Revue d'Evidence-Based Medicine
Efficacité de la course à pied dans la prise en charge de la lombalgie chronique non spécifique.
Minerva 2025 Volume 24 Numéro 7 Page 155 - 158
Professions de santé
Kinésithérapeute, Médecin généralisteContexte
La prise en charge thérapeutique de la lombalgie chronique de l’adulte est un sujet important, déjà abordée à plusieurs reprises dans Minerva. Certaines analyses se sont intéressées spécifiquement à l’impact de l’activité physique, sous diverses formes comme celle discutant un essai randomisé contrôlé concluant à l’efficacité de la marche à pied sur la fréquence des récidives (1,2), avec un suivi allant jusqu’à trois ans (avec sécurité et rentabilité économique) ou une autre qui s’est penchée sur la comparaison entre exercices Pilates et exercices sur cycloergomètre (3,4). Dans cette dernière, une amélioration statistiquement significative a été observée après 8 semaines, mais non retrouvée à 6 mois, avec une pertinence clinique incertaine. D’autres publications ont examiné les effets d’exercices supervisés réalisés à domicile comparés à des manipulations (de type chiropraxie) (5,6), ou encore les bénéfices du yoga par rapport au stretching (7,8). Cet essai randomisé contrôlé ne montre aucun bénéfice, ni après trois mois ni après un an, sur la douleur auto-rapportée chez des adultes souffrant de lombalgie mécanique chronique, pour aucun des trois programmes thérapeutiques proposés (exercices supervisés par un kinésithérapeute, chiropraxie ou exercices à domicile). Enfin, une synthèse méthodique de la littérature a conclu que, pour la prévention des récidives, les preuves restent limitées en faveur d’un bénéfice des exercices initiés après l’épisode aigu, et absentes lorsqu’ils sont commencés pendant celui-ci (9,10). La course à pied est une activité aérobique accessible et peu onéreuse, largement pratiquée par les adultes. En raison de ces caractéristiques, elle est souvent envisagée comme une option thérapeutique pour les personnes souffrant de lombalgie chronique, pouvant contribuer à atténuer la douleur et améliorer leur état de santé général (11).
Résumé
Population étudiée
- adultes âgés de 18 à 45 ans présentant une lombalgie chronique (évoluant depuis plus de 12 semaines), avec des symptômes présents la majorité des jours
- critères d’exclusion :
- antécédent d’intervention chirurgicale ou traumatisme lombaire
- présence de symptômes évoquant un syndrome de la queue de cheval
- scoliose avec indication de prise en charge chirurgicale
- radiculopathie symptomatique
- spondylarthrite ankylosante ou lombalgie non musculo-squelettique
- grossesse ou post-partum
- traumatisme du membre inférieur récent (< 3 mois)
- athlètes ou anciens athlètes
- pratique régulière de la course à pied
- contre-indications à l’IRM ou à l’exercice
- incapacité à utiliser un smartphone avec connexion internet
- au total, 40 participants ont été inclus dans l’étude entre décembre 2022 et mai 2023 ; la majorité d’entre eux ont été recrutés par le biais de publications sponsorisées diffusées sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram ; âge moyen de 33 ans (ET 6 ans), 50% de femmes ; l’intensité moyenne de la lombalgie rapportée était de 39,7 points (± 21,1) sur une échelle de 0 à 100, correspondant à une douleur modérée ; le niveau moyen d’incapacité était de 22,0 points (± 9,1) sur une échelle de 0 à 50, indiquant une incapacité modérée ; l’activité physique habituelle des participants s’élevait à 3273 minutes MET (± 5750) ; moins de la moitié des participants (45%) avaient déjà pratiqué la course à pied dans un objectif de remise en forme ou d’exercice avant leur blessure au dos ; parmi ceux qui l’avaient fait, la distance maximale courue était en moyenne de 11,1 km (± 9,8).
Protocole d’étude
- essai randomisé contrôlé unicentrique sans mise en aveugle, randomisation par grappes de taille variable et stratifiée selon le sexe (11)
- l’intervention consistait en un programme de course à pied prescrit par un physiologiste de l’exercice accrédité, dispensé numériquement et soutenu à distance ; ce programme comprenait trois séances hebdomadaires de 30 minutes sur terrain plat et était structuré en plusieurs étapes d’intensité progressive, chacune composée d’intervalles courts de course à allure lente à modérée, alternant avec de brèves périodes de marche ; il était demandé aux participants de maintenir la même étape pendant une semaine avant de progresser à l’étape suivante ; les participants choisissent entre 6 à 10 répétitions par séance ; la progression vers le niveau suivant est possible si 10 répétitions sont réalisées et si au moins 2 séances sont complétées dans la semaine ; le programme complet comporte 13 niveaux ; les données d'entraînement course-marche ont été collectées à l'aide de Runkeeper
- le groupe contrôle a reçu comme instruction de poursuivre leurs soins habituels et les participants étaient inscrits sur liste d’attente.
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires : douleur évaluée par une échelle visuelle analogique (VAS) de 100 points et incapacité fonctionnelle évaluée à l’aide du Oswestry Disability Index ; la douleur était appréciée selon trois dimensions distinctes : la douleur actuelle, la douleur moyenne sur les 7 derniers jours et la pire douleur ressentie sur cette période ; les critères ont été mesurés au début de l’étude puis à 6 semaines et à 12 semaines
- les seuils cliniques minimaux prédéfinis à atteindre sont 20 points pour la douleur et 10 points pour l’incapacité
- critères de jugement secondaires : acceptabilité (System Usability Scale) et adhérence au programme évaluées notamment par le nombre de perdus de vue, le volume de séances hebdomadaires réalisées ou le retour des participants
- critères de sécurité : nombre et sévérité des effets indésirables
- analyse en intention de traiter.
Résultats
- douleur moyenne (VAS) : diminution statistiquement significative de la douleur observée dans le groupe intervention à 6 semaines de -14,45 points avec IC à 95% de -23,40 à -5,50 (p = 0,002) ; cependant, aucune différence statistiquement significative entre les deux groupes n’a été détectée à 6 semaines
- douleur moyenne à 12 semaines : différence statistiquement significative entre les groupes à 12 semaines sur la douleur actuelle de -19,35 points avec IC à 95% de -32,01 à -6,69 (p = 0,003) en faveur du groupe intervention par rapport au groupe témoin, ainsi qu’une amélioration de l'intensité moyenne de la douleur (différence nette moyenne de -15,30 points avec IC à 95% de -25,33, -5,27 points ; p = 0,003
- incapacité fonctionnelle (Oswestry Disability Index) : différence significative observée entre les deux groupes à 12 semaines de -5,20 points avec IC à 95% de -10,12 à -0,24 (p = 0,038)
- aucune attrition n’a été observée et le taux moyen d’adhésion à l’entraînement était de 70% (± 20%), ce qui correspond à environ 2,1 séances sur les 3 prévues chaque semaine
- 9 évènements indésirables non graves, considérés comme probablement liés à l’étude, ont été rapportés : 7 cas de douleur ou blessure au membre inférieur, 1 épisode de syncope lié à une condition médicale sous-jacente, et 1 cas de lombalgie.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent qu’un programme de course-marche a été considéré comme une intervention acceptable par les participants pour améliorer l’intensité de la douleur et l’incapacité chez les personnes âgées de 18 à 45 ans souffrant de lombalgie chronique non spécifique, par rapport au groupe témoin. Un programme de course-marche individualisé et conservateur devrait être considéré comme une forme d’activité physique adaptée aux adultes souffrant de lombalgie chronique.
Financement de l’étude
Fonds de recherche de l’université de Deakin.
Conflits d’intérêt des auteurs
Aucun auteur n’a déclaré de conflits d’intérêt avec le sujet.
Discussion
Evaluation de la méthodologie
Le protocole de l’essai (12) prévoyait l’évaluation de plusieurs domaines jugés essentiels par un consensus international (13) sur la lombalgie chronique, notamment la douleur, la fonction physique, la qualité de vie, l’état émotionnel et les comportements liés à la douleur, conformément aux recommandations méthodologiques actuelles. Toutefois, ces critères ne sont pas tous rapportés dans l’article publié, ce qui limite l’évaluation complète des effets de l’intervention et soulève un risque potentiel de biais de notification sélective. La taille de l’échantillon, bien que modeste, a été déterminée à priori en tenant compte de la différence minimale à détecter et de la fiabilité test-retest de la mesure principale. Les participants ont été randomisés en grappes, avec des tailles de grappe variables et une stratification selon le sexe. Bien qu’une différence initiale de douleur semble présente entre les groupes (VAS moyenne à l’inclusion de 40,1 dans le groupe contrôle versus 30,8 dans le groupe intervention), la comparabilité des groupes à l’inclusion n’a pas été analysée ni discutée. Au vu de la nature de l’étude, ni les participants ni les évaluateurs n’ont été mis à l’aveugle.
Evaluation des résultats
Un programme de course-marche dispensé numériquement et soutenu à distance par un physiologiste de l'exercice semble efficace en termes de contrôle de la douleur et d’amélioration des capacités fonctionnelles selon les résultats de cette étude. La mesure des effets observés sur la douleur et la capacité fonctionnelle repose sur des outils de mesure validés et reproductibles (échelle visuelle analogique pour la douleur et Oswestry Disability Index pour l’incapacité). Cet effet, bien que modeste, doit être interprété avec prudence en raison de l’absence de données au-delà de 12 semaines et de l’omission de certains critères cliniques secondaires dans l’analyse publiée. Le recrutement des participants s’est fait via des publications sponsorisées sur les réseaux sociaux, ce qui constitue un mode de sélection non aléatoire. Cette méthode expose à un risque de biais de sélection : l’algorithme des plateformes cible prioritairement des individus ayant manifesté un intérêt pour les thématiques liées à la santé ou à l’activité physique, ce qui peut conduire à une surreprésentation de profils jeunes, motivés et technologiquement à l’aise. Cela limite potentiellement la généralisation des résultats à l’ensemble des patients consultant en soins de première ou deuxième ligne pour lombalgie chronique. D’ailleurs, l’activité physique hebdomadaire moyenne des participants au moment de l’inclusion dans l’étude était de 3273 minutes MET, ce qui reflète un niveau modéré à élevé d’engagement physique. Cette mesure combine la durée et l’intensité des activités réalisées. Cela équivaut, par exemple, à environ 8 heures de marche rapide ou 4 heures de course à pied par semaine, selon l’intensité des activités.
L’intervention est acceptable : en effet, la vitesse de course recommandée était inférieure ou égale à 10 km/h, correspondant à une intensité élevée (≥ 85% de la VO₂max), tout en restant confortable pour les participants. Le suivi numérique a été jugé très acceptable par les participants (score de 94,5/100 sur l’échelle SUS), ce qui renforce la faisabilité du programme. Les réductions de l'intensité de la douleur et de l'incapacité observées dans le groupe d'intervention se sont approchées, sans toutefois atteindre, les scores seuils minimaux cliniquement significatifs prédéfinis, soit une diminution de 20 points pour l'intensité de la douleur ou de 10 points pour l'incapacité. Une revue systématique portant sur 17 essais portant sur 1146 participants et comparant différents types d’exercices aérobies chez des adultes souffrant de lombalgie chronique a révélé que les interventions menées à une fréquence élevée (≥ 5 jours par semaine) et sur une durée prolongée (≥ 12 semaines) étaient plus susceptibles de produire des améliorations cliniquement significatives en termes de douleur et d’incapacité, comparativement aux programmes moins intensifs (14).
Ainsi, il est possible que l’adoption d’une charge d’entraînement plus élevée dans la présente étude aurait permis d’obtenir des bénéfices plus marqués sur l’intensité de la douleur et le niveau d’incapacité. Les auteurs proposent de prolonger la durée de l’intervention (par exemple, sur 6 mois) en maintenant un protocole conservateur durant les 3 premiers mois, puis en intensifiant progressivement l’entraînement par la suite. Enfin, cette étude semble montrer qu’accompagner les patients à réaliser un programme d’activité course-marche est important pour assurer la réussite du programme. Un essai avec 3 bras dont un contrôle actif afin de minimiser le biais de performance pourrait aider à mieux comprendre l’importance du suivi actif par un thérapeute. Un contenu éducatif a été envoyé par email (vitesse idéale, choix des chaussures, sécurité, gestion des douleurs), ce qui est a priori rassurant pour les participants.
Que disent les guides de pratique clinique ?
En plus du maintien de l’activité physique en cas de lombalgie, le KCE (15) émet une recommandation de faible niveau en faveur des programmes d’exercices supervisés. Aucune distinction n’a été faite concernant les modalités et le type d’exercice à recommander mais les auteurs insistent sur le fait que le choix devra être adapté individuellement à chaque patient en tenant compte de ses besoins, ses capacités et ses préférences. En France, la HAS recommande l’activité physique comme “ traitement principal permettant une évolution favorable de la lombalgie commune ” (16). Là aussi, le type d’activité physique à recommander au patient n’est pas précisé.
Conclusion de Minerva
Cette étude randomisée contrôlée suggère qu’un programme individualisé de course-marche pourrait constituer une intervention acceptable et modérément efficace à court terme pour réduire la douleur et l’incapacité liées à la lombalgie chronique, bien que la généralisation des résultats soit limitée par la méthode de recrutement, l’absence de suivi à long terme et l’absence de rapport de certains critères cliniques prévus. De plus, les scores seuils minimaux cliniquement significatifs prédéfinis n’ont pas été atteints.
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