Revue d'Evidence-Based Medicine
Dyspnée du covid long chez les patients ayant eu une ventilation mécaniquement assistée lors de l’infection initiale : revalidation par réentraînement à l’effort ou kiné ordinaire ?
Minerva 2024 Volume 23 Numéro 3 Page 52 - 56
Professions de santé
Ergothérapeute, Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généralisteContexte
La kinésithérapie respiratoire a été massivement utilisée dans le traitement du covid-19 puis du covid long, dès le début de l’épidémie. Peu d’études portant sur son efficacité sont encore disponibles et leur niveau de preuve est faible comme l’a montré une analyse récemment présentée dans Minerva (1,2). C’est tout l’intérêt de l’étude analysée ici, menée par des kinésithérapeutes et des intensivistes d’hôpitaux parisiens et évaluant l’efficacité de la revalidation par réentraînement physique chez les patients souffrant de covid long avec dyspnée persistante (c).
Résumé
Population étudiée
- critères d’inclusion : adultes d’au moins 18 ans ayant été hospitalisés pour covid-19 sévère avec détresse respiratoire (> 48h de ventilation assistée) et toujours dyspnéiques trois mois au moins après leur sortie de soins intensifs (score mMRC > 1)
- critères d’exclusion : dyspnée absente ou légère (score mMRC ≤ 1) ; incapacité de participer à des séances de revalidation pour maladie neurologique grave ou pathologie ostéoarticulaire ; mise sous tutelle ; résidence située à plus de 5 km du cabinet du kinésithérapeute
- au total 60 patients ont été inclus dans l’étude de juillet 2020 à janvier 2022 ; 62% étaient des hommes, leur âge moyen était de 58 ans, la majorité d‘entre eux étaient obèses ou en surpoids et 22% étaient diabétiques ; ils avaient été hospitalisés pendant 26 jours en moyenne, dont une quinzaine de jours en soins intensifs, dans un des trois hôpitaux parisiens participant à l’étude.
Protocole d’étude
Etude contrôlée, randomisée en deux groupes parallèles, ouverte, multicentrique
- intervention : kinésithérapie de revalidation par réentraînement à l’effort, 2 séances de 60 minutes par semaine pendant 10 semaines
- exercices d’endurance : un test de marche de 6 minutes était réalisé en début de traitement pour déterminer la fréquence cardiaque cible de chaque patient, puis répété en fin de traitement pour évaluer sa progression ; les exercices étaient menés sur cyclo-ergomètre avec surveillance continue de la fréquence cardiaque et de la saturation en oxygène ; les patients débutaient le traitement à 60-70% de leur puissance maximale avec une dyspnée cible de 4 à 6 au CR10 (échelle de Borg modifiée allant de 0 à 10) ; la durée de l’exercice était de 15 minutes en début de traitement puis augmentait progressivement jusqu’à atteindre 45-60 minutes ; l'intensité de l’exercice a été ajustée en fonction des progrès de chaque participant à atteindre ses fréquence cardiaque et dyspnée cibles
- exercices de renforcement musculaire des membres inférieurs réalisés sur tapis roulant ou stepper ou rameur ou avec des poids ; le choix du type d’exercice était laissé à la discrétion du kinésithérapeute mais chaque séance devait comporter 4 séries de 6-12 répétitions jusqu’à ce que le patient ressente de la fatigue musculaire à la fin ce chaque série ; les séances comportaient également des exercices des membres supérieurs et du tronc
- comparaison : kinésithérapie ordinaire, 2 séances de 30 minutes par semaine pendant 10 semaines ; le choix des exercices était laissé à l’appréciation du kinésithérapeute en fonction de son évaluation initiale de chaque patient ; les séances pouvaient comporter des exercices aérobiques d’intensité faible à modérée sur vélo d’intérieur, cyclo-ergomètre ou tapis roulant, des exercices de renforcement musculaire des membres et du tronc à l’aide de poids ou d’élastiques, ou encore des étirements, des exercices d’équilibre, des exercices respiratoires et de l’électrostimulation
- ces traitements ont eu lieu en ambulatoire chez des kinésithérapeutes choisis par les patients, soit spécialisés en revalidation respiratoire (groupe intervention), soit généralistes (groupe témoin) ; aucun de ces kinés n’était lié à l’un des trois hôpitaux ou n’était impliqué dans la conception de l’étude ou dans l’analyse des résultats.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire :
- amélioration de la dyspnée (score MDP) au 90ème jour après l’inclusion
- critères de jugement secondaires :
- amélioration de la dyspnée (score mMRC) au 90ème jour
- amélioration de la qualité de vie (score SF-12) au 90ème jour
- les scores des patients ont été évalués au départ et 90 jours plus tard par un médecin maintenu dans l’insu du type de
- traitement prescrit.
Résultats
- aucun patient n’est sorti en cours d’étude mais 4 patients inclus dans le groupe expérimental n’ont pas trouvé de rendez-vous disponible chez un kiné spécialisé en revalidation respiratoire et se sont adressés à un kiné généraliste, tandis que 3 patients inclus dans le groupe contrôle ont été réorientés par leur kiné vers un confrère spécialisé en revalidation respiratoire ; l’analyse des résultats a été faite en ITT (Intention de Traiter), ces 7 patients « shifteurs » restant comptabilisés dans leur groupe d’origine
- en ce qui concerne la dyspnée, les résultats ont montré une supériorité statistiquement hautement significative de la revalidation par réentraînement à l’effort par rapport au traitement kiné standard, tant pour le critère de jugement primaire (MDP) que secondaire (mMRC) ; ils n’ont en revanche pas montré de différence statistiquement significative pour la qualité de vie
|
Kiné réentraînement effort (n = 27) |
Kiné ordinaire (n = 33) |
Différence (IC à 95%) |
p |
||
|
J0 |
J90 |
J0 |
J90 |
|
|
MDP (DS) |
47,56 (16,10) |
26,15 (15,48) |
48,64 (24,35) |
44,76 (19,25) |
-18,61 (-22,78 à -9,44) |
< 0,0001 |
mMRC (DS) |
2,37 (0.63) |
1,33 (0,62) |
2,30 (0,59) |
2,09 (1,10) |
-0,76 (-1,21 à -0,30) |
0,001 |
SF-12 (DS) |
74,52 (13,10) |
83,36 (14,97) |
70,47 (11,21) |
75,13 (15,79) |
8,24 (0,22 à 16,25) |
0,14 |
MDP = score moyen de dyspnée multidimensionnel (0 à 110) ; mMRC = score moyen de dyspnée fonctionnel (0 à 4) ; SF-12 = score moyen de qualité de vie (0 à 100); DS = déviation standard. IC 95% = intervalle de confiance à 95% ; Différence = différence intergroupe au 90ème jour, testée par analyse de covariance (ANCOVA) pour ajustement sur les valeurs de départ.
- une analyse secondaire a montré que la plus grande amélioration du score MDP global se vérifiait pour chacune de ces trois dimensions (inconfort respiratoire, sensations et réponse émotionnelle) ; elle a montré aussi une amélioration significative de la composante physique du SF-12.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que chez les patients encore dyspnéiques 3 mois après insuffisance respiratoire aiguë sur covid-19, la dyspnée est significativement plus améliorée par 3 mois de kinésithérapie de réentraînement à l’effort que par 3 mois de kinésithérapie ordinaire.
Financement de l’étude
Financement institutionnel (Groupe Hospitalier Paris St Joseph).
Conflits d’intérêt des auteurs
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt.
Discussion
Evaluation de la méthodologie
L’étude est globalement de bonne qualité méthodologique. La randomisation a été stratifiée par centre hospitalier et générée par blocs variables, ce qui s’est révélé particulièrement utile pour garantir l’équilibre entre les deux groupes au vu de l’arrêt prématuré de l’étude. La séquence de randomisation était masquée au médecin incluant les patients : le traitement était attribué dans des enveloppes séquentielles numérotées, scellées et opaques.
Les critères de jugement sont cliniques et centrés-patient. Le score MDP est un score multidimensionnel intégrant plusieurs aspects de la dyspnée (inconfort respiratoire, aspect sensoriel, aspect émotionnel). Il est plus adapté à la recherche que le score mMRC, qui est un score unidimensionnel davantage utilisé en pratique clinique (4). On peut néanmoins regretter l’absence, parmi les critères de jugement secondaires, d’un critère objectif et fonctionnel (6MWT ou VEMS par exemple). Cette limitation de l’étude est reconnue par les auteurs. En revanche le choix du SF-12 pour évaluer la qualité de vie est moins judicieux : le SF-36 eut été préférable car plus sensible mais il a été écarté par les auteurs car jugé trop chronophage en période épidémique. Il est possible que cela ait contribué à l’absence de différence statistiquement significative observée entre les deux groupes pour la qualité de vie. Les auteurs qualifient un peu trop vite leur étude de multicentrique : l’intérêt de pareille étude n’est pas seulement d’améliorer la précision des résultats en recrutant davantage de patients mais aussi d’augmenter leur généralisabilité en incluant des patients d’origines géographique, ethnique, culturelle et sociale différentes et traités dans des systèmes de soins de santé différents. Or il s’agit ici de patients suivis dans plusieurs hôpitaux voisins d’une même ville et il aurait plus adéquat de parler d’une étude multisite.
L’étude a été menée en ouvert (soignants et patients) et sur un critère de jugement subjectif mais le médecin évaluant les scores des patients était maintenu dans l’aveugle du type de traitement qui leur avait été attribué. Il n’est pas précisé s’il en était de même pour les analystes et la biostatisticienne.
Il n’y a eu aucun patient perdu de vue lors du déroulement de l’étude et l’analyse des résultats a été faite en intention de traiter : les patients qui ont changé de groupe en cours d’étude ont été maintenus dans leur groupe d’origine pour l’analyse des résultats, ce qui reflète mieux l’efficacité de l’intervention observée dans les conditions de vie réelle. En ce qui concerne la méthode statistique employée pour tester les critères de jugement, on est surpris de prime abord que la biostatisticienne ait choisi de comparer les scores finaux plutôt que leurs améliorations, vu que les scores de départ n’étaient pas les mêmes dans les deux groupes. La raison de ce choix était de parer au biais dû au phénomène de régression à la moyenne : en règle générale les patients les plus atteints (dans le cas présent ceux du groupe « kiné ordinaire » pour le critère de jugement primaire) sont ceux qui s’améliorent le plus sous traitement. Comparer les deux améliorations aurait donc conduit à sous-estimer la supériorité du traitement par kiné de revalidation. La méthode statistique la plus appropriée consiste à comparer les deux scores finaux en utilisant un test ANCOVA (analyse de la covariance avec ajustement de la différence sur les scores de départ) plutôt que l’habituel t-test de Student (5).
Le protocole de l’étude a été enregistré dans un registre d’études (ClinicalTrial), mais il le fût deux mois après qu’elle ait débuté. Ce faible retard ne permet néanmoins pas de préjuger de changements opérés dans la méthode d’analyse des résultats en cours d’étude. L’étude a été stoppée prématurément : les auteurs ont rencontré des difficultés à trouver suffisamment de kinésithérapeutes spécialisés en revalidation pulmonaire disposés à participer à une étude en pleine période épidémique et ont dû se résoudre à n’inclure que 60 patients au lieu des 200 prévus pour garantir à l’étude une puissance statistique de 90%. Mais cela n’est pas source de biais (il ne s’agit pas d’un arrêt précoce pour efficacité d’ampleur inattendue) et n’a pas grevé la puissance de l’étude qui, rétrospectivement, s’est avérée suffisante : le calcul du nombre de patients nécessaires était basé sur une amélioration attendue de 12 points au score MDP alors que l’amélioration observée fut de loin supérieure (19 points). Cette plus grande amélioration a en quelque sorte compensé le plus petit nombre de patients inclus, dans le calcul de la puissance.
Le seul point vraiment problématique de cette étude consiste en des différences importantes entre les deux interventions, autres que le type de kinésithérapie : les séances de réentraînement à l’effort duraient 60 minutes versus 30 minutes pour les séances de kiné ordinaire. Le contenu des séances de réentraînement à l’effort était standardisé et clairement décrit dans un protocole alors qu’il était laissé à l’appréciation du kinésithérapeute dans le groupe témoin. Les exercices communs aux deux types de séances étaient réalisés de façon moins intensive lors des séances de kiné ordinaire. Ce biais a pu contribuer à la très faible amélioration observée chez les patients traités par kinésithérapie ordinaire et gonfler artificiellement la différence observée entre les deux groupes. Il est reconnu par les auteurs mais jugé insuffisant pour faire perdre leur signification statistique et leur pertinence clinique aux résultats obtenus.
Evaluation des résultats
En ce qui concerne le critère de jugement principal, la taille de l’effet observé est cliniquement pertinente : l’amélioration de 18,6 points du score MDP est de loin supérieure à la MCID (Minimally Clinical Important Difference) qui est estimée à 8 points (6). Elle correspond à une réduction relative de la dyspnée de 42% par rapport à un traitement kiné classique. Les résultats de l’étude sont cohérents avec ceux observés dans les méta-analyses et revues systématiques actuellement disponibles sur le sujet (7-9). L’étude ne permet toutefois pas de préciser que le bénéfice de la kiné de réentraînement à l’effort se maintient à long terme et elle ne permet pas d’extrapoler ses résultats à l’ensemble des patients souffrant de covid long avec dyspnée, contrairement à ce que suggère le titre de l’étude. Ils ne s’appliquent qu’à des patients précédemment atteints de covid-19 sévère chez lesquels un syndrome post soins intensifs peut partiellement se superposer au syndrome post-covid aigu. Il est peu probable qu’offrir un traitement de kiné spécialisé à tous les patients souffrant de covid long avec dyspnée soit réalisable en période épidémique, comme le suggère d’ailleurs l’expérience vécue par les auteurs lors de leur étude. On peut aussi se demander si cette intervention est envisageable, même dans un contexte endémique, ailleurs que dans les pays disposant de ressources suffisamment élevées pour leurs soins de santé. Elle ne semble pas réalisable telle quelle dans notre pays actuellement, l'INAMI n'autorisant pas le remboursement de séances de 60 minutes en ambulatoire.
Que disent les guides pour la pratique clinique ?
Le NICE (Grande-Bretagne) recommande un programme de revalidation physique chez les patients souffrant de covid long à condition qu’il s’intègre dans le cadre d’une revalidation multidisciplinaire (10). Ebpracticenet (Belgique) recommande un programme d’exercices physiques et respiratoires de 2 mois chez les patients souffrant de covid long avec limitations dans leurs activités quotidiennes. En cas de dyspnée persistante des exercices respiratoires des muscles inspiratoires sont ensuite recommandés (GRADE 2C : recommandation faible basée sur un faible niveau de preuves) (11). La HAS (France) accorde une place centrale à la revalidation respiratoire et au réentraînement physique chez les patients souffrant de covid long (12).
Conclusion de Minerva
Cette étude de petite taille mais de bonne qualité méthodologique montre la supériorité à court terme d’un traitement kiné de revalidation par réentrainement physique sur un traitement kiné classique en ce qui concerne l’amélioration de la dyspnée chez les patients souffrant de covid long suite à un épisode de covid-19 sévère. Elle ne montre cependant pas de plus grande amélioration de leur qualité de vie.
- Denis B. Place de la revalidation pulmonaire chez les patients atteints de covid-19. MinervaF 2023;22(3):58-61.
- Ahmed I, Mustafaoglu R, Yeldan I, et al. Effect of pulmonary rehabilitation approaches on dyspnea, exercise capacity, fatigue, lung functions, and quality of life in patients with COVID-19: a systematic review and meta-analysis. Arch Phys Med Rehabil 2022;103:2051-62. DOI: 10.1016/j.apmr.2022.06.007
- Romanet C, Wormser J, Fels A, et al. Effectiveness of exercise training on the dyspnea of individuals with long COVID : a randomized controlled multicentre study. Ann Phys Rehabil Med 2023;66:101765. DOI: 10.1016/j.rehab.2023.101765
- Meek PM, Banzett R, Parsall MB, et al. Reliability and validity of the multidimensional dyspnea profile. Chest 2012;141:1546-53. DOI: 10.1378/chest.11-1087
- Vickers AJ, Altman DG. Analysing controlled trials with baseline and follow up measurements. BMJ 2001;323:1123-4. DOI: 10.1136/bmj.323.7321.1123
- Ekström M, Bornefalk H, Sköld CM, et al. Minimal clinically important differences for Dyspnea-12 and MDP scores are similar at 2 weeks and 6 months: follow-up of a longitudinal clinical study. Eur Respir J 2021;57:2002823. DOI: 10.1183/13993003.02823-2020
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- Zheng C, Chen XK, Sit CH, et al. Effect of physical exercise-based rehabilitation on long COVID : a systematic review and meta-analysis. Med Sci Sports Exerc 2024;56:143-54. DOI: 10.1249/MSS.0000000000003280
- National Institute for Health and Care Excellence. COVID-19 rapid guideline: managing the long-term effects of COVID-19. NICE guideline [NG188]. Published: 18 December 2020. Last updated: 25 January 2024.
- Suivi et revalidation des patients présentant des symptômes persistants après la COVID-19 en première ligne. Ebpracticenet. KU Leuven/Groupe de Travail Développement de recommmandations de première ligne. Mis à jour par le producteur : 20/02/2023.
- Haute Autorité de Santé. Symptômes prolongés suite à une Covid-19 de l’adulte - Diagnostic et prise en charge. Mis en ligne le 12 févr. 2021 - Mis à jour le 21 avr. 2023.
Auteurs
Denis B.
médecin généraliste, ancien formateur au CEBAM (Centre Cochrane Belge)
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Code
B43, R06
A77, R02
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