Revue d'Evidence-Based Medicine



Choix et signification des critères de jugement primaires et secondaires dans les synthèses méthodiques



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 10 Page 128 - 128

Professions de santé


Les synthèses méthodiques, comme celles de la Cochrane Collaboration, visent à récapituler les preuves existantes concernant l’effet d’une intervention pour une affection déterminée dans une population donnée. Les auteurs des synthèses méthodiques commencent par formuler une question clinique claire (éventuellement en ayant recours à la méthode PICO) (1). À partir de là, ils fixent les critères d’inclusion et d’exclusion et choisissent les critères de jugement (de préférence dans un protocole publié au préalable). Ce n’est qu’ensuite qu’ils recherchent les études pertinentes dans la littérature. On ne sait pas toujours ce qui détermine le choix des critères de jugement primaires et secondaires d’une synthèse méthodique, ni comment ils se rapportent aux critères de jugement des études originales trouvées. Le manuel Cochrane de Higgins présente une série de critères spécifiques pour ce choix.

Premièrement, Higgins et al. élaborent une liste de critères de jugement pertinents, cohérents avec la question clinique, et qui aient de l’importance pour le patient, pour les prises de décisions cliniques, pour les responsables politiques et pour la société. À ce propos, il convient d’éviter autant que possible les critères de jugement intermédiaires dont la pertinence clinique est (très) discutable (2,3). En outre, des critères de jugement pertinents pour les cliniciens peuvent ne pas l’être, ou moins, pour les patients ou pour les pouvoirs publics. Par exemple dans le traitement anticancéreux, le clinicien sera (plus) intéressé par un allongement de l’espérance de vie, tandis que la qualité de vie est un critère de jugement tout aussi relevant, voire plus, pour le patient.

Ensuite, cette liste est présentée par ordre de pertinence, et les 7 premiers critères de jugement sont retenus. Parmi ces derniers, on retient au maximum 3 critères de jugement primaires qui mesurent au moins un effet favorable et un effet défavorable. Ces critères de jugement seront ultérieurement rapportés dans le résumé de la synthèse méthodique. Les autres critères de jugement de la liste élaborée seront considérés comme des critères de jugement secondaires.

Dans la pratique, ce processus ne se déroule pas toujours correctement et plusieurs problèmes peuvent se présenter. Il faut éviter que le choix des critères de jugement primaires dépende des critères de jugement les plus utilisés ou ceux dont on sait qu’ils ont montré une bonne efficacité dans les études cliniques randomisées (RCTs) déjà publiées. N’oublions pas que, fréquemment, les RCTs rapportent seulement les critères de jugement significatifs (4,5). Il est souvent impossible d’éviter ce biais parce que les auteurs des synthèses méthodiques, du fait de leur expertise sur le sujet, connaissent déjà la plupart des RCTs, voire y ont eux-mêmes participé. Si en outre le critère de jugement primaire choisi n’est traité dans aucune RCT la conclusion finale de la synthèse méthodique sera très décevante. C’était le cas dans la synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration portant sur la rosacée (6,7) où pour le critère de jugement « qualité de vie » que peu de RCTs ont pu être retenues. Dans une autre synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration portant sur la planification des soins, on a constaté le manque d'études avec des critères de jugement individualisés cliniquement pertinents. Conclure à un manque de preuves sur un critère de jugement important devrait à l’avenir inciter les scientifiques à approfondir la recherche sur ce thème. On ne peut tirer de conclusions fermes d’une synthèse méthodique que si les RCTs permettent de répondre à des critères de jugement primaires et secondaires pertinents.

Pour certaines pathologies, il apparaît que les différentes études utilisent un nombre très élevé de critères de jugement et toute une panoplie d’instruments de mesure, ce qui ne permet évidemment pas d’effectuer une méta-analyse rigoureuse. Ainsi, dans la synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration sur la planification des soins, il n’a pas été possible d’effectuer de méta-analyse pour de nombreux critères de jugement car les RCTs retenues utilisaient des définitions et des instruments de mesure (8,9) différents.

Compte tenu des enjeux, il vaudrait mieux confier l’élaboration de la liste des critères de jugement pertinents à un groupe distinct et indépendant composé de patients, de cliniciens, de scientifiques, de statisticiens et de responsables politiques. Sur ce plan, des initiatives ont déjà été prises pour certaines pathologies comme la polyarthrite rhumatoïde et d’autres pathologies pédiatriques spécifiques (10,11). La synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration sur la planification des soins (8,9) a également inclus un groupe de patients dans le but, notamment, de réfléchir aussi au choix des critères de jugement.

Dans les RCTs, le nombre requis de participants se calcule à partir des critères de jugement primaires (12). Il peut arriver qu’en raison d’un manque de participants (et donc de puissance), les critères de jugement secondaires ne soient pas statistiquement significatifs. L’avantage d’une méta-analyse est justement que la sommation concerne aussi des critères de jugement secondaires provenant de différentes études, permettant ainsi de pallier au manque initial de participants. La précision des résultats concernant l’ampleur de l’effet est ainsi augmentée. C’est pourquoi Roberts et al. recommandent que les auteurs de méta-analyses estiment davantage préalablement la taille de l’échantillon pour leurs critères de jugement primaires (13). Cela leur permettrait de vérifier si le nombre disponible de participants est suffisamment élevé pour permettre de donner des commentaires solides sur les critères de jugement primaires. Si pour une synthèse méthodique, des effets indésirables importants comme critères de jugement primaires sont choisis (comme c’est recommandé), il ne sera pas toujours possible d’utiliser une méta-analyse pour formuler des conclusions fermes parce que, le plus souvent, les études à grande échelle avec un suivi de longue durée feront défaut. C’est notamment le cas dans la synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration sur la planification des soins, dans laquelle une seule étude rapportant des résultats concernant les effets indésirables liés à l’intervention étudiée a été trouvée (8,9).

Beaucoup de choses sont encore à améliorer en matière de recherche scientifique. Le choix correct et valide des critères de jugement primaires et secondaires, tant dans les RCTs que dans les synthèses méthodiques, en sont un enjeu important.

 

 

Références

  1. Higgins JP, Green S (editors). Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions. Version 5.1.0 [updated March 2011]. The Cochrane Collaboration, 2011. Available from www.cochrane-handbook.org.
  2. Chevalier P. Fiabilité limitée des résultats sur des critères intermédiaires. MinervaF 2014;13(7):90.
  3. Chevalier P. Critères intermédiaires et critères d’évènements cliniques pertinents : ampleur d’effet différente. MinervaF 2014;13(9):116.
  4. Page MJ, McKenzie JE, Kirkham J, et al. Bias due to selective inclusion and reporting of outcomes and analyses in systematic reviews of randomised trials of healthcare interventions. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 10.
  5. Chevalier P. Biais de sélectivité lors du choix et du rapport des résultats. MinervaF 2014;13(5):64.
  6. Poelman T. Quel traitement dans la rosacée ? MinervaF 2015;14(10):126-7.
  7. van Zuuren EJ, Fedorowicz Z, Carter B, et al. Interventions for rosacea. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 4.
  8. Boeckxstaens P. Planification de soins personnalisés en cas de maladie chronique ? MinervaF 2015;14(10):124-5.
  9. Coulter A, Entwistle VA, Eccles A, et al. Personalised care planning for adults with chronic or long-term health conditions. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 3.
  10. Clarke M. Standardising outcomes for clinical trials and systematic reviews. Trials 2007;8:39.
  11. Sinha I, Jones L, Smyth RL, Williamson PR. A systematic review of studies that aim to determine which outcomes to measure in clinical trials in children. PLoS Med 2008;5:e96.
  12. Chevalier P. Taille de l’échantillon d’une étude. Calcul et informations mentionnées dans les publications. MinervaF 2010;9(4):52.
  13. Roberts I, Ker K, Edwards P, et al. The knowledge system underpinning healthcare is not fit for purpose and must change. BMJ 2015;350:h2463.

 

 


Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
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