Revue d'Evidence-Based Medicine
Asthme mal contrôlé sous CSI chez l’adulte : ajout de LAMA ou de LABA ?
Contexte
Les deux buts majeurs du traitement de l’asthme sont le contrôle des symptômes quotidiens et la prévention des exacerbations aiguës. Une étude a montré chez des asthmatiques mal contrôlés sous CSI seuls, que 30% d’entre eux le restaient malgré l’adjonction à leur traitement de LABA (long-acting beta2 agonist) (1). Les LAMA (long-acting muscarinic antagonists) ont montré une certaine efficacité pour prévenir les exacerbations dans la BPCO (2). Dans l’asthme mal contrôlé sous CSI seuls, des études cliniques randomisées (RCT) récentes ont évalué l’ajout du tiotropium (un LAMA) versus l’ajout de salmétérol (un LABA), dont l’une d’entre elles a été discutée en 2010 dans Minerva (3,4). Une synthèse méthodique comparant les deux options était donc utile.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyse
Sources consultées
- les auteurs ont identifié les RCTs à partir du registre spécialisé du groupe Cochrane sur les voies respiratoires: CENTRAL, MEDLINE, EMBASE, CINHAL, AMED et PsycINFO jusqu’en avril 2015
- recherche manuelle des journaux respiratoires et des abstracts de congrès et consultation de ClinicalTrials.gov, de l’OMS et des registres des études de l’industrie pharmaceutique et recherche de références supplémentaires.
Etudes sélectionnées
- sélection des RCTs en parallèle ou en permutation d’une durée d’au moins 12 semaines comparant un LAMA ou un LABA en ajout à un CSI
- 8 RCTs retenues mais seuls les résultats de 4 études ont été pris en compte dans la méta-analyse
- la durée variait de 14 à 24 semaines
- toutes les études incluses dans la méta-analyse comparaient le tiotropium (généralement administré avec l’inhalateur Respimat®) au salmétérol, associés tous deux avec des CSI utilisés à doses moyennes
- exclusion des RCTs avec des patients souffrant d’autres pathologies respiratoires chroniques (BPCO, bronchiectasies).
Population étudiée
- 2022 adultes (> 18 ans, moyenne de 37 à 45 ans) souffrant d’un asthme mal contrôlé sous CSI seuls.
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires : les exacerbations de l’asthme nécessitant des corticostéroïdes oraux (CSO), la qualité de vie (AQLQ) et tout effet indésirable sérieux
- critères de jugement secondaires : les exacerbations avec hospitalisations, le VEMS de fin de dose et un score composite sur la qualité du contrôle de l’asthme selon la perspective du patient (ACQ, Asthma Control Questionnaire) et enfin, l’ensemble des effets indésirables
- analyse avec modèle d'effets aléatoires, les odds ratios (rapports de cotes ou OR) ont été utilisés pour les résultats dichotomiques et la différence moyenne ou la différence moyenne standardisée pour les données continues.
Résultats
- critères de jugement primaires : voir le tableau ci-dessous. Aucun bénéfice cliniquement pertinent ne se dégage entre les 2 approches thérapeutiques.
Tableau. Résultats des critères de jugement primaires (à durée d’étude moyenne).
Critères primaires |
Comparaison entre ajout LABA vs LAMA |
Odds ratios (OR) ou différence moyenne (DM) (avec IC à 95%) |
Nombre de patients (nb RCT) |
Commentaires |
Exacerbations avec CSO à 23 semaines |
59/1000 vs 62/1000 |
OR 1,05 (0,50 à 2,18) |
1755 (3) |
pas de différence de l’ajout d’une molécule par rapport à l’autre |
AQLQ* Score moyen 22 semaines |
5,6 vs 5,48 (5,42 à 5,55) |
DM - 0,12 |
1745 (4) |
pas de différence cliniquement pertinente |
Effets indésirables sérieux. Durée moyenne de 22 semaines |
25/1000 vs 21/1000 |
OR 0,84 (0,41 à 1,73) |
2012 (4) |
pas de différence entre les 2 stratégies |
*Pour le score de qualité de vie AQLQ (va de 1 à 7, au plus le score est élevé, meilleure est la qualité de vie ; différence clinique minimale pertinente = 0,5)
- critères de jugement secondaires :
- pour le nombre de patients souffrant d’exacerbations requérant une hospitalisation : pas de différence entre les 2 stratégies
- pour l’ensemble des effets indésirables (sérieux ou légers) : pas de différence statistiquement significative
- pour le score de contrôle de l’asthme (ACQ) : petit bénéfice statistiquement significatif pour le LABA mais n’atteignant pas la pertinence clinique minimale
- pour le VEMS de fin de dose : petit bénéfice statistiquement significatif pour le LAMA, mais nettement sous le seuil reconnu cliniquement pertinent reconnu (100 - 140ml) puisque la marge supérieure de l’IC à 95% est à 90ml pour la différence
- le niveau de preuves des résultats n’est élevé que pour les scores AQLQ et ACQ. La qualité des niveaux de preuves des autres critères de jugement va de très faible à modérée.
Conclusion des auteurs
Les auteurs de cette synthèse méthodique avec méta-analyse de la Cochrane Collaboration concluent que chez les patients asthmatiques mal contrôlés sous CSI seuls, les études comparant l’ajout d’un LAMA (tiotropium) versus l’ajout d’un LABA (salmétérol) se limitent surtout à des études de moins de 6 mois, et qu’ils ne savent pas comment sont réalisées les comparaisons en termes d’exacerbations ou d’effets indésirables sérieux.
Les résultats montrent de petites différences retrouvées en faveur du LAMA sur le VEMS (qualité modérée de la preuve) et légèrement en faveur du LABA pour la qualité de vie (qualité élevée de la preuve) mais la taille des amplitudes d’effets sont faibles.
Les preuves sont actuellement trop limitées pour dire qu’un LAMA puisse remplacer un LABA comme thérapie complémentaire en cas d’asthme mal contrôlé sous CSI seuls, car les données relatives aux LABA sont mieux documentées dans cette indication.
Conflits d’intérêts des auteurs
Conflits d’intérêts non décrits.
Financement de l’étude
The National Institute for Health Research (NIHR) au Royaume-Uni.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
La recherche bibliographique semble avoir été remarquablement conduite et est allée au-delà des standards émis par ce qu’on appelle MECIR 2013, c’est à dire « Methodological Expectations of Cochrane Intervention Reviews » qui réunit en plusieurs tableaux la méthodologie à respecter pour la conduite et le rapport d’une synthèse méthodique consacrée aux interventions thérapeutiques (5). Deux auteurs ont indépendamment l’un de l’autre évalué la qualité méthodologique des études et les désaccords ont été soit résolus par consensus, soit par l’appel à un troisième auteur. Il n’y a pas eu d’exclusion d’études sur base de non-respect de l’insu. Les caractéristiques de chaque étude retenue ou exclue sont reprises dans des tableaux spécifiques à chacune d’entre elles. Les critères de jugement primaires retenus sont des critères pertinents pour les RCTs dans l’asthme. L’évaluation du risque de biais a été classiquement faite selon les critères de la Cochrane Collaboration (e.a. procédure de randomisation, secret de l'attribution, insu des participants et soignants, insu de l'évaluation des résultats, rapportage sélectif des résultats, données incomplètes). Le funnel plot à la recherche d’un biais de publication n’a pas été présenté car le nombre d’études retenues pour les différentes méta-analyses n’était pas suffisant. L’hétérogénéité de la méta-analyse a été estimée par les tests I2 et Chi2. Les sources d’hétérogénéité ont été analysées quand cela était possible par des analyses de sous-groupes spécifiées a priori.
Mise en perspective des résultats
Malgré la bonne qualité méthodologique de cette synthèse méthodique avec méta-analyse, les résultats observés sont d’une utilité limitée pour le clinicien par la paucité relative des données premières, la divergence des résultats entre études (nécessité d’un modèle d'effets aléatoires pour l’analyse), l’imprécision statistique des comparaisons effectuées se traduisant par des intervalles de confiance à 95% très larges, amenant souvent à une dévaluation de la qualité des preuves recueillies (GRADE), et par l’amplitude très faible de la taille des effets observés.
Dans l’asthme, les critères primaires importants pour l’EMA (6) et l’American Thoracic Society/European Respiratory Society (7) sont le nombre d’exacerbations, la qualité de vie, la fonction pulmonaire et un score composite qui apporte de l’information sur le contrôle de l’asthme par les patients eux-mêmes : l’Asthma Control Questionnaire (ACQ). Ces critères de jugement sont repris par cette méta-analyse, mais comme le montre la rubrique résultats, par exemple pour la nécessité du recours aux CSO dans le cadre d’une crise d’asthme, nous ne pouvons affirmer que les patients sous LAMA sont plus ou moins susceptibles de recourir aux CSO que les patients sous LABA. Dans cet exemple, la démarche inférentielle nous montre que globalement 3 patients de plus sur 1000 traités par LAMA, souffriraient d’une crise d’asthme nécessitant le recours aux CSO mais, toujours dû à l’imprécision des résultats (large intervalle de confiance) le résultat réel pourrait tout aussi bien statistiquement se situer entre 29 personnes en moins et 61 en plus !
Les significations statistiques retrouvées en faveur du LABA pour les scores de qualité de vie et de contrôle de l’asthme n’atteignent pas la pertinence clinique minimale. De même la signification statistique mesurée en faveur du tiotropium pour le VEMS de fin de dose est également sous le seuil de différence cliniquement significative et n’est pas soutenu par d’autres mesures de la fonction respiratoire comme les valeurs de la capacité vitale forcée de fin de dose qui n’est pas différente entre les deux options thérapeutiques.
Enfin, peu d’effets indésirables graves ont été mis en évidence dans l’analyse des 4 RCTs regroupant 2022 patients mais avec une durée limitée entre 14 et 24 semaines (voir tableau).
Conclusion de Minerva
Les preuves issues de cette synthèse méthodique avec méta-analyse de la Cochrane Collaboration avec comparaisons directes entre le tiotropium et le salmétérol en tant que traitement d'appoint d’un asthme insuffisamment contrôlé avec un CSI seul sont actuellement limitées à des études de moins de 6 mois et l’imprécision des résultats observés est importante, notamment parce que les comparaisons en termes d'exacerbations et d'événements indésirables graves sont peu adéquates. Compte tenu du corpus factuel bien plus conséquent sur les LABA, ceux-ci doivent rester le traitement d’appoint dans les situations où les CSI seuls ne parviennent pas à contrôler convenablement l’asthme. Des études actuellement en cours nous permettrons de renforcer ou d’infirmer ces recommandations.
Pour la pratique
Le guide GINA (8) dans son approche progressive du traitement de l’asthme recommande l’ajout aux doses de CSI d’un LABA aux stades 3 et 4. Pour le stade 4, il signale comme autre option l’ajout du tiotropium (LAMA) sous forme de Respimat®. Au vu du faible corpus de preuves actuelles et de l’absence de preuves d’un haut niveau, nous ne souscrivons pas à cette option complémentaire. De plus le tiotropium est une molécule plus chère que les LABA dont l’efficacité repose sur des preuves plus nombreuses et de qualité. Enfin, il semble que le risque d’effets indésirables graves sous LABA - toujours en association avec les CSI vu un risque accru de mortalité quand ils sont utilisés seuls - dans l’asthme insuffisamment contrôlé, serait majoré, en meilleure approximation, de 3/1000 en 3 mois, ce qui doit être mis en balance avec les bénéfices symptomatiques relevés par chaque patient (9).
Noms de marque
- tiotropium: Spiriva®
- salmeterol: Serevent®
Références
- Bateman ED, Boushey HA, Bousquet J, et al; GOAL Investigators Group. Can guideline-defined asthma control be achieved? The Gaining Optimal Asthma ControL study. Am J Respir Crit Care Med 2004;170:836-44.
- Karner C, Chong J, Poole P. Tiotropium versus placebo for chronic obstructive pulmonary disease. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 7.
- Peters SP, Kunselman SJ, Icitovic N, et al; National Heart, Lung, and Blood Institute Asthma Clinical Research Network. Tiotropium bromide step-up therapy for adults with uncontrolled asthma. N Engl J Med 2010;363:1715-26. (TALC-study)
- Chevalier P. Tiotropium pour l’asthme aussi ? MinervaF 2010;9(11):126-7.
- Cochrane Editorial Unit. Methodological Expectations of Cochrane Intervention Reviews (MECIR). Version 2.3. December 2013. http://editorial-unit.cochrane.org/mecir; et http://editorial-unit.cochrane.org/sites/editorial-unit.cochrane.org/files/uploads/MECIR_conduct_standards%202.3%2002122013_0.pdf
- European Medicines Agency, Committee for Medicinal Products for Human Use, 2013. Note for guidance on clinical investigation of medicinal products for treatment of asthma [draft online]. EMA, 2013.
- Reddel HK, Taylor DR, Bateman ED, et al. An official American Thoracic Society/European Respiratory Society Statement: asthma control and exacerbations. Am J Respir Crit Care Med 2009;180:59-99.
- Global Initiative for Asthma (GINA). Pocket guide for asthma management and prevention. GINA 2016:15-6.
- Cates CJ, Wieland LS, Oleszczuk M, Kew KM. Safety of regular formoterol or salmeterol in adults with asthma: an overview of Cochrane reviews. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 2.
Auteurs
Van Meerhaeghe A.
Service de Pneumologie et GERHPAC, Hôpital Vésale, CHU-Charleroi ; Laboratoire de Médecine Factuelle, ULB
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