Analyse
Thromboprophylaxie lors de chirurgies orthopédiques non majeures : le rivaroxaban gagnerait-il ses galons par rapport à l’enoxaparine ?
Nous n’avons pas encore abordé dans Minerva l’intérêt de la thromboprophylaxie en cas d’intervention orthopédique non majeure. NICE (2018) ne recommande une prophylaxie de la thrombose veineuse profonde (TVP) que si le temps d’anesthésie dépasse 90 minutes, ou que la chirurgie requiert une immobilisation plâtrée, ou que le risque de TVP est supérieur au risque de saignement (1). En 2014, C. Chapelle et al. (2) concluaient dans une méta-analyse que la thromboprophylaxie par HBPM lors de chirurgies non majeures diminuait significativement le risque de TVP, mais que le coût, ainsi que les potentiels effets indésirables devaient aussi entrer en ligne de compte. En 2019, une méta-analyse de Bikdeli et al. (3) concluait que, lors de chirurgies du pied et de la cheville, la prophylaxie diminue significativement le nombre d’événements thromboemboliques, mais que ce nombre est d’emblée faible. On ne retrouve que très peu de RCTs méthodologiquement correctes concernant l’efficacité et la sécurité de la prophylaxie de la TVP dans les chirurgies orthopédiques non majeures. Il semble donc légitime de se baser sur les guides de pratique clinique concernant les chirurgies majeures.
L’étude de Samama et al. menée de 2015 à 2018 tente d’éclairer les cliniciens (4).
D’ampleur internationale, elle est conçue comme un essai de non-infériorité, randomisée et en double aveugle. Elle compare le rivaroxaban 10 mg à l’enoxaparine à la dose de 40 mg (4000 UI) en sous-cutané en cas d’intervention chirurgicale orthopédique non majeure des membres inférieurs. Les procédures éligibles sont la réparation du tendon d’Achille, les chirurgies du genou à l’exclusion de la prothèse totale du genou, les chirurgies du plateau tibial ou du fémur (à l’exclusion des fractures du col ou de la tête fémorale), les fractures du tibia ou de la cheville, les ostéotomies tibiales, la transposition de la tubérosité tibiale, les arthrodèses du genou et de la cheville, les réparations ligamentaires du genou nécessitant une immobilisation planifiée ou un report de charge partielle ; ou toute autre chirurgie des membres inférieurs nécessitant une thromboprophylaxie de plus de 14 jours.
Une analyse en intention de traiter et une analyse per protocole ont été menées. Un test de supériorité du rivaroxaban a été programmé d’emblée si la non-infériorité du rivaroxaban était avérée.
Le critère d’efficacité primaire, composite, est la survenue d’événements thromboemboliques majeurs : TVP proximale ou distale, embolie pulmonaire ou décès de cause thromboembolique durant le traitement, mais aussi TVP proximale asymptomatique à la fin du traitement. Les critères de jugement secondaires de sécurité sont la survenue d’un saignement majeur, ou mineur mais cliniquement pertinent, l’apparition d’une thrombocytopénie ou le décès du patient.
Les auteurs décrivent une diminution du risque de 75% dans le groupe traité par rivaroxaban par rapport au groupe traité par enoxaparine en ce qui concerne les critères d’efficacité primaires : RR de 0,25 avec un IC à 95% de 0,09 à 0,75. En chiffre absolu cela représente 4 des 1661 patients (0,2%) dans le groupe rivaroxaban versus 18 des 1640 patients (1,1%) du groupe enoxaparine. L’apparition d’une hémorragie ne diffère pas significativement entre le groupe traité par rivaroxaban et celui traité par enoxaparine : RR de 1,04, avec un IC à 95% de 0,55 à 2 (n=18 versus n=19).
Dans l’essai de supériorité du rivaroxaban, les auteurs mentionnent une diminution significative de l’incidence d’événements symptomatiques (RR de 0,28 avec IC à 95% de 0,08 à 1,00), ce qui pourrait traduire l’inclusion de patients à plus haut risque que dans les études précédentes. La valeur de p pour l’essai supériorité est de 0,01.
Quelques limites de cette étude sont à relever. La première et la plus importante : le nombre de patients, initialement fixé à 4400, a été ramené à 3604 à cause d’un recrutement plus lent que prévu, ainsi que par l’arrivée à péremption d’une partie des conditionnements dédiés à l’essai, ce qui en aurait considérablement affecté le coût. Cette taille d'échantillon plus petite que prévu peut limiter la précision de l'estimation de l'efficacité. Cependant, l’efficacité observée de 75% est plus importante que celle attendue (55%). Ensuite, la population incluse était relativement jeune et en bonne santé, et les résultats ne peuvent pas être généralisables aux patients plus âgés. L'essai n'a pas inclus de groupe placebo et ne peut donc pas fournir d'informations sur les taux d'événements dans une population n'ayant pas reçu de prophylaxie. La durée prévue de la prophylaxie a été déterminées sur la base du jugement du médecin, ce qui peut être difficile à reproduire dans la pratique clinique. 8,4% des participants à l'essai ont eu une évaluation incomplète ou aucune évaluation du résultat principal. Selon les auteurs, il n’est pas certain que tous les événements survenus au cours des 30 jours (± 7 jours) après l'arrêt de l'anticoagulation aient été soumis au comité des incidents cliniques. Enfin, le petit nombre d'événements signifie que l'essai a un pouvoir très limité pour évaluer les effets par sous-groupes.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Il n'y a pas de consensus sur l'utilisation de la thromboprophylaxie chez les patients subissant une chirurgie orthopédique non majeure. Aux États-Unis, une prophylaxie mécanique (non pharmacologique) ou pharmacologique de routine n'est pas requise car les directives américaines affirment que le risque de thromboembolie veineuse après une telle chirurgie est faible (5). Les lignes directrices européennes recommandent cependant une stratégie personnalisée de prophylaxie par héparine de faible poids moléculaire chez les patients présentant un ou plusieurs facteurs de risque et dont le risque d’événement thrombotique dépasse celui d’un événement hémorragique (1,4,6).
Conclusion
Cette étude randomisée, en double aveugle, compare l’enoxaparine au rivaroxaban en cas d’intervention orthopédique non majeure d’un membre inférieur chez des patients relativement jeunes. Les résultats montrent une diminution du risque de 75% dans le groupe traité par rivaroxaban par rapport au groupe traité par enoxaparine sur la survenue d’événements thromboemboliques majeurs.
Les résultats de cette étude semblent prometteurs mais le nombre absolu très faible d’événements et de nombreuses limitations méthodologiques doivent rendre les cliniciens prudents.
- National Institute for Health and Care Excellence. Venous thromboembolism in over 16s: reducing the risk of hospital-acquired deep vein thrombosis or pulmonary embolism. NICE guideline [NG89]. Published date: 21 March 2018. Last updated: 13 August 2019.
- Chapelle C, Rosencher N, Jacques Zufferey P, et al; Meta-Embol Group. Prevention of venous thromboembolic events with low-molecular-weight heparin in the non-major orthopaedic setting: meta-analysis of randomized controlled trials. Arthroscopy 2014;30:987-96. DOI: 10.1016/j.arthro.2014.03.009
- Bikdeli B, Visvanathan R, Jimenez D, et al. Use of prophylaxis for prevention of venous thromboembolism in patients with isolated foot or ankle surgery: a systematic review and meta-analysis. Thromb Haemost 2019;119:1686-94. DOI: 10.1055/s-0039-1693464. Erratum in: Thromb Haemost 2019;119:e1.
- Samama C-M, Gafsou B, Jeandel T, et al. Guidelines on perioperative venous thromboembolism prophylaxis. Update 2011. Short text. Ann Fr Anesth Reanim 2011;30:947-51. (In French.) DOI: 10.1016/j.annfar.2011.10.008
- Kearon C, Akl EA, Ornelas J, et al. Antithrombotic therapy for VTE disease: CHEST guideline and expert panel report. Chest 2016;149:315-52. DOI: 10.1016/j.chest.2015.11.026
- Afshari A, Ageno W, Ahmed A, et al. European guidelines on perioperative venous thromboembolism prophylaxis: executive summary. Eur J Anaesthesiol 2018;35:77-83. DOI: 10.1097/EJA.0000000000000729
Ajoutez un commentaire
Commentaires