Analyse
Bouger pour mieux aimer : l’exercice physique améliore-t-il la fonction sexuelle après un cancer de la prostate ?
28 11 2025
Professions de santé
Kinésithérapeute, Médecin généraliste, PsychologueContexte
Entre 2011 et 2022, l’incidence standardisée du cancer de la prostate en Belgique a présenté une augmentation significative, avec un accroissement annuel moyen estimé à +7,9% (1).
Dans une analyse antérieure (2), Minerva avait évalué, au moyen d’une synthèse méthodique avec méta-analyse, les effets potentiels des inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 chez des patients présentant une dysfonction érectile, complication fréquemment observée après les traitements du cancer de la prostate. Les résultats n’avaient montré aucune différence statistiquement significative entre le placebo et les inhibiteurs de la PDE5 (3). Cependant, à l’heure actuelle, aucune recommandation officielle n’est disponible pour la prise en charge de cette problématique (4). Dans ce contexte, Minerva examine un article récent (5) apportant de nouvelles données sur ce sujet.
Résumé
Population étudiée
- recrutement : invitation médicale + dépistage de l’éligibilité par le coordinateur d’étude, en Australie (Perth) ; recrutement dans des cliniques d’exercice affiliées à une université, orientation par urologues et oncologues
- critères d’inclusion :
- hommes atteints d’un cancer de la prostate (traitement antérieur ou en cours : prostatectomie, radiothérapie, traitement par suppression androgénique)
- préoccupation pour la fonction sexuelle :
- score de satisfaction globale International Index of Erectile (IIEF) < 8 et/ou score de gêne sexuelle Expanded Prostate Cancer Index Composite (EPIC) > 8
- consentement médical du médecin traitant/spécialiste
- critères d’exclusion :
- prostatectomie non conservatrice des nerfs
- plus de 12 mois depuis la fin du traitement (prostatectomie, radiothérapie ou suppression androgénique) (initialement > 6 mois)
- incontinence nécessitant > 1 protection / 24 heures
- pratique régulière d’exercice structuré (≥ 2 séances/semaine dans les 3 derniers mois)
- maladie aiguë ou trouble musculosquelettique, cardiovasculaire ou neurologique contre-indiquant l’exercice
- incapacité à lire/parler anglais
- au total, 112 hommes randomisés (exercice seul : n = 39 ; exercice + intervention d’éducation psychosexuelle et d’autogestion (PESM) : n = 36 ; soins habituels : n = 37) ; âge moyen ± écart-type ≈ 66,3 ± 7,1 ans (exercice : 66,5 ; exercice + PESM : 64,6 ; soins habituels : 67,8) ; BMI moyen : ~27,6 à 29,0 kg/m² selon le groupe ; proportion de ~73 à 77% mariés ; études supérieures : 55–68% ; avec comorbidités fréquentes telles que hypertension artérielle, dyslipidémie, diabète, maladie cardiovasculaire ; antécédents de traitement : prostatectomie ~56%, radiothérapie ~32%, traitement par suppression androgénique ~41–51%.
Protocole d’étude
Essai clinique randomisé (RCT), 3 bras parallèles, simple insu (investigateurs en insu), monocentrique (Perth, Australie)
- intervention :
- exercice supervisé 3 jours/semaine, en petits groupes (≤ 12 participants), encadré par un physiologiste de l’exercice accrédité
- composante aérobie : 20–30 min d’exercice cardiovasculaire modéré à vigoureux (60-85% FCmax estimée) sur tapis roulant, vélo, rameur ou elliptique ; encouragement à compléter à domicile pour atteindre ≥ 150 min/semaine d’aérobie modérée
- composante résistance : 6–8 exercices ciblant les grands groupes musculaires (haut et bas du corps), 1–4 séries de 6–12 répétitions maximales. Programme progressif et périodisé
- échauffement (10 min) et retour au calme (5 min) avec étirements
- groupe Exercice + PESM : même programme d’exercice + intervention brève d’éducation psychosexuelle et d’autogestion :
séance initiale face-à-face avec physiologiste formé- contenu : gestion du stress, résolution de problèmes liés au traitement, fixation d’objectifs pour rééducation sexuelle
- approche cognitivo-comportementale et d’apprentissage adulte (objectifs choisis par le patient)
- supports remis : livre d’auto-assistance (hommes + partenaires), fiche de conseils (dysfonction érectile et objectifs), journal de suivi, ressources audio pour gestion du stress
- durée de l’intervention : 6 mois
- exercice supervisé 3 jours/semaine, en petits groupes (≤ 12 participants), encadré par un physiologiste de l’exercice accrédité
- comparateur :
- soins habituels : prise en charge médicale standard, sans programme structuré d’exercice ni PESM
- consigne : maintenir le niveau habituel d’activité physique pendant 6 mois.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire :
- fonction sexuelle évaluée au départ et à 6 mois par :
- Indice International de Fonction Érectile (International Index of Erectile Function – IIEF-15)
- Indice Composite Étendu du Cancer de la Prostate (Expanded Prostate Cancer Index Composite – EPIC) : domaine fonction sexuelle
- Questionnaire de qualité de vie – module cancer de la prostate de l’Organisation Européenne pour la Recherche et le Traitement du Cancer (EORTC QLQ-PR25) : domaine activité sexuelle
- fonction sexuelle évaluée au départ et à 6 mois par :
- critères de jugement secondaires :
- composition corporelle : masse maigre et masse grasse par absorptiométrie biphotonique à rayons X (DXA)
- fonction physique :
- test de marche de 400 m (capacité aérobique et endurance à la marche)
- test du lever de chaise répété (fonction musculaire du bas du corps)
- force musculaire :
- force maximale sur une répétition (1-repetition maximum – 1RM) au développé couché (haut du corps)
- force maximale sur une répétition à la presse à jambes (bas du corps)
- activité physique autodéclarée : Indice de loisir du Questionnaire d’Exercice en Temps Libre de Godin (Godin Leisure-Time Exercise Questionnaire)
- biomarqueurs sanguins : antigène spécifique de la prostate (PSA), testostérone, protéine C-réactive.
- analyse en intention de traiter, avec imputation des données manquantes ; analyse de covariance (ANCOVA) ajustée sur les valeurs initiales, l'âge, l'activité sexuelle actuelle, une prostatectomie antérieure, une radiothérapie antérieure et un traitement anti-androgène antérieur ou actuel pour les critères d'évaluation principaux et secondaires ; analyses de sous-groupes prédéfinies.
Résultats
- critère de jugement primaire : amélioration statistiquement significative de la fonction sexuelle dans les groupes d'intervention par rapport au groupe témoin en termes de fonction érectile, de satisfaction sexuelle (IIEF) et de fonctionnement sexuel (EPIC) ; aucune différence significative sur le questionnaire EORTC QLQ-PR-25, ni sur les sous-échelles orgasme, désir sexuel et satisfaction générale de l'IIEF.
|
Mesure |
Résultat chiffré |
|
IIEF – fonction érectile |
Différence moyenne ajustée de +3,5 points (avec IC à 95% de +0,3 à +6,6) en faveur de l’exercice ± PESM vs soins habituels ; p = 0,04 |
|
IIEF - orgasme |
ns |
|
IIEF – désir sexuel |
ns |
|
IIEF – satisfaction lors des rapports |
Différence moyenne ajustée de +1,7 points avec IC à 95% de +0,1 à +3,2 ; p = 0,05 |
|
IIEF – satisfaction globale |
ns |
|
EPIC – fonction sexuelle |
Différence moyenne ajustée de : +7,9 points avec IC à 95% de +0,2 à +15,6 ; p = 0,09 |
|
EORTC QLQ-PR25 – activité sexuelle |
ns |
EORTC QLQ-PR25 – activité sexuelle ns
- critères de jugement secondaires
- masse grasse : différence moyenne ajustée de -0,9 kg (avec IC à 95% de -1,8 à -0,1) en faveur de l’exercice ± PESM ; p = 0,02
- test lever de chaise : différence moyenne ajustée de -1,8 s avec IC à 95% de -3,2 à -0,5 ; p = 0,002
- force musculaire haut du corps (1RM développé couché) : différence moyenne ajustée de +9,4 kg avec IC à 95% de +6,9 à +11,9 ; p < 0,001
- force musculaire bas du corps (1RM presse à jambes) : différence moyenne ajustée de +17,9 kg avec IC à 95% de +7,6 à +28,2 ; p < 0,001
- biomarqueurs (PSA, testostérone, protéine C-réactive) : pas de différence significative rapportée.
Conclusion des auteurs
Dans cet essai clinique randomisé d'exercices supervisés, la fonction érectile a été améliorée chez les patients atteints d'un cancer de la prostate. L’intervention d’éducation psychosexuelle et d’autogestion (PESM) n'a entraîné aucune amélioration supplémentaire. Les patients atteints d'un cancer de la prostate devraient se voir proposer des exercices après le traitement, comme mesure de réadaptation potentielle.
Financement de l’étude
Subvention du National Health and Medical Research Council et National Health and Medical Research Council Centre for Research Excellence in Prostate Cancer Survivorship.
Conflits d’intérêt des auteurs
Aucun conflit d’intérêt n’est signalé.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
L’étude présente plusieurs éléments favorables à la validité interne. La randomisation a été réalisée par un centre externe, avec stratification sur des variables clés (âge, activité sexuelle, antécédents de traitement tels que prostatectomie, radiothérapie, traitement de privation d'androgènes (ADT)), ce qui a permis d’obtenir des groupes équilibrés au départ. Les interventions d’exercices aérobie ont été encadrées par des physiologistes de l’exercice accrédités, ce qui a permis de standardiser la mise en œuvre et d’assurer la sécurité. Les séances étaient en petits groupes (≤ 12), ce qui peut influencer l’expérience et l’adhésion. Cette dernière a été élevée (81 à 82% des séances prévues). Les critères de jugement ont été clairement définis, avec un critère primaire validé (Indice International de Fonction Érectile) et des critères secondaires incluant des mesures objectives (absorptiométrie biphotonique, tests physiques standardisés). L’analyse a été conduite en intention de traiter, avec imputation des données manquantes. Ni les participants ni les intervenants n’étaient concernés par l’insu, ce qui limite la portée de l’insu. Cependant l’insu des investigateurs pour l’analyse statistique a permis de limiter le risque de biais d’interprétation.
Certaines limites méthodologiques doivent toutefois être notées. L’effectif atteint (n = 112 participants) est inférieur à l’objectif initial (n = 240), ce qui réduit la puissance statistique et élargit les intervalles de confiance. Les questionnaires sont auto-administrés, ce qui peut introduire un biais de déclaration. De plus, la fiabilité de certains questionnaires partiellement utilisés n'est pas claire. Enfin, de nombreuses analyses ont été effectuées, y compris des analyses de sous-groupes, sans correction pour les comparaisons multiples, ce qui augmente le risque de résultats faussement positifs. Les analyses de sous-groupes portaient en outre sur de petits nombres, ce qui les rend purement exploratoires.
Évaluation des résultats
L’étude cible une population d’hommes atteints d’un cancer de la prostate, motivés, relativement en bonne condition physique et sans limitations fonctionnelles majeures. Ce profil ne reflète pas l’ensemble des patients suivis en pratique courante, où les comorbidités et les limitations physiques sont fréquentes. L’intervention, un programme supervisé combinant entraînement aérobique et renforcement musculaire trois fois par semaine pendant six mois, encadré par des physiologistes de l’exercice accrédités, est potentiellement efficace mais demande des ressources humaines et matérielles importantes. Dans certains systèmes de santé, cette intensité et ce niveau de supervision pourraient limiter la faisabilité à large échelle, y compris peut-être dans le contexte belge, où les soins de réadaptation sont souvent limités par les remboursements INAMI.
Les critères d’exclusion, en particulier l’exclusion des patients présentant des troubles musculosquelettiques, cardiovasculaires ou neurologiques, peuvent limiter la représentativité de l’échantillon. L’article ne précise pas le nombre, l’expérience ou la stabilité de l’équipe de physiologistes, ce qui ne permet pas d’évaluer l’éventuelle hétérogénéité dans la mise en œuvre. Pour la composante psychosexuelle et d’autogestion, l’approche générale repose sur des principes validés, mais l’article ne précise pas si les supports spécifiques utilisés (fiche conseils, journal, enregistrements audio) ont fait l’objet d’une validation scientifique préalable.
Le critère principal, la fonction sexuelle mesurée par un outil validé (IIEF), est directement pertinent pour les patients. Nous n’avons pas trouvé de référence bibliographique permettant d’apprécier la corrélation entre une diminution seuil du score IIEF et la pertinence clinique. ON remarque cependant qu’une différence de 5 points permet d’être attribué à une catégorie plus favorable (6). Les critères secondaires, centrés sur la composition corporelle et la condition physique, sont aussi pertinents car ils s’inscrivent dans une approche globale de réhabilitation.
Le caractère monocentrique de l’étude limite la portée des résultats : on pense notamment aux différences culturelles ou organisationnelles entre l’Australie et la Belgique (accès aux soins, organisation des soins de support). Le simple insu, où les participants connaissaient leur groupe, peut exposer à un biais de performance et à un biais de déclaration, surtout pour un critère primaire auto-rapporté. Un grand nombre d’analyses, y compris des sous-groupes, ont été effectuées sans ajustement pour comparaisons multiples, ce qui augmente le risque de faux positifs. Les analyses de sous-groupes portent sur de petits effectifs, ce qui les rend exploratoires. Enfin, la durée de suivi, limitée à six mois, ne permet pas de savoir si les bénéfices observés se maintiennent à long terme, ce qui est pourtant pertinent dans une perspective de réhabilitation durable après cancer.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Si l’on sait que la dysfonction érectile est un effet fréquent des traitements du cancer de la prostate et que les PDE5-inhibitors sont considérés comme premiers recours, les guidelines actuels ne détaillent pas de protocole formel de réhabilitation pénienne (par exemple, fréquence ou durée de traitement, combinaisons thérapeutiques, etc.) (4).
Conclusion de Minerva
Cet essai contrôlé randomisé montre qu’à la suite d’exercices physiques en aérobie, la fonction érectile des patients ayant été traités pour un cancer de la prostate s’est améliorée indépendamment d’une éducation psychosexuelle et d’autogestion. Toutefois, les limites méthodologiques de cette étude ne permettent pas de conclure avec certitude à l’efficacité du traitement proposé ni à sa pertinence clinique. La transposabilité au contexte belge est également questionnée. De nouvelles recherches devraient donc être menées avec des échantillons plus larges et une durée de suivi plus longue.
- Belgian Cancer Registry. Cancer Fact Sheet - Prostate Cancer 2022. Belgian Cancer Registry, 2024. Accessed 8/08/2025. Available from: https://kankerregister.org/sites/default/files/2024/Cancer_Fact_Sheet_Prostate%20Cancer_2022.pdf
- Vander Stichele A. Existe-t-il un effet placebo des inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 chez les hommes atteints de dysfonction érectile ? Minerva Analyse 18/12/2021.
- Stridh A, Pontén M, Arver S, et al. Placebo responses among men with erectile dysfunction enrolled in phosphodiesterase 5 inhibitor trials: a systematic review and meta-analysis. JAMA Netw Open 2020;3:e201423. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2020.1423
- European Association of Urology. EAU Guidelines on sexual and reproductive health: management of erectile dysfunction. European Association of Urology, 2025. Accessed 8/08/ 2025. Available from: https://uroweb.org/guidelines/sexual-and-reproductive-health/chapter/management-of-erectile-dysfunction
- Galvão DA, Newton RU, Taaffe DR, et al. Exercise and psychosexual education to improve sexual function in men with prostate cancer: a randomized clinical trial. JAMA Netw Open 2025;8:e250413. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2025.0413
- Rosen RC, Riley A, Wagner G, et al. The international index of erectile function (IIEF): a multidimensional scale for assessment of erectile dysfunction. Urology 1997;49:822-30. DOI: 10.1016/s0090-4295(97)00238-0
Auteurs
Tock R.
MSc Infirmières
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Code
C61, F52
P08, Y77
Ajoutez un commentaire
Commentaires