Revue d'Evidence-Based Medicine



HbA1c chez des non diabétiques : risque cardiovasculaire et de diabète



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 1 Page 8 - 9

Professions de santé


Analyse de
Selvin E, Steffes MW, Zhu H, et al. Glycated hemoglobin, diabetes, and cardiovascular risk in nondiabetic adults. N Engl J Med 2010;362:800-11.


Question clinique
Chez des patients non diabétiques, quel est l'apport de la mesure de l'HbA1c versus celle de la glycémie à jeun pour prédire le risque de diabète, de morbidité cardiovasculaire et de mortalité de toute cause?


Conclusion
Cette étude montre qu'un taux d'HbA1c > ou = 5,5% chez des patients non diabétiques de type 2 à l'inclusion, est un meillieur facteur prédictif d'ischémie coronarienne, d'AVC ischémique et de mortalité globale qu'une glycémie à jeun située entre 100 et <126 mg/dl. Cette étude ne permet pas de se prononcer sur la valeur de l'HbA1c pour le diagnostic du diabète.


 

Contexte

Un comité international d’experts a récemment proposé la mesure de l’HbA1c pour le diagnostic du diabète, comme la glycémie à jeun ou le test oral de tolérance au glucose. Sur base d’un lien épidémiologique entre le taux d’HbA1c et les complications microvasculaires (rétinopathie principalement), un seuil de 6,5% est proposé (1). Une autre question de recherche intéressante est l’utilisation de différentes valeurs d’HbA1c pour prédire le risque d’événements macrovasculaires chez des patients sans diabète ; les données de l’étude  Atherosclerosis Risk in Communities (ARIC) sont utilisées à cet effet.

  

Résumé

 

Population étudiée

  • 15 792 personnes recrutées en 1987-89 aux E.-U.
  • critères d’exclusion à la première visite de contrôle (1990-92) : ni de race blanche ni de race noire, diagnostic de diabète auto rapporté ou prise d’antidiabétiques, antécédent cardiovasculaire, prise de sang non à jeun, données manquantes
  • population incluse : 11 092 personnes, âge moyen de 56,7 (ET 5,7) ans, 57,7% de femmes, 77,6% de race blanche, moyenne d’HbA1c de 5,5% (ET 0,6) et de glycémie à jeun  de 104,7 mg/dl (ET 18,6), IMC moyen de 27,7 (ET 5,3), antécédent familial de diabète 22,7%, d’HTA 32%, fumeurs 21,9%, ex-fumeurs 37,3%.

 

Protocole d’étude

  • étude de cohorte prospective
  • 3 visites de suivi à 3 ans d’intervalle
  • HbA1c mesurée à la 1ère visite ; valeurs réparties en  tranches : <5%, 5 à <5,5%, 5,5 à <6%, 6 à <6,5% et ≥6,5%
  • définition de nouveau diabète : 1. sur base d’une glycémie, d’un diagnostic auto rapporté, de prise d’un antidiabétique lors d’une des visites de contrôle (jusqu’à 6 ans) ou 2. sur base des critères précités rapportés lors d’un contact téléphonique annuel (jusqu’à 15 ans)
  • définitions d’un incident ischémique cardiaque : infarctus du myocarde, décès cardiovasculaire, intervention cardiaque (auto rapporté, dossier hospitalier ou ECG)
  • modèle de hasards proportionnels de Cox avec 1. Corrections pour l’âge, le sexe et la race ; 2. Corrections en plus pour les LDL et HDL cholestérols, triglycérides, IMC, rapport Ho/Fe, HTA, anamnèse familiale de diabète, niveau scolaire, consommation d’alcool, activités physiques, tabagisme ; 3. Corrections en plus pour la glycémie à jeun ou l’HbA1c initiale.

Mesure des résultats

  • valeur prédictive de l’HbA1c pour la survenue d’un diabète, d’un incident ischémique cardiaque, d’un AVC ischémique, pour la mortalité globale
  • HbA1c de 5 à 5,5% et glycémie à jeun <100 mg/dl comme références.

Résultats

  • suivi moyen de 14 ans ; >80% de participation à chaque contrôle
  • risque accru de survenue d’un cas des critères en fonction d’un taux plus important d’HbA1c, même après correction pour la glycémie à jeun (voir tableau)
  • HbA1c et mortalité globale : relation en courbe en J : risque plus important avec une HbA1c <5% qu’avec des chiffres de 5 à 5,4%
  • risque de diabète accru avec une glycémie à jeun de 100 à 126 ou >126 mg/dl (HR 2,31 ; IC à 95% de 2,06 à 2,59) ; avec une glycémie >126 mg/dl risque significativement accru d’incident coronarien (HR 1,29 ; IC à 95% de 1,04 à 1,61), d’AVC ischémique (HR 1,89 ; IC à 95% de 1,33 à 2,69), de mortalité globale (HR 1,31 ; IC à 95% de 1,07 à 1,61) même après correction pour l’HbA1c.

 

Tableau. Relation entre les tranches d’HbA1c (<5%, 5%-5,5%, 5,5%-6%, 6%-6,5%, ≥6,5%) et le risque de diabète (définition 1), d’incident coronarien, d’AVC ischémique, de mortalité globale, exprimée en HR (IC à 95%) versus HbA1c 5-5,5%, avec correction pour : âge, sexe, race, LDL et HDL cholestérols, triglycérides, IMC, rapport Ho/Fe, HTA, anamnèse familiale de diabète, niveau scolaire, consommation d’alcool, activités physiques, tabagisme et glycémie à jeun initiale.

 

HbA1c

Diabète

Incident coronarien

AVC ischémique

Mortalité globale

<5%

0,57 (0,31-1,03)

0,95 (0,73-1,22)

1,09 (0,68-1,77)

1,48 (1,21-1,81)

5%-5,4%

1,00

1,00

1,00

1,00

5,5%-5,9%

1,77 (1,41-2,22)

1,25 (1,09-1,44)

1,16 (0,89-1,53)

1,19 (1,05-1,35)

6%-6,4%

5,08 (3,93-6,56)

1,88 (1,55-2,28)

2,19 (1,58-3,05)

1,61 (1,35-1,91)

≥6,5%

14,53 (10,53-20,04)

2,46 (1,84-3,28)

2,96 (1,87-4,67)

1,71 (1,30-2,25)

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs de cette étude dans une population générale de non diabétiques concluent que versus glycémie à jeun, la valeur prédictive de l’HbA1c est similaire pour le risque de diabète et meilleure pour le risque d’incident cardiovasculaire. Ces données s’ajoutent aux preuves de l’intérêt d’utiliser l’HbA1c pour diagnostiquer un diabète.

Financement : NIH, NIDDK, NHLBI.

 

Conflits d’intérêt : aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Comme l’étude de Framingham, cette étude Atherosclerosis Risk in Communities (ARIC) suit une cohorte importante et permet de réaliser différentes analyses. Les sujets sont répartis suivant des tranches de valeurs d’HbA1c (<6%, 6,0-6,4%, ≥6,5%) et de glycémies à jeun (<100 mg/dl, 100-125 mg/dl,  ≥126 mg/dl) comme seuils de prédiabète et de diabète (1). En Europe, ce sont généralement les critères de l’OMS qui sont utilisés : <110 mg/dl, 110-125 mg/dl,  ≥126 mg/dl. Ces seuils sont basés sur la relation entre glycémie à jeun et HbA1c d’une part, et d’autre part la survenue d’une rétinopathie dans 3 études épidémiologiques transversales (1). La plus-value de cette recherche vient du fait que ses auteurs n’ont pas uniquement évalué le risque de survenue d’un diabète en fonction du taux d’HbA1c mais qu’ils ont aussi exploré le risque de survenue d’incident coronarien, d’AVC ischémique, de décès en fonction de cette HbA1c. Cette analyse permet donc de valider des seuils d’HbA1c et de glycémie à jeun dans la prédiction de complications cliniquement pertinentes du diabète de type 2. Une limite importante de cette étude est l’absence d’une recherche systématique d’un diabète incident. Durant le suivi, un nombre limité de mesures de la glycémie à jeun est effectué et la mention de diabète auto rapporté durant un entretien n’est pas contrôlée. Tous les cas de diabète ont-ils été détectés ? Il n’est également pas certains que les auteurs aient tenu compte de tous les facteurs confondants significatifs.

 

Mise en perspective des résultats

Cette analyse a été effectuée pour évaluer si l’HbA1c est un facteur plus prédictif que la glycémie à jeun en termes de risque de survenue d’un diabète ou d’événements macrovasculaires. Le seuil de glycémie à jeun pour le diagnostic de diabète a été précédemment choisi en fonction de la survenue d’une rétinopathie diabétique (1). L’analyse de 3 études transversales (2) montre qu’un seuil de 126 mg/dl présente une sensibilité de 40% et une spécificité de 80,8 à 95,8% pour prédire une rétinopathie. Ce seuil actuellement choisi en fonction du critère rétinopathie est-il donc adéquat ? La recherche analysée ici montre qu’un taux d’HbA1c >5,5% est plus sensible qu’une valeur de glycémie à jeun située entre 100 et < 126 mg/dl pour prédire la survenue d’un événement macrovasculaire, avec un risque d’autant plus grand que l’HbA1c est plus haute. Elle ne permet cependant pas de préciser un seuil précis d’HbA1c pour le diagnostic de diabète. D’autres études sont nécessaires d’autant plus que la glycémie à jeun, un test oral de tolérance glucidique à 2 heures (TOTG 2h) et un taux d’HbA1C ne sont pas toujours concordants. Par rapport à une glycémie à jeun et à un TOTG, une mesure de l’HbA1c présente certains avantages pour le diagnostic : ce test est mieux standardisé (référence DCCT/UKPDS), reflète mieux l’exposition glycémique générale et le risque de complications, est moins biologiquement variable, moins sensible à une instabilité pré analytique, ne nécessite pas d’être à jeun, n’expose pas à une erreur de timing, ne présente pas d’interférence avec un stress ou une maladie. L’HbA1c présente aussi quelques désavantages : les valeurs peuvent varier selon la race, la présence d’une hémoglobinopathie (non rare chez les allochtones dans nos régions), les valeurs peuvent être faussement perturbées et ce paramètre peut être influencé par le turnover des globules rouges (valeurs plus basses en cas de turnover rapide et vice versa).

 

Autres études

D’autres études avaient déjà montré un lien entre glycémie à jeun ou HbA1c et risque d’incident cardiovasculaire, chez des patients diabétiques comme des non diabétiques (3-5). La présente étude apporte une vision plus détaillée sur la relation entre d’une part la glycémie à jeun et l’HbA1c et d’autre part le risque d’événement coronarien. La valeur prédictive du taux d’HbA1c pour d’autres problèmes cardiovasculaires, telle l’insuffisance cardiaque, est également un objet d’étude (6).

 

 

Conclusion de Minerva

 

Cette étude montre qu’un taux d’HbA1c ≥5,5% chez des patients non diabétiques de type 2 à l’inclusion, est un meilleur facteur prédictif d’ischémie coronarienne, d’AVC ischémique et de mortalité globale qu’une glycémie à jeun située entre 100 et <126 mg/dl. Cette étude ne permet pas de se prononcer sur la valeur de l’HbA1C pour le diagnostic du diabète.

 

Pour la pratique

 

Dans la recommandation de bonne pratique belge « Diabète sucré de type 2 » c’est la glycémie à jeun qui est recommandée comme test diagnostique et non l’HbA1c (7). Les résultats de la présente étude montrent que l’HbA1c est un meilleur facteur prédictif d’événement cardiovasculaire et de mortalité globale qu’une glycémie à jeun située entre 100 et <126 chez des patients non diabétiques. Elle n’apporte pas d’élément pour valider l’HbA1c comme test diagnostique pour le diabète. Ses résultats invitent cependant à mieux évaluer la valeur diagnostique de l’HbA1c versus glycémie à jeun et TOTG. A ce jour, la mesure de l’HbA1c n’est pas remboursée en Belgique pour le diagnostic du diabète.

 

Références

  1. International Expert Committee. International Expert Committee report on the role of the A1C assay in the diagnosis of diabetes. Diabetes Care 2009;32:1327-34.
  2. Wong TY, Liew G, Tapp RJ, et al. Relation between fasting glucose and retinopathy for diagnosis of diabetes: three population-based cross-sectional studies. Lancet 2008;371:736-43.
  3. Coutinho M, Gerstein HC, Wang Y, Yusuf S. The relationship between glucose and incident cardiovascular events. A metaregression analysis of published data from 20 studies of 95,783 individuals followed for 12,4 years. Diabetes Care 1999;22:233-40.
  4. Khaw KT, Wareham N, Bingham S, et al. Association of hemoglobin A1c with cardiovascular disease and mortality in adults: the European prospective investigation into cancer in Norfolk. Ann Intern Med 2004;141:413-20.
  5. Emerging Risk Factors Collaboration, Sarwar N, Gao P, Seshasai SR, et al. Diabetes  mellitus, fasting blood glucose concentration, and risk of vascular disease: a collaborative meta-analysis of 102 prospective studies. Lancet 2010;375:2215-22.
  6. Matsushita K, Blecker S, Pazin-Filho A, et al. The association of hemoglobin A1c with incident heart failure among people without diabetes: the atherosclerosis risk in communities study. Diabetes 2010;59:2020-6.
  7. Wens J, Sunaert P, Nobels F, et al. Recommandations de bonne pratique. Diabète sucré de type 2. SSMG 2007.
HbA1c chez des non diabétiques : risque cardiovasculaire et de diabète



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