Analyse
Le jeûne intermittent favorise-t-il la perte de poids chez les personnes atteintes de diabète de type 2 ?
Contexte
Minerva a déjà traité d’une étude randomisée contrôlée menée en ouvert qui indiquait que le jeûne intermittent n’apportait pas de valeur ajoutée par rapport à un régime hypocalorique pour la perte de poids chez les adultes obèses (1,2). Cela dit, le régime hypocalorique est difficile à maintenir sur de longues périodes (3), et le jeûne intermittent (manger uniquement pendant une période de 8 heures par jour) peut indirectement limiter l’apport calorique (diminution de 341 kcal par jour) (4). Des recherches plus approfondies portant sur le jeûne intermittent sont donc importantes chez les diabétiques obèses, car toute réduction du poids peut avoir des avantages supplémentaires en améliorant le métabolisme du sucre (5).
Résumé
Population étudiée
- critères d’inclusion : personnes ayant entre 18 et 80 ans chez qui un diagnostic de diabète de type 2 a été posé, avec une HbA1c entre 6,5% et 11% et un BMI entre 30 et 50 kg/m²
- critères d’exclusion : plus de 4% de perte de poids ou de gain de poids au cours des trois derniers mois ; trouble alimentaire connu, personnes qui déjà limitent la prise alimentaire à une plage horaire stricte de 10 heures sur 24 heures, travail de nuit, femmes enceintes ou projet de grossesse prochaine, tabagisme
- finalement, inclusion de 75 participants ayant en moyenne 55 ans (ET : 12 ans), 71% de femmes, 53% d’Afro-américains et 40% de Blancs hispanophones, avec un BMI moyen de 39 kg/m² (ET : 7 kg/m²) et une HbA1c de 8,1% (ET : 1,6%).
Protocole de l’étude
Étude randomisée contrôlée dans un centre universitaire américain (Université de l’Illinois, Chicago) pendant 6 mois (6)
avec trois groupes parallèles :
-
- jeûne intermittent : alimentation autorisée entre midi et 20 heures sans limitation de l’apport calorique (n = 25)
- régime hypocalorique : diminution de 25% de l’apport calorique (25% des besoins énergétiques à l’entrée dans l’étude, avec ponctuellement les conseils diététiques d’une diététicienne) (n = 25)
- groupe témoin sans modification des habitudes alimentaires ni de l’exercice (n = 25)
- dans les deux groupes intervention, les participants ont reçu des instructions pour le choix d’une alimentation saine conformément aux recommandations nutritionnelles de la Diabetes Association ; la prise de médicaments antidiabétiques a été ajustée en fonction des valeurs d’HbA1c, et l’activité physique n’a pas été modifiée
- mesure quotidienne de la glycémie avec un glucomètre ou surveillance continue de la glycémie pendant 10 jours au début de l’étude ainsi qu’après 3 et 6 mois
- suivi chaque semaine jusqu’au Mois 3, puis toutes les deux semaines, par une diététicienne, par contact téléphonique ou via Zoom, avec des questions sur le poids, l’observance du traitement, l’évolution de la prise des médicaments et les effets indésirables.
Mesure des résultats
- principal critère de jugement : modification du poids, exprimée en pourcentage, dans les groupes de l’étude après six mois
- critères de jugement secondaires : modification de l’HbA1c, temps dans la zone euglycémique (glycémie entre 70 et 180 mg/dl), valeurs moyennes de glycémie, score d’effet du médicament (Medication Effect Score : dose utilisée du médicament divisée par la dose maximale autorisée, multiplié par le facteur d’ajustement moyen pour le médicament), composition corporelle (mesurée par absorptiométrie biphotonique (Dual X-ray Absorptiometry, DXA)), tension artérielle, fréquence cardiaque, taux plasmatiques de lipides, apport nutritionnel (mesuré à l’aide d’une application à remplir chaque jour), respect du régime alimentaire, activité physique, effets indésirables
- analyse en intention de traiter
- modèle linéaire à effets mixtes avec correction pour tenir compte de la prise d’un inhibiteur du SGLT2 ou d’un agoniste des récepteurs du GLP-1
- analyse de sensibilité pour les données manquantes pendant le suivi.
Résultats
- principal critère de jugement : perte de poids statistiquement significative dans le groupe « jeûne intermittent » (-3,56% avec IC à 95% de -5,92% à -1,20% ; p = 0,004), mais pas dans le groupe « régime hypocalorique » (-1,78% avec IC à 95% de -3,67% à 0,11% ; p = 0,06), par comparaison avec le groupe témoin ; aucune différence statistiquement significative entre les deux groupes intervention en termes de perte de poids (-1,78% avec IC à 95% de -4,09% à 0,53%)
- critères de jugement secondaires :
- sur une période de six mois, l’observance était en moyenne de 6,1 (ET : 0,8) jours par semaine dans le groupe « jeûne intermittent », et 68% des participants du groupe « régime hypocalorique » avaient respecté leur régime
- la restriction calorique moyenne était de -313 kcal/jour dans le groupe « jeûne intermittent », de -197 kcal/jour dans le groupe « régime hypocalorique » et de -16 kcal/jour dans le groupe témoin
- par rapport au groupe témoin, l’HbA1c a diminué tant dans le groupe « jeûne intermittent » (-0,91% avec IC à 95% de -1,61% à -0,20%) que dans le groupe « régime hypocalorique » (-0,94% avec IC à 95% de -1,59% à -0,30%)
- aucune différence statistiquement significative entre les trois groupes quant aux autres critères de jugement secondaires (y compris les événements indésirables).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que cette étude randomisée contrôlée (RCT) montre que le jeûne intermittent sans restriction calorique est une alternative efficace pour une diminution du poids et une réduction de l’HbA1c, par comparaison avec une restriction calorique de 25% chez des adultes atteints du diabète de type 2. Ces résultats doivent être confirmés par des RCTs plus vastes avec un suivi plus long.
Financement de l’étude
Via le Department of Kinesiology and Nutrition, University of Illinois, Chicago, et subventions du National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases (NIDDK) et des National Institutes of Health (NIH).
Conflit d’intérêts des auteurs
Un auteur déclare être membre de the Certified Diabetes Care and Education Specialist for the Academy of Nutrition and Dietetics et être employé du clinician at Ascension Medical Group Weight Loss Solutions and Diabetes Education ; d’autres auteurs déclarent avoir reçu un soutien non financier, des honoraires de consultation ou encore des subventions de DexCom, Rhythm Pharmaceuticals, Hippo Technologies et Guidepoint ; du
National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases (NIDDK) ou du National Institutes of Health (NIH).
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Dans les études avec intervention diététique, la mise en aveugle des participants n’est pas possible. L’article ne donne pas d’informations sur la mise en aveugle des chercheurs et des évaluateurs de l’effet. Cependant, les chercheurs de cette étude se basent sur la mesure du poids à domicile au moyen d’une balance électronique, la valeur obtenue étant automatiquement transmise au centre de recherche via une connexion Wi-Fi, ce qui permet d’éviter que la valeur obtenue ne soit manipulée.
La randomisation a été stratifiée en fonction de l’âge, du sexe, de l’HbA1c et du BMI. Le calcul de la taille de l’échantillon était basé sur l’hypothèse que la perte de poids serait de 7% dans le groupe « jeûne intermittent » et de 3% dans le groupe « régime hypocalorique » par comparaison avec le groupe témoin. Cela nécessitait un minimum de 21 participants par groupe sans tenir compte des abandons. L’article ne précise pas sur quoi ces chiffres sont basés. Les sorties de l’étude étaient limitées (maximum 3) et réparties également entre les groupes de l’étude. Cependant, les objectifs de perte de poids n’ont pas été atteints.
Les analyses de sensibilité pour les données manquantes différaient des analyses primaires uniquement en ce qui concerne la diminution de la masse grasse et la diminution de la glycémie moyenne. Pour le critère de jugement principal, les résultats étaient robustes.
Évaluation des résultats
Il s’agit d’une étude avec un petit nombre de participants et une courte période de suivi. Cette étude n’a pas défini de réduction de poids cliniquement pertinente et n’a pas été conçue pour déterminer et comparer le nombre de participants ayant atteint un objectif prédéterminé entre les groupes d’étude. Pour cela, une étude avec un nombre beaucoup plus important de participants est recommandée. Pour les études cliniques, une perte de poids de 5% est considérée comme cliniquement pertinente (7), mais toute réduction de poids peut avoir des effets bénéfiques sur la santé des personnes en surpoids ou obèses, surtout si la perte de poids se maintient sur une période plus longue. En principe, le petit nombre de participants était suffisant pour montrer une différence dans un critère de jugement continu tel que le poids. Cependant, la petite taille de l’échantillon a également conduit à des différences importantes dans les caractéristiques de base telles que l’utilisation d’insuline, d’inhibiteurs du SGLT2 et d’agonistes des récepteurs du GLP-1. Ce n’est pas sans importance car ces médicaments peuvent avoir un effet favorable ou défavorable sur le poids. Cela a été corrigé dans l’analyse statistique (sauf pour l’utilisation d’insuline). Comme aucune modification significative de poids ne devait avoir eu lieu au cours des trois derniers mois précédant l’inclusion et que l’utilisation et la dose d’antidiabétiques et d’insuline ont été ajustées et généralement réduites au cours de l’étude, l’influence de la prise de médicaments sur le résultat final sera très limitée.
La prise de poids et la perte de poids sont multifactorielles, mais un lien direct entre l’apport calorique et le poids a été démontré. Cependant, un régime hypocalorique nécessite un comptage et une pesée continue des aliments et est donc difficile à maintenir de manière constante pendant une longue période. Dans un graphique sur l’observance thérapeutique, il est frappant de constater que l’observance thérapeutique diminue avec le temps dans le groupe « régime hypocalorique » mais qu’elle ne diminue pas dans le groupe « jeûne intermittent ». C’est précisément là que réside le bénéfice possible à long terme. Une durée d’intervention de six mois pour cette étude est donc relativement courte pour tirer des conclusions solides. Une autre étude clinique à court terme avait déjà montré qu’un jeûne intermittent pouvait entraîner une perte de poids significative chez un groupe de diabétiques en surpoids. En respectant une période d’alimentation de 10 heures, une perte de poids de 3,5% a également pu être obtenue après 12 semaines, par comparaison avec un groupe témoin dont les habitudes alimentaires restaient inchangées (8). Une autre étude n’a trouvé aucune différence après 12 semaines entre un groupe « jeûne intermittent » (période d’alimentation de 8 heures) et un groupe qui limitait la prise de nourriture à trois repas sans collation (9). Une étude s’étalant sur plusieurs années est donc certainement recommandée pour déterminer l’effet du jeûne intermittent sur la perte de poids chez les diabétiques. Indépendamment de cela, un jeûne intermittent pourrait déjà être envisagé étant donné le faible risque d’effets indésirables, tels que le déclenchement de troubles de l’alimentation (10). Il faut cependant tenir compte de l’ajustement nécessaire dans l’utilisation des médicaments hypoglycémiants, en particulier dans la phase initiale du jeûne intermittent, comme cela a également été fait dans cette étude.
Que disent les guides pour la pratique clinique ?
Le guide de bonne pratique de Domus Medica « Diabète de type 2 » stipule que toute personne atteinte de diabète de type 2 doit être orientée vers un(e) diététicien(ne) pour des conseils nutritionnels personnalisés (GRADE 1A). De plus, les patients en surpoids doivent être encouragés à perdre au moins 5 à 10% de leur poids corporel (GRADE 1A) (5). En cas de diabète de type 2, on peut recommander un régime végétarien, un régime méditerranéen, un régime DASH (Dietary Approaches to Stopping Hypertension), un régime riche en produits à faible indice glycémique ou un régime modérément pauvre en glucides (11,12). Par ailleurs, l’activité physique est recommandée, et la consommation d’alcool est déconseillée (13).
Conclusion de Minerva
Cette étude randomisée contrôlée, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre qu’après six mois, un jeûne intermittent (période d’alimentation de 8 heures), contrairement à un régime hypocalorique, entraîne une perte de poids statistiquement significative par rapport à un groupe témoin. Par comparaison avec le groupe témoin, une évolution favorable de l’HbA1c a été observée tant dans le groupe « jeûne intermittent » que dans le groupe « régime hypocalorique ». Une étude avec un nombre beaucoup plus important de participants s’étalant sur plusieurs années est cependant certainement recommandée pour déterminer l’effet du jeûne intermittent sur la perte de poids et les facteurs cardiovasculaires chez les diabétiques.
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https://www.hse.ie/eng/services/list/2/primarycare/east-coast-diabetes-service/management-of-type-2-diabetes/diabetes-and-pregnancy/icgp-guide-to-integrated-type-2.pdf - Conseils en matière de nutrition et de mode de vie pour les adultes atteints de diabète de type 2. UC Leuven Limburg (UCLL)/Moving Minds. Ebpracticenet. Mis à jour par le producteur: 01/05/2021.
Auteurs
Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
Code
E11
T90
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