Analyse
Y a-t-il un rapport entre la consommation de benzodiazépines ou de médicaments apparentés (« z-drugs ») et le développement d’une démence ?
Minerva a déjà souvent discuté des effets indésirables de la consommation de benzodiazépines. Il a ainsi été question de l’augmentation du risque d’accidents de la route sous benzodiazépines (1,2), de l’association entre la consommation chronique de benzodiazépines et les fractures de hanche chez les personnes âgées (3,4) et du risque accru de chutes et de troubles cognitifs chez les personnes ayant plus de 60 ans (5,6).
Le lien entre la consommation de benzodiazépines et le développement d’une démence n’était pas concordant dans les études antérieures. Le registre national danois des patients a identifié 235465 patients de plus de 20 ans qui, entre 1996 et 2015, ont eu un premier contact avec le milieu hospitalier pour un trouble affectif. Dans cette cohorte (7), on a suivi jusqu’en 2016 les personnes ayant quitté l’hôpital avec un diagnostic de démence (d’après le registre danois des admissions en psychiatrie et le registre national danois des patients) ou ayant reçu une prescription d’inhibiteur de la cholinestérase (d’après le registre national danois des ordonnances). Dans le registre national danois des ordonnances, on a également recherché des informations sur l’utilisation des benzodiazépines, des médicaments apparentés et d’autres anxiolytiques. Au total, on a enregistré une utilisation de benzodiazépines ou de médicaments apparentés chez 75,9% (n = 171287) des patients atteints d’un trouble affectif. Durant un suivi médian de 6,1 ans (interquartile 2,7-11 ans), un diagnostic de démence a été posé chez 9776 (4,2%) patients. Avec un modèle de hasards proportionnels de Cox, une correction étant appliquée pour tenir compte du sous-type de dépression, de l’année du diagnostic, de l’abus d’alcool et de substances, d’un diabète ou de maladies cardiovasculaires, de la prescription de neuroleptiques et d’antidépresseurs, du niveau de formation, du sexe, de l’âge et de l’état civil. Aucune association n’a été trouvée entre l’utilisation de benzodiazépines ou de médicaments apparentés et un diagnostic de démence. L’étude de cohorte a été complétée par une étude cas-témoins sur échantillon dans laquelle 9776 patients atteints de démence (cas) ont été appariés avec 39104 personnes du même âge qui n’avaient pas de démence (témoins). Une analyse de régression logistique conditionnelle a montré une faible relation entre le développement d’une démence chez les patients avec la plus faible consommation cumulée de benzodiazépines ou de médicaments apparentés (nombre de prescriptions depuis 1995 jusqu’à 2 ans avant la date de référence) par comparaison avec la non-utilisation de benzodiazépines : OR de 1,08 avec IC à 95% de 1,01 à 1,15. Cependant, les patients avec l'utilisation la plus élevée avaient la plus faible probabilité de développer une démence : OR de 0,83 avec IC à 95% de 0,77 à 0,88.
Les résultats d’études précédentes sur le rapport entre la consommation de benzodiazépines et la démence n’étaient pas concordants. Certaines études montraient que la consommation de benzodiazépines était un facteur de risque de développement d’une démence (8,9), tandis que d’autres n’avaient trouvé aucun rapport (10,11). Dans une méta-analyse récente, les auteurs ont rapporté un risque 38% plus élevé de démence chez les personnes qui prennent des benzodiazépines. Mais l’hétérogénéité des études incluses était importante (98%), et la largeur de l’intervalle de confiance à 95% (de 0,58 à 3,25) indiquait un résultat incertain (12). Les résultats de l’étude de cohorte à grande échelle discutée ici concordent avec ceux d’une étude cas-témoins suisse (13) et ceux d’une étude de cohorte menée aux États-Unis à l’aide de données pharmaceutiques informatisées (14). Aucune de ces deux études non plus n’a montré d’association entre les benzodiazépines ou les médicaments apparentés et la démence. Comme explication possible de la faible association entre la consommation de benzodiazépines et la démence dans ces études, on peut citer la correction inconstante pour tenir compte des facteurs de confusion pour l’indication. La plupart des études corrigeaient bien pour tenir compte d’une dépression, mais moins de la moitié corrigeaient pour tenir compte d’une anxiété, et aucune ne corrigeait pour tenir compte de la gravité de la dépression ou pour tenir compte de l’abus d’alcool. La présente étude apporte ces corrections. Une autre force de cette étude consiste en ceci que les informations sur la consommation de benzodiazépines, de médicaments apparentés et d’autres anxiolytiques ont été obtenues à partir du registre national. Cela réduit le risque de classification erronée, mais nous ne pouvons pas exclure la possibilité que certains patients ayant reçu des ordonnances de benzodiazépines avant 1995 aient été classés à tort comme non-utilisateurs ou comme nouveaux utilisateurs. Une analyse de sensibilité a exclu le biais de sélection dû à l’exclusion des patients chez qui une démence avait été diagnostiquée avant l’inclusion. L’effet protecteur d’une forte consommation de benzodiazépines ou de médicaments apparentés sur le développement de la démence qui a été constaté s’explique peut-être par un biais de déplétion des sujets à risque (depletion of susceptibility). La constatation que ces médicaments n’augmentent pas le risque de démence s’explique peut-être par leur effet bénéfique sur l’anxiété et l’insomnie, deux affections pouvant avoir un rapport avec une augmentation du risque de démence (15,16).
Que disent les guides de pratique clinique ?
La place des benzodiazépines dans le traitement de la dépression n’est pas encore claire (17,18). Que ce soit dans l’anxiété ou dans l’insomnie, l’utilisation à long terme de benzodiazépines n’est pas recommandée (19,20). L’utilisation de benzodiazépines, de médicaments apparentés et d’autres anxiolytiques chez les personnes âgées reste controversée, étant donné le risque d’effets indésirables au regard d’une efficacité limitée (5,6,19). Les guides de pratique clinique préconisent d’effectuer une analyse approfondie des risques et des avantages avant d’instaurer ces médicaments, de ne les prendre que pendant une période limitée et de les arrêter à temps (19,20). Le fait que l’étude discutée ici montre que les benzodiazépines et les médicaments apparentés n’augmentent pas le risque de démence ne change pas ces recommandations.
Conclusion
Cette étude de cohorte à grande échelle avec étude cas-témoins sur échantillon, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que les benzodiazépines ne sont pas associées au développement de la démence.
- Declercq T. Benzodiazepines in het verkeer. Minerva 2000;29(3):164-5.
- Barbone F, McMahon AD, Davey PG, et al. Association of road-traffic accidents with benzodiazepine use. Lancet 1998;352:1331-6. DOI: 10.1016/s0140-6736(98)04087-2
- Declercq T. Breken bejaarden die benzodiazepines gebruiken vaker hun heup? Minerva 2002;31(3):152-4.
- Pierfitte C, Macouillard G, Thicoïpe M, et al. Benzodiazepines and hip fractures in elderly people: case-control study. BMJ 2001;322:704-8. DOI: 10.1136/bmj.322.7288.704
- Declercq T, Habraken H. Sédatifs chez les personnes âgées insomniaques. MinervaF 2006;5(7):114-6.
- Glass J, Lanctôt KL, Herrmann N, et al. Sedative hypnotics in older people with insomnia: meta-analysis of risks and benefits. BMJ 2005;331:1169-73. DOI: 10.1136/bmj.38623.768588.47
- Osler M, Jørgensen MB, Associations of benzodiazepines, Z-drugs, and other anxiolytics with subsequent dementia in patients with affective disorders: a nationwide cohort and nested case-control study. Am J Psychiatry 2020;177:497-505. DOI: 10.1176/appi.ajp.2019.19030315
- Gomm W, von Holt K, Thomé F. Regular benzodiazepine and Z-substance use and risk of dementia: an analysis of German claims data. J Alzheimers Dis 2016;54:801-8. DOI: 10.3233/JAD-151006
- Tapiainen V, Taipale H, Tanskanen A, et al. The risk of Alzheimer’s disease associated with benzodiazepines and related drugs: a nested case-control study. Acta Psychiatr Scand 2018;138:91-100. DOI: 10.1111/acps.12909
- Lagnaoui R, Tournier M, Moride Y, et al. The risk of cognitive impairment in older community-dwelling women after benzodiazepine use. Age Ageing 2009;38:226-8. DOI: 10.1093/ageing/afn277
- Imfeld P, Bodmer M, Jick S, Meier C. Benzodiazepine use and risk of developing Alzheimer’s disease or vascular dementia: a case-control analysis. Drug Saf 2015;38:909-19. DOI: 10.1007/s40264-015-0319-3
- Brandt J, Leong C. Benzodiazepines and Z-drugs: an updated review of major adverse outcomes reported on in epidemiologic research. Drugs R D 2017;17:493-507. DOI: 10.1007/s40268-017-0207-7
- Biétry FA, Pfeil A, Reich O, et al. Benzodiazepine use and risk of developing Alzheimer’s disease: a case-control study based on Swiss claims data. CNS Drugs 2017;31:245-51. DOI: 10.1007/s40263-016-0404-x
- Gray SL, Dublin S, Yu O, et al. Benzodiazepine use and risk of incident dementia or cognitive decline: prospective population based study. BMJ 2016;352:i90. DOI: 10.1136/bmj.i90
- Mortamais M, Abdennour M, Bergua V, et al. Anxiety and 10-year risk of incident dementia-an association shaped by depressive symptoms: results of the Prospective Three-City Study. Front Neurosci 2018;12:248. DOI: 10.3389/fnins.2018.00248
- Moraes de Almondes K, Vieira Costa M, Malloy-Diniz LF, Satler Diniz B. Insomnia and risk of dementia in older adults: systematic review and meta-analysis. J Psychiatr Res 2016;77:109-15. DOI: 10.1016/j.jpsychires.2016.02.021
- Callens J. Dans les cas de dépression majeure, doit-on associer des benzodiazépines aux antidépresseurs ? Minerva bref 17/03/2020.
- Ogawa Y, Takeshima N, Hayasaka Y, et al. Antidepressants plus benzodiazepines for adults with major depression. Cochrane Database Syst Rev 2019, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD001026.pub2
- Prise en charge des problèmes de sommeil et de l’insomnie chez l’adulte en première ligne. Ebpracticenet. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 28/06/2018.
- Trouble anxieux. Ebpracticenet. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 29/09/2011. Dernière révision contextuelle: 30/03/2018.
Auteurs
Petrovic M.
sectie Geriatrie, vakgroep Inwendige Ziekten en Pedatrie, Universiteit Gent
COI :
Code
Ajoutez un commentaire
Commentaires