Revue d'Evidence-Based Medicine
Tiotropium pour l’asthme aussi ?
Contexte
En cas de contrôle inadéquat de l’asthme chez un adulte par un traitement de corticostéroïdes inhalés (CSI) à doses légères à modérées, les guides de pratique recommandent d’y ajouter un β2-mimétique à longue durée d’action (LABA), un antagoniste des récepteurs des leucotriènes ou d’augmenter la dose de CSI (1). Pour traiter la crise d’asthme, l’ipratropium peut être utilisé en cas d’intolérance aux β2-mimétiques à courte durée d’action (SABA) (1). Pour le traitement de fond de l’asthme, les anticholinergiques ne sont actuellement pas recommandés. Le tiotropium pourrait-il être indiqué ?
Résumé
Population étudiée
- 826 patients asthmatiques (asthme confirmé par un test positif d’hypersensibilité bronchique ou une réversibilité sous bronchodilatateur), avec VEMS >40% de la valeur prédite, non fumeurs (<10 paquets-années), âgés d’au moins 18 ans (âge moyen de 42,2 ans (ET ±12,3 ans)) pour une période d’inclusion avant 2 études (BASALT avec asthme léger à modéré (n=342), étude TALC ici analysée (n=210) ou exclus ensuite (n=274))
- 210 patients dans TALC si pas de contre-indication à la semaine 4 d’inclusion au tiotropium, VEMS ≤70%, ou un asthme non contrôlé dans les 2 dernières semaines de la période d’inclusion (critères précis mentionnés) ; 33% d’hommes ; durée moyenne de l’asthme de 26,1±14,1 ans, IMC moyen de 31,4±8,8 kg/m²
- exclusion (non mentionnée dans la publication mais disponible sur le web) : médicaments pour l’asthme ou médicaments contre-indiqués en association avec les médicaments évalués, pathologie médicale significative ou affection pulmonaire autre que l’asthme, dysfonction des cordes vocales, infection respiratoire ou exacerbation d’asthme dans les 4 semaines précédentes, anamnèse d’asthme à risque vital dans les 5 années précédentes, grossesse ou absence de contraception si possibilité de grossesse, traitement d’hyposensibilisation autre qu’un traitement d’entretien reconnu, incapacité d’utilisation des dispositifs utilisés pour l’étude.
Protocole d’étude
- étude randomisée en permutation, en triple aveugle, contrôlée versus placebo
- période d’inclusion de 826 patients : traitement par béclométhasone 2 bouffées de 40 µg deux fois par jour (Qvar®) à l’exclusion de tout autre médicament anti-asthmatique
- étude TALC : en plus de la dose de béclométhasone, traitement successif par séquences de 14 semaines avec périodes de lavage de 2 semaines entre les séquences ; séquences de tiotropium (18 µg), salmétérol (50 µg) ou CSI doublé (80 µg 2 x/j) et placebo correspondant (donc chaque fois 3 aérosols différents) dans un ordre différent pour les 3 bras
- durée d’étude : 52 semaines
- valeurs basales réévaluées avant chaque séquence.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : Débit Expiratoire de Pointe (DEP) matinal
- critères secondaires : VEMs prébronchodilatation, nombre de jours avec asthme contrôlé (sans symptôme ni recours à un bronchodilatateur autre), symptômes d’asthme, recours à un bronchodilatateur, exacerbations d’asthme (symptômes accrus avec recours à un autre traitement), recours à des soins de santé, biomarqueurs de l’inflammation des voies respiratoires, questionnaires validés (Asthma Control Questionnaire, Asthma Symptom Utility Index, Asthma Quality-of-Life Questionnaire)
- analyse en intention de traiter.
Résultats
- 36 arrêts de traitement (15%)
- critère primaire, DEP matinal : 25,8 L/min plus haut sous tiotropium que sous CSI doublé (avec IC à 95% de 14,4 à 37,1 et p<0,001) ; pas de différence significative entre tiotropium et salmétérol (6,4 L/min avec IC à 95% de -4,8 à 17,5 et p=0,26)
- critères secondaires : pour le tiotropium versus CSI à double dose, amélioration significative du VEMs prébronchodilatation (p=0,004), du nombre de jours avec asthme contrôlé (différence de 0,079 ; p=0,01), du score de symptômes quotidiens (p<0,001), de l’Asthma Control Questionnaire (p=0,02) ; pas de différence significative pour ces critères entre le tiotropium et le salmétérol (sauf pour le VEMs pré-bronchodilatation).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que lorsqu’il est ajouté à un glucocorticoïde inhalé, le tiotropium améliore les symptômes et la fonction respiratoire chez des patients avec un asthme non contrôlé. Cette efficacité semble équivalente à celle de l’ajout de salmétérol.
Financement
National Heart, Lung, and Blood Institute ; aérosols de béclométhasone et de tiotropium (et placebo) fournis par les firmes Boeringher-Ingelheim et Teva commercialisant le tiotropium, qui ne sont intervenues à aucun stade de la recherche.
Conflits d’intérêt
15 des 33 auteurs déclarent une absence de conflit ; les autres déclarent avoir reçu des honoraires de différentes firmes à titres divers, dont 3 auteurs des honoraires provenant de la firme Boehringer-Ingelheim; cette firme a financé des recherches dans le cadre du NHLBI pour 6 des auteurs (mentionnés sur le site de la revue).
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette RCT est bâtie sur un protocole solide, mais les critères de répartition préférentielle dans une des 2 études (BASALT et TALC) ne sont pas mentionnés. L’étude est en permutation avec périodes de lavage. Ce type de protocole comprend un risque de persistance de l’effet du traitement précédent (carryover effects) et les auteurs l’observent effectivement, de manière minime pour les tests de fonction pulmonaire mais plus franchement pour les jours de contrôle de l’asthme. Cet effet est cependant corrigé dans les calculs qui se basent sur une comparaison avec les valeurs à l’initiation de chaque séquence de traitement. L’échantillon prévu initialement a été réduit (par déficit de recrutement ?) mais il est suffisant pour assurer une puissance de 90% pour le critère primaire avec un taux de sorties d’étude de 10% (qui est en fait de 15%), pour montrer une différence de 10,6 L/min pour le DEP matinal. Ce critère est déterminé par l’effet d’autres ajouts thérapeutiques (tiotropium ajouté aux CSI, CSI doublés) mais non en fonction de la pertinence clinique de cette différence. Ceci concerne l’étude de supériorité. Pour l’étude d’infériorité, la même borne est utilisée, et non une borne réduite (de moitié), ce qui n’est pas correct. Les auteurs acceptent que leur choix de critère primaire (DEP matinal) soit sujet à discussion mais le défendent en précisant qu’il est celui d’autres études et que les améliorations de la fonction pulmonaire acquises sous tiotropium s’accompagnent d’amélioration des symptômes de l’asthme et de la proportion des jours d’asthme contrôlé. Ces arguments ne sont pas recevables (voir paragraphe suivant).
Mise en perspective des résultats
Cette étude avance donc une supériorité de l’ajout de tiotropium versus doublement des doses de CSI et une non infériorité de l’ajout de tiotropium versus ajout de salmétérol. Il n’y a pas d’analyse statistique pour les exacerbations d’asthme, élément cependant mentionné comme critère secondaire dans le protocole d’étude. Ce critère est reconnu comme un indicateur de contrôle de la pathologie et d’utilisation de ressources (2) ; pour les LABAs une efficacité est montrée pour ce critère (3). Les auteurs de cette étude reconnaissent dans leur discussion la nécessité d’une évaluation pour ce critère avant de proposer de modifier la pratique.
Les doses de tiotropium et de salmétérol utilisées correspondent bien aux doses recommandées en Belgique ; pour le béclométhasone (QVAR) les doses utilisées de 160 et 320 µg par jour (en 2 administrations) sont légèrement inférieures aux doses quotidiennes utilisables et recommandées chez nous (200 à 400 µg par jour en 2x).
Une dose de CSI doublée est-elle un bon comparateur ? C’est effectivement une alternative à l’ajout d’un LABA telle que proposée dans les guides de pratique. Les auteurs soulignent eux-mêmes dans leur discussion les arguments non concordants d’études ou de synthèses de la Cochrane Collaboration (mais datant d’au moins 5 ans). Nous avons analysé une source plus récente (4) dans Minerva (5) qui ne montrait pas de différence significative d’un quadruplement de dose versus placebo pour le nombre des exacerbations nécessitant un recours à un corticostéroïde oral.
Soulignons enfin, comme d’autres (2), le nombre relativement faible de participants et la courte durée d’étude. Tous ces éléments invitent à attendre les résultats d’autres études (en cours) avant de conclure à l’efficacité du tiotropium dans le traitement d’entretien de l’asthme, en ajout à un CSI. Le traitement de base, comme il se doit dans l’asthme, reste un CSI.
Effets indésirables
Si une non infériorité (au moins) du tiotropium versus LABA, en ajout à un CSI, est confirmée dans l’asthme, le débat deviendra plus âpre concernant leurs effets indésirables respectifs. Ce débat a déjà eu lieu pour le traitement de la BPCO. Pour les LABAs, après une attaque en règle (6,7), l’analyse de l’étude TORCH (8,9) et une méta-analyse (10,11) mettaient en doute la surmortalité évoquée avec les LABAs dans la première méta-analyse. Pour le tiotropium, une première méta-analyse (12) jetait un doute sur la sécurité cardiovasculaire des anticholinergiques, mais ce risque était ensuite rejeté dans une méta-analyse concernant le tiotropium (13,14) tout en étant confirmé pour l’ipratropium (15,16).
Pour le traitement de l’asthme, une méta-analyse (17,18) montre pour les LABAs versus placebo, un risque accru d’exacerbations sévères et même de décès chez des patients asthmatiques. Un effet protecteur des corticostéroïdes inhalés contre ce risque lié aux LABAs a fait l’objet de très nombreuses discussions et la FDA, sur base d’une revue de la littérature et consensus d’experts, a recommandé de ne plus utiliser les LABAs sans CSI dans l’asthme (19).
La reconnaissance d’une indication traitement de l’asthme pour le tiotropium entraînerait très probablement la publication de nombreuses études contradictoires sur les effets indésirables des LABAs et du tiotropium dans l’asthme.
Pour la pratique
En cas de non contrôle de l’asthme par une dose faible de corticostéroïdes inhalés (CSI), les guides de pratique (1) recommandent d’y ajouter un LABA, un antagoniste des récepteurs des leucotriènes ou de doubler la dose de CSI. Cette étude montre que le tiotropium pourrait être une alternative mais il est trop tôt, par manque de preuve solide d’efficacité et de sécurité, pour conclure à la nécessité d’un changement des recommandations actuelles.
Conclusion
Cette étude de courte durée et sur un nombre faible de patients adultes asthmatiques montre que l’ajout du tiotropium à un CSI à faible dose en cas d’asthme mal contrôlé est supérieur au doublement de la dose de CSI et non inférieur à l’ajout de salmétérol. Les limites de cette étude demandent confirmation de ses résultats.
Références
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Noms de médicaments
Tiotropium: Spiriva®
Salmétérol: Serevent®
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