Revue d'Evidence-Based Medicine
La faisabilité et les effets sur la santé d’une déprescription
Minerva 2017 Volume 16 Numéro 3 Page 65 - 68
Professions de santé
Médecin généralisteContexte
Une polymédication est source d’interactions médicamenteuses, d’effets indésirables (1), de risque accru de chutes, de dépendance, de mortalité, d’altérations cognitives (2), d’hospitalisations (3). C’est l’aspect inapproprié d’une polymédication plus que le nombre de médicaments en lui-même qui pose question chez les personnes âgées (4,5). Une abstention de prescription (6), appelée déprescription (sans définition consensuelle universelle de ce terme (7)), est recherchée afin de diminuer le risque iatrogénique lié à cette polymédication plus particulièrement encore quand elle est inappropriée. Une synthèse méthodique a analysé la faisabilité d’une déprescription chez les personnes âgées ainsi que son efficacité sur la mortalité, sur la santé physique et psychologique, sur les fonctions cognitives.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyses
Sources consultées
- bases de données : EbscoHost (CINAHL Plus, Health Source : Nursing/Academic Edition, Academic Search Premier), Ovid (Medline, DARE), Scopus, Web of Science, Embase, ProQuest pour les études publiées et la littérature grise
- recherche des études en cours via le National Institutes of Health trials Register, l’Australian New Zealand Clinical Trials Registry et l’European Union Clinical Trials Register
- contact avec les auteurs originaux en cas de données manquantes.
Etudes sélectionnées
- études évaluant une déprescription, par un professionnel de la santé, d’un ou de plusieurs médicament(s) prescrit(s) et dont le but était d’évaluer la déprescription ; études concernant des médicaments disponibles en 2015 en Australie, Nouvelle Zélande, Royaume-Uni, Canada ou aux E-U
- études expérimentales ou d’observation : RCTs (N = 56), études contrôlées quasi randomisées ou non randomisées mais contrôlées (N = 22), études d’observation de cohorte prospectives ou rétrospectives, cas-contrôles ou sans contrôle (avec comparaison historique, 2 bras d’étude ou davantage, études avant-après) (N = 37)
- études publiées en anglais
- exclusion des études incluant des patients moribonds, des patients en soins de fin de vie ou palliatifs
- pas d’exclusion en fonction du contexte d’étude
- études classées comme éducatives (réduction du traitement médicamenteux via des comportements modifiés) ou spécifiques au patient (médicaments cibles à déprescrire, identifiés chez le patient, avec recommandation au prescripteur de ne plus le prescrire)
- inclusion de 132 publications ; durée moyenne pondérée de suivi : 15,5 ± 17,4 mois ; majorité d’études avec 1 seule déprescription (1 médicament précis visé ou une classe de médicaments ou un groupe thérapeutique (antihypertenseur par exemple) ; 18 interventions spécifiques pour le patient (à l’initiation de médecins, de pharmaciens, d’une infirmière ou multidisciplinaire).
Populations étudiées
- patients âgés d’au moins 65 ans, consommant au moins un médicament régulièrement, bénéficiant de la déprescription d’au moins un médicament
- inclusion d’un total de 34143 patients, âge moyen de 73,8 (± 5,4) ans, 51,8% d’hommes ; âge moyen > 80 ans dans 38 études ; 33 études incluant des patients atteints de démence
- contexte des études : hospitalier, résidentiel, hors institution ou contexte mixte.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : mortalité
- critères de jugement secondaires : effets indésirables liés l’arrêt du médicament, critères concernant la santé psychologique et physique, la qualité de vie, la prise de médicaments (déprescription avec succès, nombre de médicaments prescrits, prise médicamenteuse potentiellement inappropriée).
Résultats
- critère de jugement primaire : mortalité
- dans les RCTs (N = 10, n = 3151) : diminution non significative de la mortalité : OR à 0,82 avec IC à 95% de 0,61 à 1,11 (I2 de 23%)
- dans les études non randomisées (N = 2, n= 257) : diminution statistiquement significative de la mortalité : OR à 0,32 avec IC à 95% de 0,17 à 0,60
- analyses en sous-groupes :
- pour les interventions spécifiques au patient (médicaments cibles à déprescrire, identifiés chez le patient, avec recommandation au prescripteur de ne plus le prescrire) (N = 8, n = 1906) : diminution statistiquement significative de la mortalité : OR à 0,62 avec IC à 95% de 0,43 à 0,88 (I2 de 0%)
- pour les programmes éducationnels généraux (réduction du traitement médicamenteux via des comportements modifiés) (N = 2, n= 1245) : pas de diminution statistiquement significative de la mortalité : OR à 1,21 avec IC à 95% de 0,86 à 1,69
- pas de réduction statistiquement significative de la mortalité pour les personnes âgées de plus de 80 ans, ni pour les personnes démentes, ni pour les personnes avec fonctions cognitives préservées
- critères secondaires
- pas d’augmentation significative des effets indésirables liés à l’arrêt des médicaments ; pas de réduction significative du nombre de chuteurs mais bien du nombre (fréquence) des chutes chez les patients ayant des antécédents de chute : DM de -0,11 avec IC à 95% de -0,21 à -0,02 ; n = 844 ; N = 3) ; pas de modification significative des capacités cognitives, ni de la qualité de vie
- réduction du nombre de médicaments pris et du nombre de prescriptions potentiellement inappropriées.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que bien que les données d’études non randomisées suggèrent qu’une déprescription réduise la mortalité, la déprescription ne modifie pas la mortalité dans les études randomisées. La mortalité est significativement réduite dans les RCTs lors de l’application d’interventions spécifiques au patient pour déprescrire.
Financement de l’étude
Aucun n’est mentionné.
Conflits d’intérêts des auteurs
Un auteur déclare avoir reçu une bourse universitaire, un deuxième une subvention du National Health and Medical Research Council (NHMRC australien), 2 autres déclarent une absence de subsidiassions.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Deux chercheurs ont lu les articles isolés et décidé de leur inclusion ou non, évalué la qualité méthodologique de la publication (recherche des risques de biais selon le Cochrane Handbook et le Newcastle-Ottawa tool) et extrait les données. Pour les RCTs, en cas d’hétérogénéité, c’est une analyse en modèle d’effets aléatoires qui a été utilisée, et il a été tenu compte d’une randomisation en grappes ou non. La limite la plus importante de cette synthèse est, malgré les critères extrêmement généreux pour l’inclusion des études, la faiblesse de la récolte. Un effet favorable d’une déprescription dans les études non randomisées repose sur 2 petites études, avec un total de 257 patients. Un effet favorable dans les RCTs évaluant une intervention spécifique au patient (médicaments cibles à déprescrire, identifiés chez le patient, avec recommandation au prescripteur de ne plus le prescrire) repose sur 8 études avec un total de 1906 patients, mais l’intervalle de confiance est large et le résultat n’est significatif dans aucune des RCTs incluses. La qualité méthodologique des RCTs est souvent faible avec des risques de biais parfois importants (particulièrement en ce qui concerne l’insu). Les auteurs se sont également limités aux études publiées en anglais. L’hétérogénéité clinique des patients inclus dans les différentes études est reconnue par les auteurs de cette synthèse : âge, statut de santé, contexte d’étude, en plus de durées variables de suivi.
Interprétation des résultats
La définition de la déprescription n’est actuellement pas consensuelle : 37 définitions dans 231 articles lors d’une recherche systématique dans la littérature (7). Les auteurs de cette dernière recherche insistent, entre autres, sur 2 aspects : l’arrêt d’un médicament inapproprié afin de gérer une polypharmacie et d’améliorer les résultats pour des critères (cliniques). Les auteurs de la synthèse que nous analysons ici ont opté pour une définition reprenant les principaux éléments de cette approche de la déprescription.
Les auteurs concluent que leur synthèse suggère qu’une déprescription est faisable… sans bien argumenter pourquoi sinon que les études originales visaient plus à établir la faisabilité de l’intervention que son effet sur la mortalité.
Par ailleurs, en fonction de la vision du lecteur d’une bouteille à moitié vide ou à moitié pleine, cette synthèse de la littérature apparaît décevante ou prometteuse.
Une réduction du nombre de médicaments pris et des prescriptions potentiellement inappropriées, une réduction de la fréquence des chutes sont intéressantes mais elles devraient être accompagnées de la preuve d’une réduction de la morbi-mortalité.
Cette synthèse suggère l’intérêt en termes de mortalité d’interventions de déprescription spécifiques au patient, avec identification des médicaments cibles à déprescrire et avec une révision médicamenteuse par le prescripteur. Il reste à mieux étayer l’efficacité d’interventions précises, pour des populations bien caractérisées, dans des études de durée suffisante.
D’un autre point de vue, montrer qu’une déprescription n’augmente pas la mortalité, n’est-ce pas un argument suffisamment intéressant ? Comme signalé plus haut, l’hétérogénéité clinique des patients inclus dans les études est un obstacle important pour répondre utilement à la précédente question.
Mise en perspective des résultats
Une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration publiée en 2016 (8) évaluant les interventions visant à optimiser la prescription chez des personnes âgées en maison de repos aboutit à des conclusions semblables : variabilité des dessins d’études, des interventions, des critères et des résultats, variabilité trop importante pour pouvoir conclure ; absence de preuves d’un effet concordant pour des critères concernant les résidents.
Les preuves d’un intérêt de ce type d’intervention sont limitées à une réduction des prescriptions potentiellement inappropriées chez des personnes âgées d’au moins 65 ans (9). Chez des personnes âgées restées au domicile, les preuves d’efficacité sont limitées également à ce même critère, avec une ampleur d’effet faible (10).
Une autre synthèse méthodique avec méta-analyses (11), évaluant l’intérêt des stratégies visant à réduire la polypharmacie en termes d’évènements cliniques pertinents, a inclus 21 RCTs et 4 études contrôlées non randomisées, pour un total de 10980 patients. Publiée à peu près en même temps que celle que nous analysons plus largement ici, elle aboutit aux mêmes conclusions : absence de preuves convaincantes des stratégies évaluées en termes d’impact sur des évènements cliniques pertinents.
Conclusion de Minerva
Cette synthèse de la littérature regroupant les résultats d’études de niveaux de preuves (fort) différents, ne montre pas d’intérêt d’interventions de déprescription médicamenteuse en termes de diminution de la mortalité. Elle suggère l’intérêt d’interventions ciblées spécifiques au patient.
Pour la pratique
Une polymédication inappropriée chez une personne âgée est une source de morbi-mortalité accrue. S’abstenir de prescrire (alias déprescrire) fait partie d’une démarche clinique basée sur les éléments apportés par la médecine factuelle (6). Il n’existe cependant pas, à l’heure actuelle, de guide de pratique concernant la déprescription. Les stratégies visant à réduire la polypharmacie, c’est-à-dire à déprescrire, chez les personnes âgées, n’ont pas, à ce jour, apporté la preuve de leur efficacité en termes de réduction de survenue d’évènements cliniques de morbi-mortalité. La présente synthèse confirme cette absence de preuves mais ne montre pas non plus que ces stratégies soient associées à une augmentation de la mortalité. Simultanément, elle suggère un intérêt potentiel, à préciser et à confirmer, d’interventions bien individuellement ciblées.
- Field TS, Gurwitz JH, Avorn J, et al. Risk factors for adverse drug events among nursing home residents. Arch Intern Med 2001;161:1629-34. DOI: 10.1001/archinte.161.13.1629
- Gnjidic D, Hilmer SN, Blyth FM, et al. Polypharmacy cutoff and outcomes: five or more medicines were used to identify community-dwelling older men at risk of different adverse outcomes. J Clin Epidemiol 2012;65:989-95. DOI: 10.1016/j.jclinepi.2012.02.018
- Page RL, Ruscin JM. The risk of adverse drug events and hospital-related morbidity and mortality among older adults with potentially inappropriate medication use. Am J Geriatr Pharmacother 2006;4:297-305. DOI: 10.1016/j.amjopharm.2006.12.008
- Bogaert M, Christiaens T, De Meyere M. Une polymédication inéluctable en EBM ? [Editorial] MinervaF 2005;4(8):115-6.
- Symposium « Polymédication dans le cadre d’une utilisation rationnelle des médicaments chez la personne âgée ». INAMI, 3/12/2015.
- Chevalier P. S’abstenir de prescrire. [Editorial] MinervaF 2016;15(5):108-9.
- Reeve E, Gnjidic D, Long J, Hilmer S. A systematic review of the emerging definition of 'deprescribing' with network analysis: implications for future research and clinical practice. Br J Clin Pharmacol 2015;80:1254-68. DOI: 10.1111/bcp.12732
- Alldred DP, Kennedy MC, Hughes C, et al. Interventions to optimise prescribing for older people in care homes. Cochrane Database Syst Rev 2016, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD009095.pub3
- Cooper JA, Cadogan CA, Patterson SM, et al. Interventions to improve the appropriate use of polypharmacy in older people: a Cochrane systematic review. BMJ Open 2015;5:e009235. DOI: 10.1136/bmjopen-2015-009235
- Clyne B, Fitzgerald C, Quinlan A, et al. Interventions to address potentially inappropriate prescribing in community-dwelling older adults: a systematic review of randomized controlled trials. J Am Geriatr Soc 2016;64:1210-22. DOI: 10.1111/jgs.14133
- Johansson T, Abuzahra ME, Keller S, et al. Impact of strategies to reduce polypharmacy on clinically relevant endpoints: a systematic review and meta-analysis. Br J Clin Pharmacol 2016;82:532-48. DOI: 10.1111/bcp.12959
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