Analyse
Un bypass gastrique (Roux-en-Y) pourrait-il améliorer la fonction rénale dans le diabète de type 2 avec obésité modérée et atteinte rénale débutante ?
15 11 2020
Professions de santé
Diététicien, Ergothérapeute, Médecin généraliste
Dans une synthèse méthodique avec méta-analyse de 2014 commentée par Minerva (1,2), la chirurgie bariatrique s’est montrée efficace pour le traitement de l’obésité sévère (BMI > 40 ou > 35 avec comorbidités) tant pour la diminution du poids que pour la rémission de comorbidités dont un pourcentage de rémission de 92% pour le diabète. La mortalité postopératoire légèrement augmentée, le nombre de complications postopératoires (y compris psychiques) et le nombre de réinterventions invitent cependant à bien en informer les patients, et à assurer une préparation et un suivi postopératoire adéquats (1,2). Des études randomisées menées chez des patients obèses atteints de diabète de type 2, commentées dans Minerva (3-6), ont confirmé que la chirurgie bariatrique est efficace chez les personnes obèses pour prévenir des complications cardiovasculaires et pour remédier au diabète, tout en étant associée à des effets indésirables parfois graves et/ou gênants.
Une étude randomisée unicentrique brésilienne (7) a évalué, chez le diabétique de type 2 modérément obèse avec albuminurie, l’impact d’une chirurgie bariatrique de type bypass gastrique (Roux-en-Y). Un total de 100 patients (âge moyen de 55 ans ; 55% de sexe masculin) ont été randomisés entre le meilleur traitement médical en adéquation avec les recommandations de l’ADA et de l’EASD (n = 49) ou le bypass gastrique (n = 51). Pour être éligible, il fallait être atteint d’un diabète de type 2, d'obésité modérée (BMI de 30 à 35) et d’une insuffisance rénale chronique (IRC) de stade G1 à G3 et A2 à A3 (rapport albumine-créatinine urinaire ou RACu > 30 mg / g et débit de filtration glomérulaire estimé > 30 ml / min). Le critère de jugement principal était la rémission de l'albuminurie (RACu < 30 mg / g). Les critères de jugement secondaires étaient le taux de rémission de l'IRC, le changement absolu du RACu, le contrôle métabolique et d'autres complications microvasculaires, la qualité de vie et la tolérance. Dans l’analyse intermédiaire pré-spécifiée à 24 mois de suivi, en analyse en intention de traitement, une rémission de l'albuminurie est survenue chez 55% des patients (avec IC à 95% de 39% à 70%) après le meilleur traitement médical et 82% des patients (avec IC à 95% de 72% à 93%) après le bypass (p = 0,006), avec des taux de rémission respectifs de l'IRC de 48% (avec IC à 95% de 32% à 64%) et de 82% (avec IC à 95% de 72% à 92%) (p = 0,002). Il n’y a pas eu d’effet significatif observé pour les objectifs secondaires si ce n’est la perte de poids dans le bras chirurgical. Aucune différence dans le taux d'événements indésirables graves n'a été observée.
Ces résultats proviennent d’une analyse intermédiaire planifiée, il faudra voir les résultats à plus long terme pour voir l’impact sur les objectifs secondaires comme les complications cardiovasculaires, la microalbuminurie réduisant surtout ce dernier risque (8). Outre son caractère unicentrique et sa relative petite taille, cette étude a une série de faiblesses dont il faut tenir compte : réalisation d’une chirurgie bariatrique par bypass gastrique (et non la « sleeve » gastrectomie, plus fréquemment pratiquée), randomisation non stratifiée (avec mauvais équilibrage des bras), critère d’inclusion « microalbuminurie » non respecté pour certains patients (qui ont une albuminurie importante), violation mineure du protocole à l’inclusion chez 21 patients (voir le supplément en ligne de l’article), allocation du traitement non respectée chez 8 patients, réalisation de très nombreux tests statistiques sans adaptation du niveau de signification, nombre inhabituellement bas d’effets secondaires notamment nutritionnels rapportés pour le bypass gastrique (9). Il faut remarquer que l’évaluation des effets indésirables est difficilement comparable entre les deux groupes vu les prises en charge très différentes. À ce propos, relevons un nombre significativement plus élevé de ‘dumping syndrome’, de syncopes, de déficiences en vitamine B12, de douleurs abdominales, d’alopécies et d’hypoglycémies dans le groupe chirurgie. Enfin, les bons résultats observés dans le groupe « meilleur traitement » ont étonné les auteurs, mais ils l’expliquent par une prise en charge de ces patients à risque plus en adéquation avec les guides de pratique clinique ces dernières années.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Cette étude qui suggère un bénéfice de la chirurgie bariatrique pour la fonction rénale du patient atteint d’un diabète de type 2 avec obésité modérée et insuffisance rénale chronique non sévère doit être validée par d’autres études contrôlées dépourvues de problèmes méthodologiques. Elle ne change donc pas à l’heure actuelle les recommandations (10) de réserver, en cas de diabète de type 2, la chirurgie bariatrique aux patients avec une obésité plus sévère (IMC ≥ 40,0 kg/m² pour notre type de population).
Conclusion
Après un suivi de 24 mois, la chirurgie bariatrique s’est avérée plus efficace que le meilleur traitement médical pour obtenir une rémission de l'albuminurie et de l'IRC de stade G1 à G3 et A2 à A3 chez les patients atteints de diabète de type 2 avec obésité modérée.
- Michiels B. Efficacité et risques de la chirurgie bariatrique. Minerva bref 15/07/2014.
- Chang SH, Stoll CR, Song J, et al. The effectiveness and risks of bariatric surgery: an updated systematic review and meta-analysis, 2003-2012. JAMA Surg 2013;149:275-87. DOI: 10.1001/jamasurg.2013.3654
- Michiels B. Chirurgie bariatrique et accidents cardiovasculaires à long terme. Minerva bref 28/11/2012.
- Sjöström L, Peltonen M, Jacobson P, et al. Bariatric surgery and long-term cardiovascular events. JAMA 2012;307:56-65. DOI: 10.1001/jama.2011.1914
- Schauer PR, Kashyap SR, Wolski K, et al. Bariatric surgery versus intensive medical therapy in obese patients with diabetes. N Engl J Med 2012;366:1567-76. DOI: 10.1056/NEJMoa1200225
- Mingrone G, Panunzi S, De Gaetano A, et al. Bariatric surgery versus conventional medical therapy for type 2 diabetes. N Engl J Med 2012;366:1577-85. DOI: 10.1056/NEJMoa1200111
- Cohen RV, Pereira TV, Aboud CM, et al. Effect of gastric bypass vs best medical treatment on early-stage chronic kidney disease in patients with type 2 diabetes and obesity: a randomized clinical trial. JAMA Surg 2020;155:e200420. Online ahead of print. DOI: 10.1001/jamasurg.2020.0420
- Diabète de type 2 et microalbuminurie. Prescrire 2004;24:760-8.
- Yan Y, Sha Y, Yao G, et al. Roux-en-Y gastric bypass versus medical treatment for type 2 diabetes mellitus in obese patients: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Medicine (Baltimore) 2016;95:e3462. DOI: 10.1097/MD.0000000000003462
- Davies MJ, D’Alessio DA, Fradkin J, et al. Management of hyperglycemia in type 2 diabetes, 2018. A consensus report by the American Diabetes Association (ADA) and the European Association for the Study of Diabetes (EASD). Diabetes Care 2018;41:2669-701. DOI: 10.2337/dci18-0033
Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI :
Glossaire
Code
Ajoutez un commentaire
Commentaires