Revue d'Evidence-Based Medicine



La rééducation axée sur plusieurs domaines réduit-elle la mortalité cardiovasculaire et les hospitalisations chez les personnes âgées victimes d’un infarctus du myocarde ?



Minerva 2025 Volume 24 Numéro 10 Page 241 - 245

Professions de santé

Diététicien, Ergothérapeute, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
Tonet E, Raisi A, Zagnoni S, et al. Multidomain rehabilitation for older patients with myocardial infarction. N Engl J Med 2025;393:973-82. DOI: 10.1056/NEJMoa2502799


Question clinique
Quel est l’effet d’une rééducation axée sur plusieurs domaines, par comparaison avec la prise en charge habituelle, sur la mortalité cardiovasculaire et les hospitalisations après un an chez les personnes âgées qui ont récemment fait un infarctus du myocarde ?


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée montre que la rééducation axée sur plusieurs domaines, comparée à la prise en charge habituelle, entraîne une diminution du critère de jugement composite combinant décès et hospitalisations non programmées chez des personnes âgées victimes d’un infarctus du myocarde. Elle a été correctement menée d’un point de vue méthodologique. Seuls un biais de performance et un biais de détection ne peuvent être exclus avec certitude. En outre, l’interprétation des résultats est également plus difficile suite à l’absence d’une correction qui aurait tenu compte du fait qu’il y avait plusieurs tests. Des recherches à long terme sont certainement encore nécessaires pour tirer des conclusions définitives concernant l’effet sur la mortalité (cardiovasculaire) et sur la qualité de vie.


Contexte

En 2020, l’incidence de l’infarctus myocardique aigu en Belgique était estimée à 136 diagnostics pour 100 000 habitants, 95% des patients étant en vie au moment de quitter l’hôpital. L’incidence est la plus élevée parmi les hommes âgés de 70 à 74 ans et les femmes âgées de 85 à 89 ans (1). L’infarctus du myocarde reste donc une cause importante de mortalité et de morbidité chez les personnes âgées (2). L’importance de la rééducation cardiaque pour prévenir le risque d’un nouvel infarctus du myocarde a été démontrée (3,4). Mais, avec la rééducation cardiaque classique, l’observance est souvent faible, et le nombre d’abandons précoces est élevé, notamment parmi les personnes âgées (5). Étant donné que ces abandons s’accompagnent d’un doublement du risque d’un nouvel évènement cardiovasculaire ou de décès (6), il semble très pertinent de rechercher, pour les personnes âgées, des formes adaptées de rééducation cardiaque axée sur plusieurs domaines (7).

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : 
    • personnes âgées de 65 ans ou plus 
    • hospitalisées pour un infarctus du myocarde avec sus-décalage du segment ST (STEMI) * ou un infarctus du myocarde sans sus-décalage du segment ST (NSTEMI)
    • ayant subi une revascularisation coronarienne qui a réussi
    • score de 4 à 9 à la batterie courte de performance physique (Short Physical Performance Battery, SPPB) lors d’une consultation 1 mois après la sortie de l’hôpital
  • critères d’exclusion : 
    • maladie coronarienne affectant plusieurs vaisseaux ou maladie de l’artère coronaire principale gauche 
    • revascularisation coronarienne par voie percutanée prévue
    • comorbidité non cardiovasculaire réduisant l’espérance de vie à moins d’un an
    • toute raison qui empêche un suivi à un an
    • maladie grave de la valvule aortique ou mitrale
    • fraction d’éjection < 30%
    • insuffisance cardiaque chronique de classe NYHA III-IV
    • déficience cognitive sévère (SPMSQ < 4)
    • impossibilité de pratiquer une activité physique en raison d’un handicap physique
  • finalement, inclusion de 512 personnes, âge médian de 80 ans (écart interquartile de 75 à 84 ans), 36% de femmes, recrutement dans 7 centres de l’Émilie-Romagne, une région d’Italie ; plus de 85% avaient de l’hypertension artérielle, 60% avaient une dyslipidémie, 25% avaient du diabète, et 15% étaient fumeurs.

 

* Le segment ST sur l’ECG commence à la fin du complexe QRS et se termine au début de l’onde T. Un sus-décalage du segment ST est le plus souvent le signe une obstruction complète d’une artère coronaire, ce qui représente une forme grave d’infarctus cardiaque. 

 

Protocole de l’étude

Étude randomisée contrôlée avec répartition selon un rapport de 2 sur 1 en deux bras d’étude un mois après un infarctus myocardique aigu :

  • la rééducation axée sur plusieurs domaines (n = 342) comportait les éléments suivants : 
    • prise en charge par un médecin conformément aux recommandations actuelles relatives aux facteurs de risque cardiovasculaires (arrêt du tabac ; surveillance de la pression artérielle, du profil lipidique et de la glycémie) 
    • plan alimentaire adapté individuellement en fonction de l’état nutritionnel
    • programme d’exercices comprenant 6 séances d’exercices individuelles supervisées (30, 60, 90, 180, 270 et 360 jours après la sortie de l’hôpital) combinées à des exercices à domicile personnalisés ; les exercices consistaient en des exercices d’équilibre et de renforcement fonctionnel des jambes et des cuisses, ainsi qu’en au moins 20 minutes de marche modérée au moins quatre fois par semaine ; l’intensité du programme d’exercices a été individualisée en fonction des résultats du test de marche sur tapis roulant de 1 km et ajustée en fonction des performances lors des séances d’exercices
  • à la prise en charge habituelle (n = 170) a été ajoutée une séance de conseil personnel unique de 30 minutes un mois après la sortie de l’hôpital pour promouvoir l’observance thérapeutique ; des supports pédagogiques ont été utilisés, avec des recommandations normalisées concernant l’alimentation, l’arrêt du tabac et l’activité physique
  • le suivi de la fonction physique, de la qualité de vie et des évènements indésirables a été réalisé lors des visites de suivi à 6 et 12 mois, puis annuellement, par des médecins qui ne savaient pas de quel groupe les patients faisaient partie.

 

Mesure des résultats

  • principal critère de jugement : critère d’évaluation composite combinant décès cardiovasculaire et hospitalisation non programmée pour problème cardiovasculaire dans l’année suivant la randomisation
  • critères de jugement secondaires : 
    • composantes individuelles du critère d’évaluation composite
    • mortalité globale
    • hospitalisation non programmée pour insuffisance cardiaque 
    • infarctus du myocarde, revascularisation coronarienne, accident vasculaire cérébral (AVC) et saignement classé 3-5 dans la classification BARC
    • fonctionnement physique à 6 mois et à 1 an, mesuré en utilisant la SPPB, le test de marche de 10 mètres et la force de préhension
    • qualité de vie à 6 mois et à 1 an, mesurée en utilisant le questionnaire EuroQol à 5 dimensions et 5 niveaux
  • l’analyse statistique a été réalisée selon l’intention de traiter avec la courbe de Kaplan-Meier et le modèle de risques de Fine-Gray, l’hypothèse des risques proportionnels étant vérifiée à l’aide du test des résidus de Schoenfeld
  • des forest plots ont été utilisés pour examiner la constance de l’effet de l’intervention sur le principal critère d’évaluation dans des sous-groupes prédéfinis.

 

Résultats

  • résultats du principal critère d’évaluation : le critère d’évaluation composite est survenu chez 12,6% des patients du groupe intervention contre 20,6% dans le groupe témoin ; HR de 0,57 avec un IC à 95% de 0,36 à 0,89 ; p = 0,01
  • résultats des critères de jugement secondaires :
    • une hospitalisation non programmée pour problème cardiovasculaire a eu lieu chez 9,1% des patients du groupe intervention et chez 17,6% des patients du groupe témoin ; HR de 0,48 avec un IC à 95% de 0,29 à 0,79
    • il n’y avait pas de différence statistiquement significative en termes de mortalité cardiovasculaire entre le groupe intervention (4,1% des patients) et le groupe témoin (5,9% des patients)
    • aucune différence statistiquement significative n’a été observée concernant la mortalité globale, l’infarctus du myocarde, la revascularisation coronaire, l’AVC et les saignements classés 3-5 dans la classification BARC
    • une hospitalisation non programmée pour insuffisance cardiaque a eu lieu chez 1,5% des patients du groupe intervention et chez 7,1% des patients du groupe témoin ; HR de 0,20 avec un IC à 95% de 0,07 à 0,56
    • amélioration statistiquement significative de la fonction physique dans le groupe intervention, par rapport au groupe témoin, à 6 mois et 12 mois ; différence médiane de +2 points (IC à 95% de 1 à 3) à 6 mois et de +2 points (IC à 95% de 2 à 3) à 1 an à la SPPB
    • aucune différence statistiquement significative n’a été observée en termes de qualité de vie entre les deux groupes après 6 mois et 12 mois. 

 

Conclusion des auteurs

La rééducation axée sur plusieurs domaines chez les patients âgés présentant une altération des capacités physiques un mois après un infarctus du myocarde a permis de réduire l’incidence des décès cardiovasculaires ou des hospitalisations cardiovasculaires non programmées dans l’année qui a suivi, par comparaison avec la prise en charge habituelle.

 

Financement de l’étude

Financée par le ministère italien de la Santé ; ce dernier n’a joué aucun rôle dans la conception de l’étude, la collecte, l’analyse et l’interprétation des données, ni dans la préparation du manuscrit. 

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs ne mentionnent pas de conflits d’intérêt.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Le protocole de cette RCT a été publié au préalable (8). S’appuyant sur les résultats d’une étude pilote (9), les chercheurs s’attendaient à un résultat primaire positif chez 25% des patients du groupe témoin et à une réduction du risque relatif d’au moins 40% dans le groupe intervention. En tenant compte d’un taux d’abandons de 5%, ils ont calculé une taille d’échantillon requise de 456 participants pour démontrer avec une puissance de 80% la supériorité de l’intervention par rapport à la prise en charge habituelle. L’inclusion de 512 participants a rendu cela possible. Le biais de sélection a été évité grâce à une randomisation effectuée à l’aide d’un système centralisé basé sur le Web. Une liste de randomisation a été générée par ordinateur pour les variables de stratification, à savoir le centre d’étude, le sexe, la présentation clinique et le score à la batterie courte de performance physique (Short Physical Performance Battery, SPPB). L’affectation aux différents bras de l’étude a été effectuée en aveugle. 
Les chercheurs n’avaient pas la possibilité de surveiller les activités réalisées à domicile. Il s’ensuit qu’un biais de performance ne peut être exclu. Les chercheurs ont tenté d’éviter les biais de détection en programmant les visites de suivi avec des médecins qui n’avaient pas été impliqués dans la randomisation. Cependant, on ne peut exclure que, lors du suivi, les patients aient eux-mêmes révélé leur affectation au groupe intervention ou au groupe témoin. L’attribution des évènements cliniques a été effectuée par un comité d’évaluation indépendant qui ignorait de quel groupe les patients faisaient partie. Comme il n’y avait que peu de données manquantes, nous pouvons supposer que l’absence de données est survenue de manière aléatoire. Il ne s’agit donc probablement pas d’un biais d’attrition. 
Les chercheurs ont, à juste titre, effectué une analyse en intention de traiter qui tient compte de l’observance thérapeutique et qui est donc plus conforme à la pratique clinique. L’analyse a été effectuée au moyen du modèle de Fine-Gray pour l’évaluation des risques. Ce choix est justifié compte tenu de la présence de risques concurrents dans la mesure des résultats. Ainsi, la mortalité due à des causes non cardiaques peut être considérée comme un risque concurrent de la mortalité cardiovasculaire. Si un patient décède d’une cause non cardiaque pendant le suivi, il ne peut plus mourir d’une cause cardiaque (on ne meurt qu’une fois). Si les statisticiens n’avaient pas corrigé ce facteur, une sous-estimation du risque de décès cardiovasculaire aurait été possible. De plus, on a également vérifié si les rapports de risque restaient constants au fil du temps (hypothèse des risques proportionnels) à l’aide des résidus de Schoenfeld. En revanche, les intervalles de confiance n’ont pas été corrigés pour tenir compte du fait qu’il y avait plusieurs tests. Cela augmente le risque de faux positifs lors de l’analyse de plusieurs résultats ou sous-groupes. De plus, on ne doit pas utiliser la largeur des intervalles de confiance pour estimer la taille réelle de l’effet. Il faut certainement avoir cela à l’esprit lors de l’interprétation des résultats. Enfin, nous tenons à préciser que tous les résultats ont été correctement rapportés et qu’un biais de notification a été exclu. 

 

Évaluation des résultats

Cette étude montre que la rééducation axée sur plusieurs domaines entraîne une diminution statistiquement significative de la mortalité cardiovasculaire et des hospitalisations non prévues. L’éducation supplémentaire dispensée avec la prise en charge habituelle des patients du groupe témoin pourrait aussi avoir entraîné une sous-estimation de l’effet de l’intervention. Outre le gain fonctionnel, qui est également démontré dans cette étude, la rééducation axée sur plusieurs domaines pourrait donc également prolonger la vie et réduire les coûts des soins de santé. Notons toutefois que les gains en matière de mortalité cardiovasculaire et globale n’étaient pas statistiquement significatifs. Le suivi était peut-être trop court pour démontrer un effet à cet égard. Nous ne pouvons actuellement tirer aucune conclusion concernant la qualité de vie. Par ailleurs, il est également important de mentionner qu’aucune différence en termes d’effets indésirables n’a été démontrée. 
Les composantes de la rééducation axée sur plusieurs domaines sont disponibles en Belgique, ce qui rend possible la mise en œuvre de cette intervention dans le contexte des soins en Belgique. Cependant, il n’est pas possible d’estimer correctement la contribution des différentes composantes. On ne sait pas dans quelle mesure cette intervention peut être appliquée aux personnes présentant une déficience cognitive sévère étant donné que ce groupe a été exclu. Par ailleurs, les résultats ne concernent que les personnes ayant survécu un mois après un infarctus myocardique aigu. 
 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Il n’existe pas encore de guide de pratique clinique belge sur la rééducation après un infarctus myocardique aigu. Selon le guide de pratique clinique du NICE sur les syndromes coronariens aigus (2020), toutes les personnes qui ont été victimes d’un infarctus myocardique aigu (quel que soit leur âge) devraient se voir proposer un programme de rééducation comprenant une composante d’exercice (10). Si une personne est atteinte d’un problème cardiaque ou d’un autre problème clinique susceptible d’être aggravé par l’exercice physique ou le sport, il faut, si possible, traiter le problème avant de proposer la composante exercice physique de la rééducation cardiaque. Pour certaines personnes, la composante « exercice physique » peut être modifiée par un professionnel de santé qualifié. Les patients dont la fraction d’éjection ventriculaire gauche est réduite mais stabilisée peuvent également participer en toute sécurité à la composante « exercice physique » de la rééducation cardiaque. Par ailleurs, ce guide de pratique clinique donne des conseils pour améliorer l’observance thérapeutique, comme par exemple s’abstenir de juger, fournir des informations et proposer des exercices sur mesure.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée contrôlée montre que la rééducation axée sur plusieurs domaines, comparée à la prise en charge habituelle, entraîne une diminution du critère de jugement composite combinant décès et hospitalisations non programmées chez des personnes âgées victimes d’un infarctus du myocarde. Elle a été correctement menée d’un point de vue méthodologique. Seuls un biais de performance et un biais de détection ne peuvent être exclus avec certitude. En outre, l’interprétation des résultats est également plus difficile suite à l’absence d’une correction qui aurait tenu compte du fait qu’il y avait plusieurs tests. Des recherches à long terme sont certainement encore nécessaires pour tirer des conclusions définitives concernant l’effet sur la mortalité (cardiovasculaire) et sur la qualité de vie. 

 

 


Références 

  1. Belgique en bonne santé. Cardiopathie ischémique. Vers une Belgique en bonne santé. Site consulté le 20/11/2025 sur : 
    https://www.belgiqueenbonnesante.be/fr/etat-de-sante/maladies-non-transmissibles/cardiopathie-ischemique#incidence-de-linfarctus-aigu-du-myocarde
  2. Madhavan MV, Gersh BJ, Alexander KP, et al. Coronary artery disease in patients ≥80 years of age. J Am Coll Cardiol 2018;71:2015-40. DOI: 10.1016/j.jacc.2017.12.068
  3. Sculier J.P. La réhabilitation cardiaque est bénéfique en cas de cardiomyopathie ischémique. MinervaF 2022;21(9):216-19.
  4. Dibben G, Faulkner J, Oldridge N, et al. Exercise-based cardiac rehabilitation for coronary heart disease. Cochrane Database Syst Rev, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD001800.pub4
  5. Thomas RJ. Cardiac rehabilitation - challenges, advances, and the road ahead. N Engl J Med 2024;390:830-841. DOI: 10.1056/NEJMra2302291
  6. Pardaens S, Willems AM, Clays E, et al. The impact of drop-out in cardiac rehabilitation on outcome among coronary artery disease patients. Eur J Prev Cardiol 2017;24:1490-7. DOI: 10.1177/2047487317724574
  7. Tonet E, Raisi A, Zagnoni S, et al. Multidomain rehabilitation for older patients with myocardial infarction. N Engl J Med 2025;393:973-82. DOI: 10.1056/NEJMoa2502799
  8. Tonet E, Raisi A, Zagnoni S, et al. Multi-domain lifestyle intervention in older adults after myocardial infarction: rationale and design of the PIpELINe randomized clinical trial. Aging Clin Exp Res 2023;35:1107-15. DOI: 10.1007/s40520-023-02389-9
  9. Campo G, Tonet E, Chiaranda G, et al. Exercise intervention improves quality of life in older adults after myocardial infarction: randomised clinical trial. Heart 2020;106:1658-64. DOI: 10.1136/heartjnl-2019-316349
  10. National Institute for Health and Care Excellence. Acute coronary syndromes. NICE guideline (NG185). Published: 18/11/2020.




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