Analyse
Quelles sont les attitudes et habitudes de traitement adoptées par les médecins généralistes envers les patients souffrant d’obésité ?
La prévalence de l’obésité, définie par un BMI ≥ 30, atteint en Belgique 21% (1). Nous avons antérieurement souligné l’importance d’une prise en charge de l’obésité en première ligne. La perte pondérale fait en effet, entre autres, partie intégrante du traitement de l’ischémie coronarienne, de la fonction érectile, du syndrome des apnées du sommeil, de l’hypertension artérielle, du diabète de type II, de la gonarthrose (2-15).
Parce qu’il est le premier point de contact, le médecin généraliste est un maillon capital dans le suivi des patients avec obésité (16). La qualité de la relation médecin-patient est la pierre angulaire de ce suivi longitudinal (16). Pourtant, la stigmatisation des personnes obèses par le personnel soignant est de plus en plus fréquemment dénoncée (17). Cette nouvelle étude descriptive vise à explorer le phénomène chez les médecins généralistes en déterminant leurs attitudes et leurs habitudes de traitement envers les patients souffrant d’obésité.
Cette étude transversale, menée en Allemagne, a été réalisée grâce à des données issues de l’étude INTERACT, une RCT qui visait à évaluer une procédure courte de prise en charge de l’obésité en consultation de médecine générale basée sur 5 conseils (ouvrir le dialogue, rechercher les comorbidités, établir les options thérapeutiques possibles, déterminer les objectifs de perte de poids et suivre le patient durant le processus thérapeutique).
Des médecins généralistes ont été recrutés via un réseau professionnel attaché à un institut de santé publique et invités à compléter un questionnaire auto-administré. Les questions portaient sur l’identification des attitudes stigmatisantes par une échelle objective (« fat phobia scale », FPS), la détermination du profil sociodémographique du répondant, l’activité clinique, l’attribution des causes de l’obésité, les connaissances en matière d’obésité et les habitudes de référence à d’autres prestataires de soins (diététique, chirurgie, etc.). Les connaissances subjectives sur l'obésité ont été évaluées sur une échelle de Likert en 5 points allant d'aucune connaissance à une excellente connaissance. De plus, les médecins généralistes ont évalué les soins médicaux des patients obèses de mauvais (score 0) à excellent (score 100). Les auteurs ont ensuite tenté de mettre en évidence des associations entre ces variables.
Sur les 262 médecins généralistes contactés, 47 ont participé à l’enquête, issus de pratiques différentes (âge moyen de 48,5 ans et 59,6% de femmes). Le BMI variait de 18,14 kg/m2 à 31,80 kg/m2. Près des deux tiers des médecins généralistes avaient un poids normal (BMI de 18,6 à 24,9 kg/m2) et près d'un quart avaient un surpoids (BMI de 25,0 à 29,9 kg/m2), 1 était en sous-poids et 3 étaient obèses (BMI > 30 kg/m2). 3/4 des médecins interrogés estiment avoir une bonne connaissance de l’obésité. Ils disent recevoir mensuellement 1/3 de patients en surpoids dans leurs pratiques (BMI ≥ 25) et référer par an en moyenne 28 patients obèses vers d’autres prestataires de soins (diététique et centres de traitement de l’obésité). 87% des médecins de l’échantillon ont estimé évaluer le risque d’obésité, les comorbidités, prodiguer des conseils sur l’activité physique et sur le changement de comportement alimentaire.
Lorsqu'on leur a demandé d'évaluer la qualité des soins médicaux des patients obèses en Allemagne, les médecins généralistes de l’étude l’ont estimée à 47 sur 100. Ils ont également été interrogés sur les causes de l'obésité : les scores les plus élevés (médiane de 5 ; extrêmement significatif) ont été attribués à « apport calorique élevé », « manque d'exercice physique » et « surabondance de nourriture » ; les causes considérées comme importantes (médiane de 4) étaient « l'environnement social », « la faiblesse de la volonté », « le stress fréquent » et un « manque de connaissances » sur la nutrition et l'exercice ; la cause « éducation insuffisante » a été évaluée dans toutes les catégories de réponse (médiane de 3). Cependant, les causes physiologiques comme les facteurs hormonaux ou génétiques et d'autres troubles somatiques ont été jugées moins importantes (médiane de 2).
Les résultats recueillis à l’aide de la FPS révèlent des préjugés envers les personnes obèses (score total moyen : 3,7), par ordre d’importance sur le fait qu’ils aiment la nourriture (4,51 +/- 0,72), qu’ils mangent trop (4,28 +/- 0,97) et qu’ils manquent de volonté (3,94 +/- 0,53). Aucun item exploré par la FPS n’est associé à des attitudes positives (score < 2,5). Les caractéristiques du médecin associées aux attitudes stigmatisantes sont le jeune âge, le sexe masculin et le fait de référer peu aux autres prestataires.
Les auteurs concluent que les médecins généralistes devraient disposer de meilleures compétences dans la prise en charge de l’obésité pour réduire les attitudes stigmatisantes.
Cette étude, malgré la petite taille de son échantillon, est plutôt bien conduite. Elle minimise par sa méthodologie basée sur une échelle validée (FPS) (18) le risque de biais de désirabilité sociale, qui aurait pu émerger si une méthode par interview avait été choisie. Il s’agit d’une étude descriptive, elle ne peut que révéler des corrélations. Elle corrobore cependant les données d’autres études (16) et les observations issues d’entretiens avec les patients et soignants (19). Un point intéressant à soulever est que la proportion de patients de > 18 ans en surpoids observée dans la patientèle par les répondants (1/3) est inférieure à celle décrite dans la population générale (53% des femmes et 67% des hommes en Allemagne, 49% de la population belge) (1).
Cette étude rappelle aux médecins qu’il est difficile d’adopter une attitude de non-jugement envers les patients et qu’il est possible qu’une attitude stigmatisante soit associée à des soins de moindre qualité. Ces observations invitent donc à réaliser une étude de bonne qualité méthodologique destinée à objectiver l’efficacité d’une attitude de non-jugement sur le partenariat avec le patient obèse et sur les objectifs de diminution de risque pour la santé.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Les guides de pratique se centrent sur les aspects factuels de la prise en charge de l’obésité. Ainsi, la Société Scientifique de Médecine Générale recommande de dispenser activement des conseils sur l’activité physique et l’alimentation aux patients avec obésité ou en cas de surpoids avec comorbidité (20). Elle rappelle le caractère individuel de la prise en charge.
Conclusion
Cette étude descriptive, de bonne qualité méthodologique malgré un petit échantillon, révèle des attitudes stigmatisantes adoptées par les médecins généralistes envers les patients souffrant d’obésité.
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