Revue d'Evidence-Based Medicine
Inhibiteurs des cholinestérases: preuves scientifiques?
Minerva 2006 Volume 5 Numéro 6 Page 94 - 96
Professions de santé
Résumé
Contexte
Différentes RCTs ont montré un effet favorable, sur les fonctions cognitives et globales, de l’administration de donépézil, de galantamine et de rivastigmine chez des patients présentant des formes légères à modérées de maladie d’Alzheimer. Malgré un bénéfice plutôt limité, l’American Academy of Neurology (AAN) en recommande l’emploi 1. Le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) semble beaucoup plus réservé dans ses prépublications de révision du guide pratique en vigueur 2,3.
Méthodologie
Synthèse méthodique
Sources consultées
Medline, Embase et la Cochrane Database of Systematic Reviews. Les listes de référence des études examinées ont également été consultées.
Etudes sélectionnées
Les auteurs ont inclus toutes les publications comportant des données originales d’études randomisées, contrôlées versus placebo, en double aveugle, concernant des patients présentant une maladie d’Alzheimer et traités par donépézil, rivastigmine ou galantamine. Ont été exclues les études mentionnant des résultats non cliniques, concernant des patients avec démence vasculaire ou comparant différents inhibiteurs des cholinestérases. Finalement, 22 RCTs sont sélectionnées, douze avec le donépézil, cinq avec la rivastigmine et cinq avec la galantamine. La durée de traitement varie de six semaines à trois ans et le nombre de sujets inclus oscille entre 27 et 978.
Population étudiée
Les caractéristiques de base des populations d’étude ne sont pas mentionnées.
Mesure des résultats
Huit des 22 études se limitent à un critère de jugement primaire. Les autres combinent plusieurs instruments de mesure ou présentent plusieurs analyses du même instrument de mesure.
Résultats
Quatorze études utilisent le score ADAS-cog Alzheimer’s Disease Assessment Scale) comporte 10 items qui évaluent les fonctions non cognitives (ADAS-Noncog) et 11 items qui évaluent les fonctions cognitives (ADAS-Cog: Cognitive subscale ). L’orientation, la mémoire, le langage et les praxies sont testés. Le score ADAS-Cog varie entre 0 et 70. Plus il y a d’erreurs, plus le score est élevé. Un individu sain aura un score entre 5 et 10. Un score de 70 indique une démence sévère.">ADAS-cog comme critère de jugement primaire et douze d’entre elles montrent une différence significative, variant de 1,5 à 3,9 points, entre les inhibiteurs des cholinestérases et le placebo en faveur des premiers. Douze études évaluent l’efficacité des inhibiteurs des cholinestérases au moyen de l’échelle CIBIC-plus. Cinq d’entre elles montrent une différence significative (variation de 0,26 à 0,54 point) entre inhibiteurs des cholinestérases et placebo en faveur des premiers. Dans onze études, le nombre de patients avec un score CIBIC-plus de 1 à 3 (amélioration) ou un score de 1 à 4 (amélioration ou statu quo) est significativement plus important dans le groupe inhibiteurs des cholinestérases. Parmi cinq études, l’effet significatif disparaît après correction pour la multiplicité (des doses et des instruments de mesure) ou pour l’exclusion de patients dans un «worst case scenario». Dix études utilisent également d’autres instruments de mesure. L’une d’entre elles montre un ralentissement de cinq mois de la régression fonctionnelle cliniquement pertinente. Une autre ne montre pas de différence pour la diminution des capacités fonctionnelles et l’institutionnalisation. Trois études évaluent le comportement et ne montrent pas d’amélioration significative pour le donépézil versus placebo. Une étude montre une régression pour le score NPI est un questionnaire destiné à évaluer la fréquence et la gravité des problèmes comportementaux. Le score maximum est 144. Plus le score est élevé, plus les problèmes comportementaux sont importants.">NPI lors de l’arrêt du donépézil. Dans trois études faisant référence au score CGIC, après correction pour la multiplicité, un avantage pour le donépézil n’est observé que dans une seule étude. Le score PDS est utilisé dans deux études avec la rivastigmine mais les résultats, après correction pour la multiplicité, sont contradictoires pour ce critère.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que, en raison d’une méthodologie de recherche défectueuse et de résultats favorables limités, les bases scientifiques permettant de recommander les inhibiteurs des cholinestérases dans la démence d’Alzheimer sont discutables.
Financement
Aucun.
Conflits d’intérêt
Aucun n’est mentionné.
Discussion
Cette étude cible l’évaluation de la méthodologie des études disponibles sans livrer de réelle méta-analyse de l’ampleur d’effet. Les auteurs s’y sont attelés avec soin et leur analyse est donc fiable. Les études évaluées présentent beaucoup de limites, non perceptibles pour un lecteur non averti et dont l’implication ne peut être toujours évaluée. Les auteurs de guides de pratique eux-mêmes prennent souvent ces erreurs insuffisamment en compte, comme le montre sans doute la lecture du guide de l’AAN 1, des Cochrane systematics reviews 4-7, et de Clinical Evidence 8.
Surestimation de l’efficacité
Les études incluses présentent quelques erreurs méthodologiques importantes. L’exclusion de patients après randomisation, des sorties d’étude sélectives en cours d’étude, apportent peut-être des modifications dans les caractéristiques de base avec donc des différences apparaissant entre les groupes traitement actif et placebo et donc des mesures d’effet erronées. Dans la majorité des études (15 sur 22) une correction par analyse en intention de traiter n’est pas apportée. L’analyse se base sur les résultats des patients toujours suivis et traités en fin d’étude, sans mentionner in extenso quels patients sont ou non repris dans cette analyse finale. Seules huit études répondent à cette exigence et font une analyse en intention de traiter ou une analyse en last observation carried forward (LOCF). Si, par exemple, des sorties d’étude plus fréquentes et plus précoces ont lieu dans le groupe inhibiteurs des cholinestérases, l’analyse repose sur des résultats plus précoces avec une surestimation possible de l’ampleur d’effet. Ce phénomène est observé dans huit études. Dans le calcul des moyennes, une sortie d’étude sélective des personnes avec les scores les moins bons peut également biaiser les résultats.
Interprétation des résultats
Les études utilisent différents critères de jugement primaires et se livrent à des analyses multiples. En utilisant dans une étude différents critères et en les combinant, la puissance s’en trouve réduite et le niveau de signification statistique doit être adapté. Sept études n’ont pas réalisé cette adaptation et quand celle-ci est appliquée par une correction de la multiplicité, l’effet n’est plus significatif. L’interprétation des résultats observés est également délicate. Les instruments de mesure les plus employés sont l’ADAS-cog et le CIBIC-plus, scores subjectifs. Le respect du caractère aveugle est donc très important. Les publications donnent souvent trop peu d’informations à ce sujet. En accumulant différentes catégories de critères, et en mesurant l’ensemble sur une échelle continue, une différence statistiquement significative est aussi plus rapidement atteinte. Ce procédé n’est pas toujours cliniquement pertinent et il devient très difficile et en général arbitraire d’en tirer ensuite les implications pour la pratique. Par exemple, un gain de quelques mots pour la mémoire à court terme n’a pas le même impact qu’une amélioration dans les capacités fonctionnelles de la vie courante.
L’AAN 1 mentionne qu’une différence de quatre points au score ADAS-cog peut être considérée comme cliniquement pertinente. Dans aucune étude, la valeur de la différence moyenne n’atteint ce seuil. Pour le score CIBIC-plus, la différence moyenne entre les groupes n’atteint jamais un point, valeur considérée comme un minimum pour une pertinence clinique. Un motif important d’institutionnalisation est la survenue de troubles du comportement. Seules trois études évaluent ce critère et il n’est influencé favorablement que dans une seule. Dans l’étude AD2000, le donépézil ne montre aucune différence versus placebo en ce qui concerne un délai dans l’institutionnalisation, ni à 3 ans ni à 2 ans de traitement 9,10,11. Seule une étude avec du donépézil montre un bénéfice versus placebo après cinq mois de traitement. Aucun inhibiteur des cholinestérases ne montre d’efficacité sur le mécanisme pathologique causal. Il s’agit donc d’un traitement purement symptomatique. Les patients qui reçoivent, dans la pratique quotidienne, du donépézil sont différents, dans plus de 50% des cas, des populations d’étude 12.
Des effets indésirables tels que nausées, vomissements, diarrhée et perte de poids sont un motif d’arrêt sélectif dans les études et représentent une charge pour le patient et pour les soignants. Des effets indésirables manifestes peuvent également rompre le caractère aveugle de l’étude. De plus, les personnes démentes n’ont pas toujours les moyens de communiquer des effets indésirables ressentis. Environ 10% des patients pourraient tirer bénéfice de la prise d’un inhibiteur des cholinestérases 13, mais nous ne possédons pas d’indice prédictif d’une réponse possible. Une maladie pour laquelle les soins sont importants et la disponibilité de soignants naturels est cruciale, demande, avant tout, un soutien de ces soins et des aidants naturels.
Guides de pratique
Les résultats de cette étude confirment certains avis exprimés. NICE avait d’abord proposé, suite aux résultats de l’étude AD2000 9,10, de revoir son guide de pratique datant de 2001 2, en ne recommandant plus l’utilisation d’inhibiteurs des cholinestérases dans les formes légères à modérées de démence d’Alzheimer 3, avant de revenir sur cette proposition en 2006 malgré une réanalyse convaincante de l’étude AD2000 à deux ans de traitement, confirmant les données à un moment où le nombre de patients était encore suffisamment élevé dans l’étude 11. L’avis définitif de NICE n’est pas encore connu. Le NHG-Standaard n’en recommande pas l’utilisation 13. La Fiche de transparence, avec sa mise à jour 14, concernant les médicaments dans la démence, est très prudente dans son avis concernant les inhibiteurs des cholinestérases. Les conclusions concernant ces médicaments formulées dans les messages clés du numéro de la revue Minerva consacré à la démence sont confortées par la présente méta-analyse: attitude réservée dans la prescription de ces médicaments, soutien aux aidants naturels, réduction de l’utilisation de psychotropes 15.
Conclusion
Cette synthèse méthodique montre que les effets limités et transitoires des inhibiteurs des cholinestérases sur les capacités cognitives et fonctionnelles des patients atteints d’une démence d’Alzheimer peuvent être remis en question. Les RCTs disponibles présentent des insuffisances méthodologiques importantes. Les preuves sont donc insuffisantes pour une prescription systématique des inhibiteurs des cholinestérases chez les patients présentant une maladie d’Alzheimer.
Références
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- Fiche de transparence. Traitement médicamenteux de la démence. Mars 2003, mise à jour janvier 2005. Centre Belge d’Information Pharmacothérapeutique.
- Rédaction de Minerva. Numéro thématique sur la démence: Messages clés. MinervaF 2002;1(1):14.
Noms de marque
donépézil: Aricept®;
galantamine: Reminyl®;
rivastigmine: Exelon®
Auteurs
Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :
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