Analyse
L’usage des cigarettes électroniques expose-t-il à un risque de maladie respiratoire chronique ?
Les maladies respiratoires sont les principales causes de morbidité et de mortalité. Le tabagisme en est une cause majeure (1). L’OMS rappelle que, en 2017, le tabac a tué 3,3 millions de fumeurs et de personnes exposées à la fumée des autres à cause de maladies respiratoires, notamment : 1,5 million de décès dus à des affections respiratoires chroniques ; 1,2 million de décès imputables au cancer (de la trachée, des bronches et du poumon) ; 600000 décès liés à des affections respiratoires et à la tuberculose (2).
Les premières versions de cigarettes électroniques commercialisées à l'origine en 2004 et développées en Chine comme une alternative moins dangereuse aux cigarettes conventionnelles étaient généralement inefficaces pour délivrer de la nicotine, en partie parce que la taille des particules de l'aérosol était trop grande pour pénétrer profondément dans les poumons (3).
Les nouvelles versions de cigarettes électroniques comportent des réservoirs remplaçables ou rechargeables et des piles rechargeables qui génèrent des particules plus petites et une distribution de nicotine plus efficace. Ces systèmes rechargeables permettent aux utilisateurs d'acheter séparément le liquide de cigarette électronique (appelé e-liquide) qui contient différents niveaux de nicotine et se décline en de nombreuses saveurs différentes (4).
Une puissance (température) plus élevée augmente non seulement la délivrance de nicotine, mais augmente également la quantité de formaldéhyde et d'autres aldéhydes qui sont naturellement produits en chauffant le propylène glycol ou la glycérine végétale et d'autres toxines produites dans la cigarette électronique aérosol (4).
Des études animales ont montré que les cigarettes électroniques augmentent l'inflammation pulmonaire et le stress oxydatif tout en inhibant la réponse immunitaire (5). La détection de substances toxiques dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire des patients étatsuniens atteints de lésions pulmonaires associées à l'utilisation de produits de cigarette électronique a été mise en évidence dans des études de cas (6).
Le lien entre vapotage et maladie respiratoire chronique devait néanmoins encore être démontré dans des études prospectives (7-9).
L’étude de Battha et al. (10) porte sur un registre de personnes répondant périodiquement à un questionnaire concernant leur état de santé et l’usage de produits dérivés du tabac, constituant l’étude PATH (Population Assessment of Tobacco and Health), représentant un échantillon de la population étasunienne. Les personnes interrogées répondaient à la question suivante : « au cours des 12 derniers mois, est-ce qu’un médecin, une infirmière ou un autre professionnel de la santé vous a dit que vous souffrez d’une ou plusieurs des affections suivantes : BPCO, bronchite chronique, emphysème, asthme ? »
Les patients étaient répartis en trois groupes : utilisateurs actifs, utilisateurs anciens, non-utilisateurs. Ils étaient également interrogés sur leur usage de tabac combustible et leurs autres problèmes de santé. Ils étaient interrogés à trois moments précis (situation de base, suivi à un an et suivi à deux ans). Les résultats à un an et deux ans ont été analysés en même temps. Au début de l’étude, 5466 personnes (soit 15,1%) ont déclaré présenter une pathologie respiratoire.
Les résultats montrent que :
Parmi les personnes qui n'ont pas signalé de maladie respiratoire en début d’étude, les consommateurs de tabac qui ont déclaré de nouvelles maladies respiratoires à 1 ou 2 ans de suivi avaient tendance à être plus dépendants. La dépendance était évaluée selon le temps plus court avant le premier usage du tabac et selon la fréquence de l'usage du tabac. Il n'y avait aucune différence dans l'utilisation des produits aromatisés du tabac.
Par ailleurs :
- l’usage ancien (AOR de 1,31 avec IC de 95% de 1,07 à 1,60) ou actif (AOR de 1,29 avec IC de 95% de 1,03 à 1,61) est associé à l’apparition d’une BPCO, d’un emphysème, d’une bronchite chronique ou d’un asthme ;
- l’association persiste après un ajustement pour l’usage de produits du tabac combustible ;
- l’usage des cigarettes électroniques et classiques constitue un facteur de risque indépendants pour le développement d’une pathologie respiratoire ;
- la double utilisation, le schéma d'utilisation le plus courant, est plus risquée que l'utilisation de l'un ou l'autre produit seul ;
- inversement, la présence d’une maladie respiratoire au début de l’étude est prédictive de l’utilisation future de cigarettes électroniques.
Le recours aux cigarettes électroniques et/ou classiques est donc associé à la survenue d’une pathologie respiratoire. L’utilisation des deux produits combinés est plus toxique que chacun des produits pris séparément.
Du point de vue du biais de sélection, il est possible que les personnes qui ont répondu à l’étude ne soient pas représentatives de l’ensemble de la population. Pour le biais d’observation, on note que l’étude se base sur des réponses spontanées à un questionnaire, sans vérification via les dossiers médicaux. Un biais de rappel peut également jouer un rôle, certains patients se souvenant plus spécifiquement de l’usage (en particulier récent ou ancien) de produits dérivés du tabac, en fonction de leur état de santé. Du point de vue du biais de confusion, il est possible (cela a été mentionné par les auteurs) que les personnes ayant des pathologies respiratoires, utilisent préférentiellement des cigarettes électroniques plutôt que des produits combustibles.
Conclusion
Cette étude montre effectivement, en dépit des réserves précitées, une élévation significative du risque de maladie respiratoire chronique (asthme, BPCO, bronchite chronique ou emphysème) dans les deux ans qui suivent l’usage des cigarettes électroniques, y compris en l’absence de consommation de cigarettes classiques. Il s’agit de la première étude mettant cet effet en évidence.
Ces résultats doivent être interprétés avec prudence compte tenu des faiblesses méthodologiques de l’étude et de la courte durée d’observation.
Pour la pratique
Le sujet de cette analyse n’est pas le sevrage tabagique. Néanmoins, dans ce cadre, la place de la cigarette électronique est régulièrement interrogée (11,12).
L’étude analysée ici n’apporte donc pas de preuves formelles, mais des éléments incitant les praticiens à avertir les utilisateurs de cigarettes électroniques d’éventuels risques pour leur santé, notamment sur le plan respiratoire. Elle incite également à la prudence dans l’utilisation de cigarettes électroniques comme moyen de sevrage tabagique chez les patients porteurs d’affections respiratoires chroniques. Compte tenu du faible recul d’utilisation, d’autres études seront nécessaires pour établir si cette pratique émergente expose à des problèmes de santé.
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- L’OMS attire l’attention sur l’ampleur des décès imputables à des maladies pulmonaires liées au tabac. OMS, 29/05/2019 (disponible sur : https://www.who.int/fr/news-room/detail/29-05-2019-who-highlights-huge-scale-of-tobacco-related-lung-disease-deaths).
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- Bhatta DN, Glantz SA. Association of e-cigarette use with respiratory disease among adults: a longitudinal analysis. Am J Prev Med 2020;58:182-90. DOI: 10.1016/j.amepre.2019.07.028
- Boudrez H. La cigarette électronique est-elle un moyen plus efficace que la substitution nicotinique pour arrêter de fumer ? Minerva bref 15/05/2019.
- Hajek P, Phillips-Waller A, Przulj D, et al. A randomized trial of e-cigarettes versus nicotine-replacement therapy. N Engl J Med 2019;380:629-37. DOI: 10.1056/NEJMoa1808779
Auteurs
Richard T.
endocrinologue, Service de Médecine Interne CHU de Charleroi-Chimay
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