Analyse


La cigarette électronique est-elle un moyen plus efficace que la substitution nicotinique pour arrêter de fumer ?


15 05 2019

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Hajek P, Phillips-Waller A, Przulj D, et al. A randomized trial of e-cigarettes versus nicotine-replacement therapy. N Engl J Med 2019;380:629-37. DOI: 10.1056/NEJMoa1808779


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée menée en ouvert montre que la cigarette électronique conduit à un arrêt du tabagisme après un an jusqu’à deux fois plus souvent que l’utilisation des produits de substitution nicotinique. Dans cette étude, il s’agissait toutefois de patients motivés qui bénéficiaient également d’un soutien comportemental. De plus, après un an, 80% des participants utilisaient toujours la cigarette électronique. Il faut rappeler que la sécurité de leur utilisation sur le long terme n’a pas encore été suffisamment démontrée.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Pour stimuler l’arrêt du tabagisme, on recommande à la fois un bon accompagnement et la remise de moyens médicamenteux adaptés (niveau de preuve 1). Devons-nous nous appuyer sur les résultats exceptionnels de la présente étude randomisée contrôlée pour pousser tous les fumeurs qui ont l’intention d’arrêter de fumer à utiliser la cigarette électronique ? Cette conclusion est pour le moment prématurée bien que cette étude randomisée contrôlée ait été menée dans des conditions tout à fait optimales et nécessite certainement d’être encore confirmée par une recherche plus pragmatique. Pour le moment, nous pouvons tout au plus considérer la cigarette électronique comme une alternative pour les fumeurs qui ne réussissent pas à arrêter de fumer de la manière recommandée, avec toutefois un accompagnement comportemental et le conseil d’aussi l’arrêter à terme, en raison de la possibilité que l’utilisation de la cigarette électronique soit nocive à long terme.



La discussion sur une étude randomisée contrôlée comparant l’utilisation d’une cigarette électronique contenant de la nicotine à celle d’une cigarette électronique contenant un placebo ou à des patchs de nicotine a conduit Minerva à la conclusion qu’il n’existait pas suffisamment de faits probants concernant la plus-value de la cigarette électronique comme moyen pour arrêter de fumer (1,2). Nous sommes arrivés à la même conclusion après la discussion d’une synthèse méthodique Cochrane (3,4) qui regroupait les résultats de deux études randomisées contrôlées (2,5).

 

Une récente étude randomisée contrôlée menée en ouvert avec 886 fumeurs a de nouveau examiné l’effet d’une cigarette électronique contenant de la nicotine (n = 439) versus des produits de substitution nicotinique au choix (patch, gomme à mâcher, pastille à sucer, spray nasal, inhalateur, spray buccal, bande orale, microcomprimés) comme moyen pour arrêter de fumer (6). Cette étude n’a évidemment pas pu être menée en aveugle. Tous les fumeurs avaient l’intention d’arrêter de fumer et ont été recrutés dans trois centres d’arrêt du tabagisme au Royaume-Uni. Les participants du groupe contrôle ont été encouragés à associer différents produits et ont reçu suffisamment de provision pour trois mois. Les participants du groupe utilisant une cigarette électronique ont reçu un flacon de recharge de 30 ml (18 mg de nicotine/ml), et il leur a été conseillé de l’essayer avec des liquides de différents dosages et de différents goûts. Pendant quatre semaines, tous les participants ont bénéficié d’une séance hebdomadaire de soutien au comportement. Le principal critère de jugement utilisé était un arrêt durable du tabagisme de 52 semaines. L’abstinence était définie comme suit : ≤ 5 cigarettes fumées à compter de la semaine 2 jusqu’à un an après le jour de l’arrêt du tabagisme, avec confirmation biochimique par une concentration en CO dans l’air expiré < 8 ppm après un an de suivi (7). Les analyses ont été effectuées en intention de traiter. 

Après un an, les utilisateurs de la cigarette électronique avaient deux fois plus de chances d’arrêter de fumer que les utilisateurs de produits de substitution nicotinique (voir tableau). Pour les critères de jugement secondaires, des différences statistiquement significatives ont également été observées en faveur du groupe qui utilisait la cigarette électronique (voir tableau). Il n’y avait pas de différences entre les deux groupes quant à la fréquence des rechutes et quant au délai jusqu’à la rechute après quatre semaines d’abstinence.

Une première remarque concernant ces résultats positifs est que les participants bénéficiaient toutes les semaines d’un soutien au comportement, ce qui n’est pas habituel et même inexistant dans la vie réelle chez les utilisateurs de cigarette électronique. Cette composante semble donc nécessaire si l’on veut généraliser les résultats de cette étude. Deuxièmement, chez les fumeurs abstinents après un an, 80% des participants du groupe cigarette électronique utilisaient encore une cigarette électronique et seulement 9% des participants de l’autre groupe utilisaient encore des substituts nicotiniques. Cela correspond à la constatation que les cigarettes électroniques sont considérées comme une meilleure aide que les produits de substitution nicotinique lors de l’arrêt du tabagisme. Tant lors de la première semaine que de la quatrième semaine après l’arrêt du tabagisme, les utilisateurs de cigarettes électroniques ont signalé avoir moins envie de fumer des cigarettes de tabac et ont développé moins de symptômes de sevrage que les utilisateurs de substituts nicotiniques. Troisièmement, il semble que l’abstinence après un an chez les utilisateurs de cigarettes électroniques était plus importante dans cette étude randomisée contrôlée (18%) que dans les études précédentes (7,3% après 6 mois (2) ; 8,7% après 12 mois (5)). Cette différence peut s’expliquer par une meilleure motivation des participants pour arrêter de fumer, le soutien individuel et l’utilisation de cigarettes électroniques rechargeables avec libre choix du liquide électronique. Cette approche a permis de mieux répondre aux besoins individuels, et les symptômes de sevrage étaient suffisamment maîtrisés tandis que la satisfaction individuelle était plus grande.

Bien que la cigarette électronique soit considérée comme étant moins nocive que la cigarette de tabac (8), il semble qu’une utilisation prolongée ne soit pas complètement sans danger. Récemment, l’utilisation de la cigarette électronique a été liée à la prévention des crises cardiaques et des maladies coronariennes (9). Il est indispensable de poursuivre la recherche sur ce point (10). Dans l’étude randomisée contrôlée faisant l’objet de la présente discussion, aucun effet indésirable grave n’a pu être attribué à l’utilisation de la cigarette électronique ou des produits de substitution nicotinique.

 

Tableau. Abstinence à différents moments et réduction du tabagisme à la semaine 52.

 

Critère de jugement

cigarette électronique

(n = 438)

produits de substitution nicotinique

(n = 446)

risque relatif

(avec IC à 95%)

Principal critère de jugement : abstinence après 52 semaines

 

79 (18%)

44 (9,9%)

1,83 (1,30 – 2,58)

Critères de jugement secondaires

      abstinence entre la semaine 26 et la semaine 52

      abstinence 4 semaines après le jour d’arrêt

      abstinence 26 semaines après le jour d’arrêt

     > 50% réduction entre la semaine 26 et la semaine 52

 

93 (21,2%)

192 (43,8%)

155 (35,4%)

44/345 (12,8%)

 

53 (11,9%)

134 (30%)

112 (25,1%)

29/393 (7,4%)

 

1,79 (1,32 – 2,44)

1,45 (1,22 – 1,74)

1,40 (1,14 – 1,72)

1,75 (1,12 – 2,72)

 

Conclusion

Cette étude randomisée contrôlée menée en ouvert montre que la cigarette électronique conduit à un arrêt du tabagisme après un an jusqu’à deux fois plus souvent que l’utilisation des produits de substitution nicotinique. Dans cette étude, il s’agissait toutefois de patients motivés qui bénéficiaient également d’un soutien comportemental. De plus, après un an, 80% des participants utilisaient toujours la cigarette électronique. Il faut rappeler que la sécurité de leur utilisation sur le long terme n’a pas encore été suffisamment démontrée.

 

Pour la pratique

Pour stimuler l’arrêt du tabagisme, on recommande à la fois un bon accompagnement et la remise de moyens médicamenteux adaptés (niveau de preuve 1) (11). Devons-nous nous appuyer sur les résultats exceptionnels de la présente étude randomisée contrôlée pour pousser tous les fumeurs qui ont l’intention d’arrêter de fumer à utiliser la cigarette électronique ? Cette conclusion est pour le moment prématurée bien que cette étude randomisée contrôlée ait été menée dans des conditions tout à fait optimales et nécessite certainement d’être encore confirmée par une recherche plus pragmatique (12). Pour le moment, nous pouvons tout au plus considérer la cigarette électronique comme une alternative pour les fumeurs qui ne réussissent pas à arrêter de fumer de la manière recommandée, avec toutefois un accompagnement comportemental et le conseil d’aussi l’arrêter à terme, en raison de la possibilité que l’utilisation de la cigarette électronique soit nocive à long terme.  

 

 

 

Références 

  1. Laekeman G. Aide à l’arrêt du tabagisme : quelle place pour la cigarette électronique ? MinervaF 2015;14(4):42-3.
  2. Bullen C, Howe C, Laugesen M, et al. Electronic cigarettes for smoking cessation: a randomised controlled trial. Lancet 2013;382:1629-37. DOI: 10.1016/S0140-6736(13)61842-5
  3. Chevalier P. Sevrage tabagique : intérêt de la cigarette électronique ? Minerva bref 15/09/2015.
  4. McRobbie H, Bullen C, Hartmann-Boyce J, Hajek P. Electronic cigarettes for smoking cessation and reduction. Cochrane Database Syst Rev 2014; Issue 12. DOI: 10.1002/14651858.CD010216.pub2
  5. Caponnetto P, Campagna D, Cibella F, et al. EffiCiency and safety of an eLectronic cigAreTte (ECLAT) as tobacco cigarettes substitute: a prospective 12-month randomized control design study. PloS One 2013;8:e66317. DOI: 10.1371/journal.pone.0066317
  6. Hajek P, Phillips-Waller A, Przulj D, et al. A randomized trial of e-cigarettes versus nicotine-replacement therapy. N Engl J Med 2019;380:629-37. DOI: 10.1056/NEJMoa1808779
  7. West R, Hajek F, Stead L, Stapleton J. Outcome criteria in smoking cessation trials: proposal for a common standard. Addiction 2005;100:299-303. DOI: 10.1111/j.1360-0443.2004.00995.x
  8. Nutt DJ, Phillips LD, Balfour D. Estimating the harms of nicotine-containing product using the MCDA approach. Eur Addict Res 2014;20:218-25. DOI: 10.1159/000360220
  9. American College of Cardiology. E-cigarettes linked to heart attacks, coronary artery disease and depression. Data reveal toll of vaping; researchers say switching to e-cigarettes doesn't eliminate health risks. Science Daily, 7 March 2019.
  10. National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine; Health and Medicine Division, Board on Population Health and Public Health Practice, Committee on the Review of the Health Effects of Electronic Nicotine Delivery Systems; Eaton DL, Kwan LY, Stratton K (editors).  Public health consequences of e-cigarettes. Consensus study report. The National Academies Press, 2018. DOI: 10.17226/24952
  11. Arrêter de fumer. SSMG/Ebpracticenet 1/03/2005.
  12. Kalkhoran S, Glantz SA. E-cigarettes and smoking cessation in real-world and clinical settings: a systematic review and meta-analysis. Lancet Respir Med 2016;4:116-28. DOI: 10.1016/S2213-2600(15)00521-4

 




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