Analyse


L’activité physique : un bon outil thérapeutique dans la prise en charge de la dépression ?


17 02 2025

Professions de santé

Ergothérapeute, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Noetel M, Sanders T, Gallardo-Gómez D et al. Effect of exercise for depression: systematic review and network meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2024;384:e075847. DOI: 10.1136/bmj-2023-075847. Erratum in: BMJ 2024;385:q1024. DOI: 10.1136/bmj.q1024


Question clinique
Quelles sont les doses et modalités optimales d’exercices physiques pour traiter le trouble dépressif majeur, en comparaison avec la psychothérapie, les antidépresseurs et les conditions de contrôle ?


Conclusion
Cette méta-analyse, bien conduite sur le plan méthodologique, repose toutefois sur des études de qualité insuffisante. Elle met en évidence l’intérêt d’une activité physique régulière comme option thérapeutique dans la dépression, avec des variations d’efficacité selon les caractéristiques des populations concernées. Des recherches supplémentaires mieux conçues sont néanmoins indispensables pour renforcer la robustesse des conclusions.


Contexte

Les interventions non pharmacologiques, en particulier l'activité physique, représentent une approche prometteuse pour le traitement de la dépression. Minerva a déjà mis en évidence les bénéfices de ces interventions dans des populations spécifiques, telles que les personnes âgées et les patients souffrant de maladies chroniques (1,2). Des recherches antérieures ont montré que l’augmentation de l’activité physique peut réduire de manière significative la dépression et ses symptômes (3,4). À titre d'exemple, une méta-analyse menée par Bridle et al. en 2012 (5) a réévalué l'efficacité des programmes d'exercices physiques pour réduire la sévérité de la dépression chez les personnes de plus de 60 ans, soutenant ainsi l'impact positif de l'activité physique dans cette population (6). Cependant, recommander les doses et les modalités d’exercices les plus adéquates restent assez difficile. Une synthèse méthodique en réseau pour essayer d'y voir plus clairement est tout à fait appropriée (7). 

 

 

Résumé

 

Méthodologie

 

Synthèse méthodique avec méta-analyse en réseau.

 

Sources consultées

  • CENTRAL (The Cochrane Library), SPORTDiscus via Embase, Embase, Medline, PsycINFO
  • les recherches dans les bases de données ont été effectuées le 17 décembre 2018 et le 7 août 2020 et ont été mises à jour pour la dernière fois le 3 juin 2023.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : 
  • essais randomisés contrôlés 
    • avec exercice physique inclus comme traitement pour la dépression ; l'exercice physique est définit comme « un mouvement corporel planifié, structuré et répétitif effectué pour améliorer ou maintenir une ou plusieurs composantes de la condition physique », ce qui a permis d’inclure des études avec le yoga, le tai-chi et le qi-gong ; des études avec plus d'un volet d'exercice et des interventions à multiples facettes (p. ex., conseils en matière de santé et d'exercice) ont été inclus à condition qu'elles comportaient une composante d'exercice substantielle
    • toutes les conditions de comparaison ont été incluses, comme par exemple, les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS), la thérapie cognitivo-comportementale, soins habituels, comprimé placebo, étirements, contrôle éducatif et soutien social, liste d'attente
    • les études publiées et non publiées ont été incluses, sans aucune restriction de langue
  • critères d’exclusion : 
    • études avec intervention < 1 semaine
    • études dont la dépression n’était pas étudiée comme outcome
  • au total, 218 études incluses.

 

Population étudiée 

  • adultes atteints de dépression majeure, diagnostiquée par un clinicien ou identifiée via des seuils établis (ex. score > 13 sur l'échelle Beck Depression Inventory-II)
  • les participants pouvaient être atteints de comorbidités physiques telles que l'arthrite ou présenter une dépression spécifique telle que la   dépression du post-partum
  • total de 14170 participants.

 

Mesure des résultats 

  • critère de jugement principal : changement de la dépression
    • pour les analyses principales et de modération, des modèles de méta-analyse de réseau multiniveaux basés sur des bras bayésiens ont été utilisés
    • pour évaluer la crédibilité de chaque comparaison par rapport au contrôle actif, CINeMA a été utilisé
    • effets mesurés en différences moyennes standardisées (Hedges’ g) et reflétant le changement des scores de dépression évalués par des échelles validées, standardisées avant et après l’intervention une différence supérieure à 0,05 est considérée comme cliniquement significative
    • d’autres variables (taux d’abandon, intensité, fréquence) ont aussi été mesurées.

 


Résultats

  • efficacité comparée aux témoins actifs : voir le tableau
    • de grandes réductions de la dépression ont été observées pour la danse (n = 107)
    • des réductions modérées pour la marche ou le jogging (n = 1210) le yoga (n = 1047), la musculation (n = 643), les exercices aérobiques mixtes (n = 1286) et le tai-chi ou le qi-gong (n = 343)
    • des effets modérés et cliniquement significatifs étaient également présents lorsque l'exercice était combiné aux ISRS (n = 268) ou que l'exercice aérobique était combiné à la psychothérapie (n = 404)
    • tous ces traitements étaient significativement plus importants que la différence minimale cliniquement importante standardisée par rapport au contrôle actif (g = -0,20), ce qui équivaut à une valeur g absolue de -1,16
    • les chances d'abandon des participants de l'étude étaient plus faibles pour la musculation (n = 247) et le yoga (n = 264) que pour le contrôle actif ; les autres bras avaient des taux d’abandon comparable à un contrôle actif 
  • efficacité en termes de modalité : les effets semblaient plus importants : 
    • pour les femmes que pour les hommes pour la musculation et le cyclisme
    • pour les hommes que pour les femmes lors de la prescription de yoga, de tai-chi et d'exercices aérobiques en association avec la psychothérapie
    • pour les participants plus âgés que pour les plus jeunes lors de la prescription de yoga et d'exercice aérobique en association avec la psychothérapie
    • pour des participants plus jeunes que pour des participants plus âgés lors de la prescription de musculation 
  • efficacité en termes de caractéristiques des interventions : 
    • dans toutes les modalités, une courbe dose-réponse claire a été observée pour l'intensité de l'exercice prescrit : une activité physique légère (par ex., marche, hatha yoga) produit toujours des effets cliniquement significatifs (g = -0,58 avec IC à 95% de   -0,82 à -0,33) mais les effets attendus étaient plus forts pour l'exercice vigoureux (par ex. : course, entraînement par intervalles ; g = -0,74 avec IC à 95% de -1,10 à -0,38)
    • bien que les effets globaux soient similaires pour les exercices individuels (g = -1,10 avec IC à 95% de -1,57 à -0,64) et en groupe (g = -1,16 avec IC à 95% de -1,61 à -0,73), certaines interventions sont mieux réalisées en groupe (yoga) et d’autres sont mieux réalisées individuellement (musculation, exercices aérobiques mixtes.

 

Tableau.  Les interventions comparées aux témoins actifs.

 

Activité physique

Hedges’s (avec ICr à 95%)

N

Confidence rating

Danse

-0,96 (de -1,36 à -0,56)

107

Très bas

Marche / course

-0,63 (de -0,80 à -0,46)

1210

Bas

Yoga

-0,55 (de -0,73 à -0,36)

1047

Très bas

Exercice + ISRS

-0,55 (de-0,86 à -0,23)

268

Très bas

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’exercice est un traitement efficace contre la dépression. La marche ou le jogging, le yoga et la musculation sont plus efficaces que les autres exercices, en particulier lorsqu’ils sont intenses. Le yoga et la musculation ont été bien tolérés par rapport aux autres traitements. L’exercice s’est avéré tout aussi efficace chez les personnes avec et sans comorbidités et avec différents niveaux de dépression de base. Ces formes d’exercice pourraient être envisagées aux côtés de la psychothérapie et des antidépresseurs comme traitements de base contre la dépression.

 

Financement de l’étude

Aucun financement externe.

 

Conflits d’intérêt

Aucun conflit d’intérêt n’a été déclaré.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Cette synthèse méthodique et méta-analyse en réseau a suivi un protocole rigoureux, conforme aux recommandations du Cochrane Comparing Multiple Interventions Methods Group. Les auteurs ont exclu les nœuds contenant moins de 100 participants afin d’assurer une certaine robustesse des analyses. L’évaluation de la certitude des preuves a été réalisée à l’aide de l’outil CINeMA. Un funnel plot a été généré pour chaque comparaison impliquant au moins dix études, mais plusieurs asymétries relevées dans ces plots suggèrent un biais de publication. La qualité méthodologique des études incluses pose problème. Une des études repose sur un échantillon de 11 participants, tandis que le recours à des protocoles en aveugle reste rare. Ces lacunes augmentent le risque de biais et limitent la fiabilité des résultats. Par ailleurs, les comparaisons directes et indirectes intègrent des études hétérogènes, tant sur le plan clinique que statistique, avec un manque de clarté sur des variables importantes comme les diagnostics, les traitements ou les co-interventions. Bien que l’approche méthodologique soit globalement robuste, ces limitations appellent à interpréter les conclusions avec prudence, particulièrement dans un contexte clinique.

 

Interprétation des résultats

La méta-analyse, incluant 218 essais contrôlés randomisés et 14170 participants, montre que le yoga présente une taille d’effet comparable à celle d’exercices tels que la marche ou le jogging tout en étant associé à des taux d’abandon significativement plus faibles. Ces résultats suggèrent que le yoga pourrait constituer une option valable pour la gestion prolongée de la dépression. Cependant, l’efficacité des interventions varie en fonction de variables telles que l’âge et le sexe des participants. Par exemple, les exercices de force et le vélo semblent plus efficaces chez les femmes, tandis que le yoga, l’aérobic et le tai-chi montrent des effets plus marqués chez les hommes. De plus, les exercices de force paraissent plus adaptés aux jeunes adultes, tandis que le yoga et l’aérobic sont associés à de meilleurs résultats chez les populations âgées. Une relation dose-réponse est également observée, suggérant que des niveaux d’intensité plus élevés pourraient améliorer l’efficacité des interventions. Toutefois, des formes plus légères d’activité physique restent bénéfiques. Ces résultats offrent des pistes intéressantes pour la pratique clinique, notamment en matière de prise en charge de la dépression. L’intégration du yoga pourrait enrichir l’arsenal thérapeutique des praticiens de première ligne, en particulier si une approche individualisée est privilégiée et en tenant compte des préférences, de l’état de santé et des caractéristiques démographiques des patients.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Les recommandations belges publiées en 2017 pour la dépression légère à modérée chez l’adulte attribuent une faible force (GRADE 2C) à l’activité physique, qu’elle soit pratiquée en groupe ou individuellement. Ces recommandations insistent sur la nécessité de proposer des étapes réalistes et accessibles pour les patients (8). Les auteurs restent prudents quant à l’impact spécifique de l’activité physique, qu’ils jugent encore imprécis. De son côté, la HAS émet une recommandation générale en faveur de l’activité physique, sans distinction de type ou d’intensité (9). Les recommandations britanniques, quant à elles, soutiennent également l’activité physique comme stratégie thérapeutique contre la dépression (10).

 

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse, bien conduite sur le plan méthodologique, repose toutefois sur des études de qualité insuffisante. Elle met en évidence l’intérêt d’une activité physique régulière comme option thérapeutique dans la dépression, avec des variations d’efficacité selon les caractéristiques des populations concernées. Des recherches supplémentaires mieux conçues sont néanmoins indispensables pour renforcer la robustesse des conclusions.

 

 


Références 

  1. Duyver C. Effets d’exercices physiques sur les symptômes dépressifs chez les patients atteints de maladie chronique ? MinervaF 2013;12(1):8-9
  2. Herring MP, Puetz TW, O’Connor PJ, Dishman RK. Effect of exercise training on depressive symptoms among patients with a chronic illness: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Arch Intern Med 2012;172:101-11. DOI: 10.1001/archinternmed.2011.696
  3. Kos D. Relation dose-réponse entre l’activité physique et le risque de dépression. MinervaF 2022;21(2):242-5
  4. Pearce M, Garcia L, Abbas A, et al. Association between physical activity and risk of depression: a systematic review and meta-analysis. JAMA Psychiatry 2022;79:550-9. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2022.0609
  5. Bridle C, Spanjers K, Patel S, et al. Effect of exercise on depression severity in older people: systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. Br J Psychiatry 2012;201:180-5. DOI: 10.1192/bjp.bp.111.095174
  6. La rédaction de Minerva. Des programmes d’exercices pour les patients âgés déprimés. Minerva Analyse 15/02/2014.
  7. Noetel M, Sanders T, Gallardo-Gómez D et al. Effect of exercise for depression: systematic review and network meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2024;384:e075847. DOI: 10.1136/bmj-2023-075847. Erratum in: BMJ 2024;385:q1024. DOI: 10.1136/bmj.q1024 
  8. Declercq T, Callens J, Cloetens, et al. La dépression chez l’adulte. Recommandation de Bonne Pratique. Domus Medica 2017. URL : https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/depression_fr.pdf
  9. Haute Autorité de Santé. Épisode dépressif caractérisé de l’adulte : prise en charge en soins de premier recours. HAS, 8/11/2017.
  10. National Institute for Health and Care Excellence. Depression in adults: treatment and management. NICE guideline 222. Published: 29/06/2022.

 




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