Revue d'Evidence-Based Medicine
Antibiotiques en cas d’otite moyenne séromuqueuse chez l’enfant ?
Minerva 2017 Volume 16 Numéro 4 Page 88 - 91
Professions de santé
Médecin généraliste, PharmacienContexte
Avant l’âge de 4 ans, 50 à 80% des enfants développent au moins un épisode d’OMS (1-3). L’OMS est la première cause d’intervention chirurgicale (drains transtympaniques, (adénoïdectomie) dans la petite enfance (1,4). Chez un enfant sur trois, on observe cependant une résolution spontanée dans les 3 mois après le diagnostic (5). La récidive est fréquente et elle survient, dans 50% des cas, au cours des 24 mois qui suivent la guérison (6). Certaines études suggèrent une étiologie bactérienne de l’OMS (7,8). C’est pour cette raison que plusieurs études ont recherché l’effet des antibiotiques pour le traitement de l’OMS.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique et méta-analyse
Sources consultées
- Cochrane ENT Trials Register, Cochrane Central Register of Controlled Trials, PubMed, Ovid EMBASE, Ovid CAB Abstracts, EBSCO CINAHL, LILACS, KoreaMed, IndMed, PakMediNet, Web of Knowledge/Web of Science, ClinicalTrials.gov, World Health Organization International Clinical Trials Registry Platform, ISRCTN, Google Scholar, Google, jusqu’en avril 2016; BIOSIS jusqu’en février 2012
- les listes de références des publications trouvées ; les auteurs des études menées
- pas de restriction quant à la langue de publication, à l’année de publication et au statut de publication.
Études sélectionnées
- 23 études contrôlées randomisées (RCTs) comparant des antibiotiques de toute classe administrés per os pendant n’importe quelle durée, avec un placebo, l’absence de traitement ou un traitement sans effet démontré (antihistaminiques, décongestionnants, mucolytiques, corticostéroïdes intranasaux)
- exclusion des études quasi-randomisées et des études avec randomisation par grappes, ainsi que des études comparant deux antibiotiques.
Population étudiée
- 3258 enfants âgés de maximum 18 ans (âge moyen de 4,7 ans), 54% de garçons, présentant une OMS unilatérale ou bilatérale (73%), diagnostiquée à partir d’une tympanométrie seule ou en combinaison avec une otoscopie, présente depuis 10,6 semaines en moyenne
- exclusion des enfants ayant des drains transtympaniques, une otite moyenne suppurative chronique, une immunodéficience connue, le syndrome de Down, une malformation crâniofaciale (comme une fente palatine).
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires : résolution complète de l’OMS 2 à 3 mois après la randomisation, confirmée à la tympanométrie seule ou en combinaison avec une otoscopie ; effets indésirables (diarrhée, vomissements et éruption cutanée)
- critères de jugement secondaires : résolution complète de l’OMS à tout moment, développement de l’audition, du langage et de la parole, développement cognitif, qualité de vie, mise en place de drains transtympaniques, anomalies du tympan, épisodes d’otite moyenne aiguë (OMA).
Résultats
- critères de jugement primaires :
- avec les antibiotiques administrés per os, versus contrôle, on a observé, de manière statistiquement significative, plus de chances de résolution complète de l’OMS 2 à 3 mois après la randomisation (risque relatif (RR) 2,00 avec IC à 95% de 1,58 à 2,53 ; nombre de sujets à traiter (NST) 5 ; N = 6 études ; n = 484 enfants ; I² 33% ; niveau de preuve moyen)
- le risque d’effets indésirables était accru (RR 2,15 avec IC à 95% de 1,29 à 3,60 ; nombre nécessaire pour nuire (NNN) 20 ; N = 5 études ; n = 742 enfants ; I² 0% ; niveau de preuve faible)
- critères de jugement secondaires :
- avec les antibiotiques administrés per os, versus contrôle, on a observé, de manière statistiquement significative, plus de chances de résolution complète de l’OMS tant à court terme (2 à 4 semaines) (RR 1,98 avec IC à 95% de 1,47 à 2,67 ; NST 5 ; N = 14 études ; n = 2091 enfants ; I² 71% (niveau de preuve faible) qu’à long terme (6 mois) (RR 1,75 avec IC à 95% de 1,41 à 2,18 ; NST 6 ; N = 5 études ; n = 606 enfants ; I² 71 % ; niveau de preuve faible)
- versus contrôle, les chances de résolution de l’OMS étaient plus élevées, et ce de manière statistiquement significative, après une cure d’antibiotiques administrés per os, tant de 10 à 14 jours (N = 6 études) que de 4 semaines (N = 4 études) et 3 mois (N = 2 études), mais pas à 6 mois (N = 2 études)
- avec les antibiotiques administrés per os, versus contrôle, on a observé, de manière statistiquement significative, moins de risques d’OMA, que ce soit dans les 4 à 8 semaines (RR 0,60 avec IC à 95% de 0,42 à 0,85 ; NST 18 ; N = 5 études ; n = 1086 enfants ; I² 0 % ; niveau de preuve faible) ou dans les 6 mois (RR 0,56 avec IC à 95% de 0,40 à 0,80 ; NST 5 ; N = 2 études ; n = 199 enfants ; I² 61%; niveau de preuve faible) après le traitement
- pas de différence quant aux perforations du tympan après 6 mois (N = 1 étude)
- pas de différence quant au nombre d’enfants chez qui des drains transtympaniques ont été posés (N = 2 études)
- pas de données concernant le développement du langage, de la parole, le développement cognitif et la qualité de vie.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que cette synthèse méthodique montre que l’utilisation d’antibiotiques administrés per os pour traiter l’OMS chez les enfants âgés de maximum 16 ans a des avantages et des inconvénients. Bien qu’il existe des faits probants indiquant que la prise d’antibiotiques per os s’accompagne de meilleures chances de résolution complète de l’OMS à différents moments d’évaluation, il existe aussi des preuves qui indiquent un risque accru de diarrhée, de vomissement et d’éruption cutanée chez ces enfants. L’impact des antibiotiques sur l’audition à court terme reste inconnu ; par ailleurs, des faits probants de faible qualité montrent que les antibiotiques ne sont pas associés à une diminution de la pose de drains transtympaniques. On ne dispose pas de données concernant l’impact des antibiotiques sur le développement de la parole, du langage, sur le développement cognitif ou la qualité de vie. L’avantage de l’utilisation d’antibiotiques dans certaines circonstances doit en outre être soigneusement pesé en regard des effets indésirables et du possible développement d’une résistance bactérienne. La résistance bactérienne est spécifiquement liée à l’usage généralisé des antibiotiques dans des affections fréquentes comme l’otite moyenne.
Financement de l’étude
The National Institute for Health Research, Cochrane Infrastructure, Cochrane Programme Grant et Cochrane Incentive funding for Cochrane ENT.
Conflits d’intérêts des auteurs
Un auteur a reçu des honoraires de GlaxoSmithKline pour des ateliers ainsi que des fonds pour la recherche. Aucun conflit d’intérêts n’a pu être identifié pour les autres auteurs.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration a uniquement inclus des études randomisées contrôlées. Un grand nombre de sources ont été consultées. Il n’y avait pas de restriction quant à la langue de publication, au statut de publication ou à la date de publication. La qualité méthodologique des études a été évaluée par deux chercheurs indépendants. La méthode de randomisation et la préservation du secret d'attribution (concealment of allocation) ont été correctement décrites seulement dans respectivement 8 et 6 études. Les participants et les chercheurs étaient correctement soumis à l’insu dans 11 études, et la mesure de l’effet a été réalisée en aveugle dans toutes les études. La résolution de l’OMS a généralement été évaluée par tympanométrie. Dans les études menées en deuxième ligne, la sensibilité de la tympanométrie s’est avérée élevée (84 à 93%), tandis que la spécificité faible (70 à 79%), engendrant 20 à 30% de faux-positifs (9). L’extraction des données a, elle aussi, été effectuée par deux chercheurs indépendants. Les études ont montré une grande hétérogénéité clinique en ce qui concerne les participants (notamment en termes de gravité de l’affection), les critères de jugement, les moments de suivi, les interventions (type d’antibiotiques, durée du traitement) et les contrôles. Outre le placebo, les interventions contrôles utilisées dans près de la moitié des cas étaient des antihistaminiques (10), des décongestionnants (10), des mucolytiques (11) ou des corticostéroïdes intranasaux (1,12,13), dont l’inefficacité dans le traitement de l’OMS a déjà été montrée.
Interprétation des résultats
Cette étude montre qu’à court et moyen terme, les chances de résolution complète de l’OMS sont plus élevées après la prise d’antibiotiques per os. Cependant, la prise de ces antibiotiques s’accompagne d’un risque significativement plus important d’effets indésirables. En raison des limites méthodologiques de ces études (voir plus haut), mais aussi du manque de constance des résultats, la qualité de ces preuves est considérée comme étant modérée à faible. La pertinence clinique du résultat peut également être mise en doute. Dans la majorité des études, la durée du suivi était de 4 à 8 semaines, ce qui est court pour une affection avec un risque de récidive élevé. Les 2 seules études à avoir examiné l’effet sur l’audition ont donné des résultats contradictoires. Aucune diminution du nombre de poses de drains transtympaniques n’a par ailleurs été observée, et les données concernant l’effet sur le développement du langage et de la parole font défaut. Par ailleurs, l’extrapolation à la première ligne est difficile parce qu’il s’agit principalement de patients qui se sont présentés en deuxième ligne, donc avec une plus forte probabilité d’OMS persistante au moment de la randomisation.
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que l’utilisation d’antibiotiques chez les enfants atteints d’otite moyenne séromuqueuse s’accompagne d’une plus grande probabilité de résolution complète mais au prix d’un risque plus important d’effets indésirables, tels que des diarrhées, des vomissements et des éruptions cutanées. Le gain n’est en outre pas traduisible en termes d’amélioration de l’audition, du développement du langage, de la parole et de développement cognitif. La pose de drains transtympaniques ne paraît pas diminuer avec l’utilisation des antibiotiques.
Pour la pratique
Certains guides de pratique clinique (14) ne mentionnent pas l’utilisation d’antibiotiques pour le traitement de l’otite moyenne séromuqueuse (OMS) chez l’enfant, et d’autres la déconseillent tant en première ligne (9) qu’en deuxième ligne (15). Cette synthèse méthodique montre que l’utilisation d’antibiotiques en cas d’OMS s’accompagne d’une plus grande probabilité de résolution complète de l’OMS, mais au prix d’un risque accru d’effets indésirables. En outre, il n’y a pas de preuves indiquant que ce gain conduirait à une diminution de la nécessité de drains transtympaniques, et on ignore l’effet sur l’audition, le développement du langage, de la parole et le développement cognitif. Il n’existe pas de données concernant le risque potentiel sur le développement de résistances bactériennes.
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Auteurs
Dhooge I.
Dienst Neus-, Keel- en Oorheelkunde, Universitair Ziekenhuis Gent
COI :
Sintobin I.
Dienst Neus-, Keel- Oorheelkunde, Universitair Ziekenhuis Gent
COI :
Glossaire
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