Revue d'Evidence-Based Medicine
Y a-t-il une association entre la consommation d’aliments ultratransformés et le déclin cognitif ?
Minerva 2023 Volume 22 Numéro 8 Page 180 - 183
Professions de santé
Diététicien, Infirmier, Médecin généralisteContexte
Les aliments ultratransformés sont des aliments qui, par des procédés industriels complexes, ont subi une profonde transformation. Ils se caractérisent par un nombre important d’ingrédients, dont notamment des sucres, des graisses, du sel et des additifs, tels que des arômes, des parfums et des colorants. Citons par exemple les snacks sucrés et salés, les chips, les confiseries, les glaces, les boissons gazeuses sucrées, les céréales (raffinées) pour petit-déjeuner, la charcuterie, les plats préparés. Plusieurs études ont déjà montré une association entre la consommation d’aliments ultratransformés et les « maladies de civilisation », telles que l’obésité (1), le syndrome métabolique (2) et les maladies cardiovasculaires (3). Une vaste étude de cohorte prenant en compte de très nombreux facteurs de confusion pertinents a également montré l’existence d’une faible association entre la consommation d’aliments ultratransformés et l’augmentation de la mortalité (4,5). L’association entre la consommation d’aliments ultratransformés et le déclin cognitif a été examinée dans un petit nombre d’études seulement (6-8).
Résumé
Population étudiée
- critères d’inclusion : fonctionnaires actifs ou retraités ayant entre 35 et 74 ans, résidant dans six villes brésiliennes
- critères d’exclusion : grossesse, démission prévue de l’institution publique, handicap cognitif ou de communication, déménagement d’employés retraités vers un endroit éloigné du centre d’étude, données manquantes concernant l’apport nutritionnel ou le fonctionnement cognitif, médicaments qui affectent les fonctions cognitives, apport énergétique extrêmement faible ou élevé (< 600 kcal ou > 6 000 kcal/jour)
- finalement, inclusion de 10775 participants (4330 participants ont été exclus), âgés en moyenne de 51,6 ans (ET 8,9), 54,6% étant de sexe féminin, 53,1% étant des Blancs ; 56,6% avaient fait au moins des études secondaires ; BMI moyen de 26,9 kg/m² (ET 4,7).
Protocole de l’étude
Étude de cohorte prospective multicentrique (9)
- au début de l’étude, un questionnaire validé concernant la fréquence des aliments a permis de déterminer la consommation d’aliments et de boissons au cours des 12 derniers mois ; ces données permettaient de calculer l’apport énergétique total quotidien
- classification des aliments en trois groupes en fonction du degré de transformation industrielle, à l’aide du système de classification NOVA : aliments non transformés ou transformés minimalement et ingrédients culinaires transformés (groupes 1 et 2 de la classification NOVA), aliments transformés (groupe 3 de la classification NOVA) et aliments ultratransformés (groupe 4 de la classification NOVA) ; ces données permettaient de calculer l’apport énergétique quotidien provenant des aliments ultratransformés
- les participants ont été regroupés en quartiles en fonction du rapport, exprimé en pourcentage, entre l’apport énergétique provenant des aliments ultratransformés et l’apport énergétique total quotidien (2694 participants par quartile) : quartile 1 : 0 à 19,9 En% ; quartile 2 : 20,0 à 26,7 En% ; quartile 3 : 26,8 à 34,1 En% ; quartile 4 : 34,2 à 72,7 En%
- les fonctions cognitives ont été mesurées en moyenne tous les 3,3 ans (ET 0,5 an) ; la mémoire à court terme et la mémoire à long terme ont été évaluées à l’aide de questionnaires validés du CERAD (Consortium to Establish a Registry for Alzheimer’s Disease), et les fonctions exécutives l’ont été en utilisant les tests de fluence verbale sémantique et de fluence verbale phonémique et le test des tracés (Trail Making Test).
Mesure des résultats
- association entre l’apport énergétique provenant d’aliments ultratransformés, exprimé en pourcentage, par quartile, et le changement cognitif au fil du temps, analysée à l’aide d’un modèle linéaire mixte prenant en compte plusieurs facteurs de confusion : facteurs sociodémographiques (âge, sexe, origine ethnique, revenus et niveau de formation), facteurs cliniques (BMI, diabète, hypertension artérielle, maladies cardiovasculaires, dépression) et facteurs liés au mode de vie (activité physique, tabagisme, consommation d’alcool, apport énergétique quotidien, alimentation saine)
- le coefficient de régression β des 3 quartiles les plus élevés d’apport énergétique provenant des aliments ultratransformés (> 19,9 En%) a été comparé au quartile le plus bas (≤ 19,9 En%) ; le pourcentage de déclin cognitif a été calculé en soustrayant la pente des 3 quartiles les plus élevés de la pente du premier quartile, puis en divisant cette différence par la pente du premier quartile et enfin en multipliant ce nombre par 100.
Résultats
- l’apport calorique moyen était de 2856 kcal (ET 992) par jour, dont 785 kcal (ET 419) provenaient d’aliments ultratransformés
- après un suivi médian de 8 ans (intervalle de 6 à 10 ans), on a observé, dans les quartiles avec un apport plus important d’aliments ultratransformés (> 19,9 En%), par comparaison avec le premier quartile, une augmentation de 28% de la rapidité du déclin des fonctions cognitives générales (β = -0,004 avec IC à 95% de -0,006 à -0,001 ; p = 0,003) et une augmentation de 25% de la rapidité du déclin des fonctions exécutives (β = -0,003 avec IC à 95% de -0,005 à 0,000 ; p = 0,01), mais pas de la mémoire
- l’association entre un apport plus important d’aliments ultratransformés et un déclin plus rapide des fonctions cognitives générales s’est avérée statistiquement significative uniquement chez les personnes ayant plus de 60 ans et chez celles qui n’avaient pas une alimentation saine.
Conclusion des auteurs
Un apport quotidien d’aliments ultratransformés, exprimé en pourcentage d’énergie, plus important est associé à un déclin cognitif chez les adultes de diverses origines ethniques. Ces résultats soutiennent les recommandations actuelles de santé publique visant à limiter la consommation d’aliments ultratransformés à cause du risque d’altération des fonctions cognitives.
Financement de l’étude
Plusieurs ministères brésiliens (le Ministère de la Santé, le Ministère de la Science, de la Technologie et des Innovations) et le National Council for Scientific and Technological Development.
Conflits d’intérêt des auteurs
Aucun.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Comme éléments positifs de cette étude, nous pouvons mentionner la grande taille de l’échantillon et l’utilisation de questionnaires validés (à la fois pour déterminer la consommation alimentaire et pour évaluer les fonctions cognitives). Le fait qu’un grand nombre de facteurs de confusion sociodémographiques, cliniques et liés au mode de vie aient été pris en compte est également un atout. Une correction a ainsi été appliquée pour tenir compte de la race et de l’origine ethnique, déterminants qui pourraient influencer la consommation d’aliments ultratransformés. D’autres facteurs de confusion possibles, tels que l’utilisation des médias (sociaux) et le mode de vie sédentaire, n’ont pas été inclus. Le principal inconvénient de cette étude observationnelle est le fait que l’apport alimentaire n’a été mesuré qu’en début d’étude. Les changements longitudinaux de l’alimentation ne peuvent donc pas être pris en compte. Cela pourrait avoir conduit à une évaluation erronée de l’association entre les aliments ultratransformés et le déclin cognitif. Avec le questionnaire sur la fréquence des aliments qui a été utilisé et le système NOVA de classification des aliments, les déclarations de consommation d’aliments ultratransformés peuvent ne pas correspondre à la réalité. En effet, le questionnaire sur la fréquence des aliments ne visait pas spécifiquement à sélectionner des aliments ultratransformés. Et le système NOVA de classification des aliments n’est pas non plus irréprochable. Par exemple, les plats préparés et le pain préemballé, tous deux classés comme aliments ultratransformés, peuvent malgré tout être équilibrés sur le plan nutritionnel.
Évaluation des résultats
Cette étude indique une faible association entre la consommation d’aliments ultratransformés et la rapidité du déclin des fonctions cognitives. Cependant, comme l’étude a été menée auprès de fonctionnaires brésiliens, ce qui n’est pas le contexte européen, l’extrapolation des résultats à une population belge demande de tenir compte des différences en matière notamment d’alimentation, d’image corporelle et de style de vie, même si les chercheurs de l’étude ont pris en compte de nombreux facteurs de confusion importants.
Les auteurs présentent la différence, exprimée en pourcentage, du taux de déclin cognitif entre les personnes qui consomment plus de 19,9 En% et celles qui consomment moins de 19,9 En% provenant d’aliments ultratransformés : déclin plus rapide de 28% pour les fonctions cognitives générales et de 25% pour les fonctions exécutives. Cependant, ces résultats ne permettent pas de savoir dans quelle mesure cette relation entre déclin cognitif et la consommation d’aliments ultratransformés est cliniquement pertinente. En effet, on ne sait pas si la différence de rapidité du déclin cognitif entraînera réellement davantage de cas de démence. De plus, la période de suivi relativement courte (8 ans), dans le contexte d’une progression généralement lente du déclin cognitif, peut également avoir conduit à une sous-estimation de l’effet. Une revue systématique avec méta-analyse d’études de cohortes prospectives de 2020 a montré qu’une alimentation saine réduisait le risque de démence (10). Selon une étude de cohorte prospective plus récente menée chez 72083 adultes suivis pendant 10 ans en moyenne, une réduction de 5% de la consommation d’aliments ultratransformés était associée à une diminution de 10% du risque de démence (8). Une plus petite étude de cohorte prospective de 2023 a également conclu qu’une consommation plus élevée d’aliments ultratransformés augmentait le risque de démence (11).
Que disent les guides de pratique clinique ?
Le triangle nutritionnel (12) recommande de consommer le moins possible d’aliments ultratransformés. Ils ne contribuent généralement pas positivement à une alimentation saine et respectueuse de l’environnement. Et l’OMS affirme également qu’une alimentation saine, comme le régime méditerranéen, réduit le risque de démence (13).
Conclusion de Minerva
Cette vaste étude de cohorte prospective multicentrique, menée auprès de fonctionnaires brésiliens, suggère que la consommation d’aliments ultratransformés est, dans une certaine mesure, associée à un déclin plus rapide des fonctions cognitives, après correction pour tenir compte d’importants facteurs de confusion sociodémographiques, cliniques et en rapport avec le mode de vie. Dans l’attente d’études correctement menées d’un point de vue méthodologique dans un contexte européen, il convient de déconseiller la consommation d’aliments ultratransformés en quantité importante.
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Auteurs
Van Den Broecke N.
master Voedings- en Dieetkunde
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Code
R41, R63
P20, T05
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