Seven-year tolerability profile of glucocorticoids use in early rheumatoid arthritis: data from the ESPOIR cohort. Ann Rheum Dis 2017;76:1797-802. DOI: 10.1136/annrheumdis-2016-210135
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