Revue d'Evidence-Based Medicine
Le sémaglutide, un agoniste de la GLP-1, permet d’obtenir, en association avec des mesures diététiques et de l’exercice, une réduction significative du poids après un an de traitement chez les adultes en surpoids ou obèses et sans diabète sucré
Minerva 2021 Volume 20 Numéro 9 Page 114 - 117
Professions de santé
Diététicien, Médecin généraliste, Pharmacien
Contexte
L’obésité est une maladie chronique et un défi de santé publique mondial (1,2). Elle peut entraîner une résistance à l’insuline, une hypertension artérielle et une dyslipidémie. Elle est associée à des complications telles que le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires et la stéatose hépatique non alcoolique, et réduit l’espérance de vie. Bien que l'intervention sur le mode de vie (régime alimentaire et exercices) représente la pierre angulaire de la gestion du poids, il est difficile de maintenir une perte de poids à long terme. Certaines recommandations cliniques (3-5) suggèrent une pharmacothérapie d'appoint, en particulier pour les adultes ayant un indice de masse corporelle (IMC) de 30 ou plus, ou de 27 ou plus chez les personnes présentant des comorbidités. Cependant, l'utilisation des médicaments disponibles reste limitée par une efficacité modeste, et des problèmes de toxicité et de coût. Le sémaglutide, analogue du GLP-1 approuvé pour le traitement du diabète de type 2 chez l'adulte, a induit une perte de poids chez les diabétiques de type 2 et chez les adultes obèses dans un essai de phase 2 (6). Ces données ont conduit à mener un essai clinique randomisé pour évaluer l'efficacité et l'innocuité du sémaglutide par rapport à un placebo en complément d'une intervention sur le mode de vie pour réduire le poids corporel chez les adultes en surpoids ou obèses et sans diabète.
Résumé
Population étudiée
- le recrutement de cette étude internationale, organisée par la firme Novo Nordisk, s’est fait sur 129 sites dans 16 pays d'Asie, d'Europe, d'Amérique du Nord et d'Amérique du Sud
- critères d’inclusion : adultes (18 ans ou plus) avec un ou plusieurs efforts diététiques infructueux pour perdre du poids et un BMI > 30 ou un BMI > 27 avec une ou plusieurs comorbidités liées au poids, traitées ou non (hypertension artérielle, dyslipidémie, apnée obstructive du sommeil ou maladie cardiovasculaire)
- critères d’exclusion : diabète, taux d'hémoglobine glyquée de 6,5% ou plus, antécédents de pancréatite chronique ou de pancréatite aiguë dans les derniers 180 jours, traitement chirurgical antérieur de l'obésité, utilisation de médicaments anti-obésité dans les derniers 90 jours
- au total, 1961 patients ont été randomisés, avec une majorité de femmes (74,1%) et de blancs (75,1%), d’âge moyen de 46 ans ; le poids corporel moyen était de 105,3 kg, le BMI moyen de 37,9 et le tour de taille moyen de 114,7 cm ; 43,7% des participants avaient un prédiabète ; la plupart (75,0%) avaient au moins une comorbidité.
Protocole d’étude
Etude clinique randomisée en double-aveugle
- dans un rapport de 2 : 1 entre
- l’administration de sémaglutide (2,4 mg administrée par voie sous-cutanée une fois par semaine pendant 68 semaines)
- un placebo, en plus d'une intervention sur le mode de vie
- cette période de 68 semaines a été suivie d'une période de 7 semaines sans intervention
- les participants ont reçu des séances de conseil individuelles toutes les 4 semaines pour les aider à adhérer à un régime hypocalorique (déficit de 500 kcal par jour par rapport à la dépense énergétique estimée au moment de la randomisation) et à une activité physique accrue (avec 150 minutes par semaine d'activité physique, comme la marche)
- un total de 1961 participants ont été randomisés entre le sémaglutide (1306) ou un placebo (655 participants) ; en tout, 94,3% ont terminé l'essai, 91,2% ont eu une évaluation du poids corporel à la semaine 68 et 81,1% ont adhéré au traitement.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire (double) : variation en pourcentage du poids corporel entre la ligne de base et la semaine 68 et atteinte d'une réduction du poids corporel de 5% ou plus entre la ligne de base et la semaine 68
- critères de jugement secondaires :
- obtention d'une réduction du poids corporel de 10% ou plus et de 15% ou plus à la semaine 68
- changement, par rapport à la ligne de base, à la semaine 68 du tour de taille, de la pression artérielle systolique, du score de fonctionnement physique (SF-36) du score de la fonction physique sur le questionnaire Impact of Weight on Quality of Life-Lite Clinical Trials Version (IWQOL-Lite-CT)
- effets secondaires : nombre d'événements indésirables survenus pendant la période de traitement (la période pendant laquelle les participants ont reçu une dose de sémaglutide ou de placebo) et événements indésirables graves survenus entre la ligne de base et la semaine 75
- l’analyse s’est faite en intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">intention de traitement.
Résultats
- objectif primaire : changement de poids moyen à la semaine 68 : -14,9% avec 2,4 mg de sémaglutide par rapport à -2,4% avec le placebo (différence, -12,4% ; avec IC à 95% de -13,4 à -11,5 ; p < 0,001), avec des réductions de poids de 5% ou plus chez 1047 participants (86,4%) contre 182 (31,5%) respectivement
- objectifs secondaires :
- plus de participants dans le groupe sémaglutide ont obtenu des réductions de poids de 10% ou plus (838 [69,1%] contre 69 [12,0%]), et 15% ou plus (612 [50,5%] versus 28 [4,9%]) à la semaine 68 (p < 0,001)
- réductions plus importantes à la semaine 68 avec le sémaglutide du tour de taille (-13,54 cm avec le sémaglutide contre -4,13 cm avec le placebo ; différence : -9,42 cm avec IC à 95% de -10,30 à -8,53 cm), du BMI (-5,54 contre -0,92 ; différence : -4,61 avec IC à 95% de -4,96 à -4,27), et de la pression artérielle systolique et diastolique
- amélioration significative à la semaine 68 des scores de fonctionnement physique évalués (p < 0,001)
- effets adverses : nausées et diarrhée ont été les événements indésirables les plus fréquents avec le sémaglutide ; ils étaient généralement transitoires et d'intensité légère à modérée et se sont atténués avec le temps ; plus de participants dans le groupe sémaglutide que dans le groupe placebo ont arrêté le traitement en raison d'événements gastro-intestinaux (59 [4,5%] contre 5 [0,8%]) ; des troubles biliaires (principalement des lithiases) ont été signalés chez 2,6% et 1,2% des participants des bras sémaglutide et placebo, respectivement ; une pancréatite aiguë légère a été rapportée chez trois participants du groupe sémaglutide, avec récupération.
Conclusion des auteurs
Chez les personnes en surpoids ou obèses sans diabète sucré, le sémaglutide à raison de 2,4 mg SC une fois par semaine avec une intervention sur le mode de vie a été associé à une réduction soutenue et cliniquement pertinente du poids corporel.
Financement de l’étude
Cette étude a été financée par la firme Novo Nordisk.
Conflits d’intérêts
La plupart des auteurs ont de multiples conflits d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique, notamment avec le sponsor sous forme d’honoraires personnels pour des conférences ou un rôle de consultant par exemple.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
L’essai a été méthodologiquement bien conduit. Les participants ont été randomisés dans un rapport de 2 : 1, grâce à l'utilisation d'un système de réponse interactif basé sur le Web.
L’essai s’est fait en double aveugle avec un bras placebo, tous les patients ayant bénéficié d’une prise en charge diététique avec encouragement à l’effort physique. Il n’y a pas de différence de caractéristiques des patients entre les deux groupes. Sur les 1961 patients randomisés, 94,1% ont terminé l’étude avec une adhérence de 81,1%. Le poids a été mesuré à la date d’évaluation (semaine 68) chez 91,2%.
Le critère principal – perte de poids – a été simple à évaluer et ne prête pas à confusion. Il en est de même des critères de jugement secondaires sauf les scores de fonctionnement physique, par essence plus subjectifs.
L’analyse pour l’objectif primaire s’est faite en intention de traiter. L’étude était multicentrique avec 129 sites dans 16 pays sur divers continents. Elle était bien dimensionnée avec des considérations statistiques sur l’échantillon pour atteindre une puissance de 99%.
Les effets secondaires ont été clairement rapportés, l’évaluation se faisant avec des critères classiques.
Interprétation des résultats
Les résultats sont clairement présentés et peuvent facilement se résumer : 86% des participants ayant reçu du sémaglutide ont perdu 5% ou plus de leur poids corporel initial comparativement à 32% de ceux ayant reçu un placebo et n’ayant bénéficié que des seuls conseils hygiéno-diététiques. Notons les différences importantes de résultats entre les deux groupes. Une perte de poids d’au moins 10 à 15% est recommandée chez les personnes souffrant de complications de l’obésité comme un prédiabète, une hypertension artérielle ou une apnée obstructive du sommeil (3) et cet objectif a été atteint dans respectivement 70% et 12% des cas. Un tiers atteint le seuil de 20% dans le groupe sémaglutide versus 2% dans le groupe contrôle ; ce sont des valeurs souvent observées avec la chirurgie bariatrique. Ces résultats s’avèrent supérieurs en termes de perte de poids à ceux obtenus avec un autre analogue du GLP-1, le liraglutide (7).
Cette étude fait partie d’un programme d’investigation conduit par la firme pharmaceutique avec le sémaglutide dans le traitement de l’obésité hors contexte du diabète de type 2 (8). STEP 1 est celle qui est présentement analysée. STEP 2 étudie des dosages différents (2,4 ou 1 mg SC une fois par semaine) de l’agoniste contre placebo. Dans STEP 3, le traitement est administré contre placebo en complément d’une thérapie comportementale intensive, en plus d'un régime hypocalorique initial de 8 semaines, suivi de 60 semaines d'un régime hypocalorique et d'une activité physique accrue (9). Sur un total de 611 patients, le sémaglutide permet une réduction significative du poids : -16,0% contre -5,7% avec le placebo à 68 semaines. Dans STEP 4, après 20 semaines de sémaglutide à une dose hebdomadaire à 2,4 mg, 803 patients ont été randomisés entre un traitement d’entretien par sémaglutide ou un placebo pendant 48 semaines (10). Avec la poursuite du médicament, la variation moyenne du poids corporel de la semaine 20 à la semaine 68 est de -7,9% contre +6,9% avec le passage au placebo. Dans STEP 5, en cours, les patients sont randomisés entre sémaglutide et placebo pour un traitement de deux ans. Les résultats déjà disponibles pour certaines de ces études sont consistants en termes de perte de poids.
Il faut bien garder à l’esprit que dans toutes ces études, tous les patients bénéficient de conseils répétés tant pour leur régime diététique que pour la pratique d’exercices physiques et que ces mesures s’avèrent douées d’une certaine efficacité en termes de perte de poids comme le montrent les résultats obtenus avec le placebo. La force de ces études est de ne pas avoir inclus de patients atteints de diabète de type 2. Les points auxquels il faudra répondre sont l’effet à long terme (combien de temps la perte de poids va-t-elle persister ?), la comparaison avec la chirurgie bariatrique surtout dans les effets à long terme, l’effet à long terme sur les comorbidités et la survie et les effets secondaires tardifs, notamment les pathologies biliaires. Rappelons que les résultats du traitement de l’obésité avec les médicaments disponibles jusqu’à ce jour ont donné des résultats assez mitigés (11,12).
Que disent les guides de pratique clinique ?
Les recommandations européennes (3,13,14) visent à obtenir dans l’obésité une réduction de pois d’au moins 5%. Le traitement de première intention est le régime diététique hypocalorique accompagné de la pratique d’une activité physique. Les médicaments dont l’action durable sur la perte de poids ne sont pas démontrés (11) n’ont de place éventuelle qu’en cas d’échec du régime. La chirurgie bariatrique peut aussi être envisagée. Les recommandations américaines (3,5) recommandent l’introduction plus précoce de médicaments dont des agonistes de la GLP-1, comme adjuvants aux mesures hygiéno-diététiques qui constituent le traitement de fond. L’étude analysée ici apporte des données intéressantes sur l’effet du sémaglutide sur la perte de poids, les effets à long terme doivent être démontrés avant de recommander son utilisation en pratique courante.
Conclusion de Minerva
Cette étude clinique randomisée en double-aveugle dans un rapport de 2 : 1, de bonne qualité méthodologique, montre que le sémaglutide, un agoniste de la GLP-1, permet d’obtenir, en association avec des mesures diététiques et de l’exercice une réduction significative du poids après 68 semaines de traitement chez les adultes en surpoids avec comorbidités liées au poids ou obèses et sans diabète sucré. Les effets à long terme – maintien de la perte de poids, nécessité d’un traitement d’entretien, impact sur les comorbidités et la mortalité, effets secondaires tardifs – doivent être évalués pour introduire pleinement le médicament dans la pratique quotidienne.
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- Obésité. L’essentiel sur les premiers choix. Prescrire juillet 2020.
Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI :
Glossaire
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