Revue d'Evidence-Based Medicine



Intérêt de l’ajout de l’évolocumab (anti PCSK9) à une statine pour diminuer les évènements cardiovasculaires ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 9 Page 231 - 235

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Sabatine MS, Giugliano RP, Keech AC, et al; FOURIER Steering Committee and Investigators. Evolocumab and clinical outcomes in patients with cardiovascular disease. N Engl J Med 2017;376:1713-22. DOI: 10.1056/NEJMoa1615664


Question clinique
Chez des sujets présentant une pathologie cardiovasculaire athérosclérotique et un LDL-cholestérol d’au moins 70 mg/dl sous statine, l’ajout d’évolocumab (140 mg toutes les 2 semaines ou 420 mg/mois, en SC) diminue-t-il, versus placebo, le risque de survenue d’un évènement cardiovasculaire, sur un suivi médian de 26 mois ?


Conclusion
Cette RCT de bonne qualité méthodologique et incluant un nombre important de patients présentant un risque cardiovasculaire très élevé (évènement athérosclérotique et facteurs de risque) sous statine et autres médications cardiovasculaires (antiagrégant, bêta-bloquant, IECA ou sartan,..) montre un bénéfice limité de l’ajout d’évolocumab versus placebo en termes de morbidité cardiovasculaire mais non de mortalité (globale ou cardiovasculaire) sur une période d’étude médiane de 26 mois.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le GPC de 2016 de la Société Européenne de cardiologi mentionne que les médicaments anti-PCSK9 peuvent être pris en considération pour faire baisser la cholestérolémie, sur base d’un consensus d’experts, chez des patients à très haut risque cardiovasculaire et avec un taux de LDL-C restant élevé sous dose maximale tolérée de statine en association avec de l’ézétimibe ou en cas d’intolérance aux statines. L’étude FOURIER ici analysée montre, chez des patients à haut risque cardiovasculaire, que l’ajout d’évolocumab à un traitement médicamenteux optimal réduit de manière limitée la morbidité cardiovasculaire sans effet prouvé en termes de mortalité, sur une durée d’étude trop courte pour évaluer le réel intérêt clinique (efficacité et sécurité) de ce type de traitement.



Contexte

Des anticorps monoclonaux inhibant la proprotéine convertase subtilisine-kexine de type 9 (PCSK9) représentent une nouvelle classe de médicaments hypolipémiants, par régulation des récepteurs hépatiques du LDL-cholestérol. Ils ont été évalués, dans la majorité des études, en ajout aux statines avec ou sans autres hypolipémiants. Leur efficacité en termes de diminution des taux de LDL-C avait été montrée pour l’alirocumab (1) et pour l’évolocumab (2), les deux anti-PCSK9 actuellement disponibles en Belgique. L’étude FOURIER, première RCT évaluant l’intérêt de l’évolocumab en ajout à une statine pour la prévention d’évènements cardiovasculaires, a été publiée en mars 2017.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : patients âgés de 40 à 85 ans présentant une pathologie cardiovasculaire athérosclérotique cliniquement manifeste (antécédent d’infarctus du myocarde (IM), d’AVC non hémorragique, d’artérite périphérique symptomatique), et ayant d’autres caractéristiques de risque cardiovasculaire élevé, avec un taux de LDL-C ≥ 70 mg/dl ou un HDL-C ≤ 100 mg/dl sous traitement hypolipémiant optimisé (de préférence une statine à haute intensité ou au moins 20 mg/j d’atorvastatine ou équivalent), avec ou sans ézétimibe
  • critères d’exclusion : non donnés dans la publication originale ! Dans les annexes online, les principaux critères parmi les 25 mentionnés sont : infarctus du myocarde ou AVC récent (moins de 4 semaines), insuffisance cardiaque avec NYHA III ou IV, antécédent d’AVC hémorragique, chirurgie cardiaque ou revascularisation prévue dans les 3 mois, HTA non contrôlée, dysthyroïdie non traitée ou non contrôlée, insuffisance rénale sévère, antécédent personnel ou familial de troubles musculaires héréditaires, cancer, infection active majeure  ou pathologie majeure (hématologique, rénale, métabolique, gastro-intestinale, endocrinienne), sujet probablement non adhérent aux conditions d’étude
  • principales caractéristiques des patients inclus : 27564 patients inclus ; âge moyen de 62,5 ans (ET 9), 75,4% d’hommes, 63% d’européens, 81,1% post IM, 19,4% post AVC non hémorragique, 80% avec HTA, 37% présentant un diabète ; LDL-C médian initial de 92 mg/dl ; 69,3% des sujets inclus sous statine à haute intensité, 30,4% avec au moins 20 mg/j d’atorvastatine ou équivalent, 5,2% avec ézétimibe ; 92,7% (groupe évolocumab), 92% (groupe placebo) des sujets sous aspirine ou autre antiagrégant plaquettaire, 75,6% sous bêta-bloquant et 78,2% sous IECA, sartan ou antagoniste de l’aldostérone.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, internationale (1242 sites, 49 pays)
  • traitement : évolocumab en SC (soit 140 mg toutes les 2 semaines soit 420 mg par mois)   (n = 13784) versus placebo (n = 13780)
  • analyse en ITT, sans imputation des données manquantes
  • stratification initiale selon le taux de LDL-C (< ou ≥ 85 mg/dl) et suivant la région d’étude
  • durée médiane de suivi de 26 mois
  • adjudication centrale des évènements.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire composite : évènement cardiovasculaire majeur (premier évènement) : décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde, AVC, hospitalisation pour angor instable ou revascularisation coronaire
  • critère de jugement secondaire principal : critère composite de décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde ou AVC
  • sécurité : effets indésirables et données de laboratoire.

 

Résultats

  • 12,5% d’arrêts prématurés d’étude ; 94% des sujets avec des données à 2 ans
  • critère de jugement primaire composite :
    • 9,8% des patients sous évolocumab et 11,3% sous placebo, soit un HR de 0,85 avec IC à 95% de 0,79 à 0,92 ; p < 0,001
  • critères de jugement secondaires :
    • principal (composite) : 5,9% des patients sous évolocumab versus 7,4% sous placebo, soit un HR de 0,80 avec IC à 95% de 0,73 à 0,88 ; p < 0,001
    • LDL-C : à 48 semaines, réduction absolue moyenne de 56 mg/dl (avec IC à 95% de 55 à 57), jusqu’à un taux médian de 30 mg/dl (avec IC à 95% de 19 à 46) sous évolocumab ; réduction relative de 59% (avec IC à 95% de 58 à 60) versus placebo (% moyen du dernier carré)
    • pas de différence en termes de mortalité globale ou cardiovasculaire
    • réduction sous évolocumab du risque d’infarctus du myocarde, d’AVC ou de revascularisation coronaire
  • sécurité : pas de différence pour l’ensemble des effets indésirables ; 1,6% versus 1,5% des sujets ont arrêté le traitement pour effets indésirables sérieux ; significativement plus de réactions au site d’injection avec l’évolocumab et numériquement davantage de nouveaux cas de diabète : HR à 1,05 avec IC à 95% de 0,94 à 1,17.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, dans leur étude, une inhibition du PCSK9 avec l’évolocumab en ajout à un traitement par statine a diminué le LDL-C jusqu’à un taux médian de 30 mg/dl et a réduit le risque d’évènement cardiovasculaire. Ces résultats montrent que des patients présentant une pathologie cardiovasculaire athérosclérotique bénéficient d’une diminution de leur taux de LDL-C en-dessous des valeurs cibles actuelles.

 

Financement de l’étude 

La firme Amgen (firme productrice de l’évolocumab) est responsable de l’élaboration du protocole de l’étude et de la collecte des données.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Tous les 12 auteurs cités déclarent être soit employés par la firme Amgen (3) soit avoir reçu des honoraires de cette même firme pour cette étude (5) et/ou d’autres travaux (tous sauf 2 employés).

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le dessin de l’étude a été élaboré par le comité exécutif en collaboration avec la firme Amgen qui produit l’évolocumab. Celle-ci a également financé cette étude et rémunéré la majorité des auteurs.

La randomisation semble avoir été correctement effectuée, par un système informatique central, avec une stratification initiale selon le taux de LDL-C (< ou ≥ 85 mg/dl) et suivant la région d’étude.

Si les auteurs mentionnent avoir effectué les analyses en ITT, ils déclarent également l’absence d’imputation des données manquantes.

Etonnamment également, la puissance d’étude (90%) est estimée initialement pour le critère de jugement secondaire principal (au moins 15% de réduction relative) et non pour le critère de jugement principal. Les auteurs précisent, dans une annexe, que leur choix correspond à une puissance de 99,8% pour le critère primaire d’étude. Les rapports de hasards sont calculés suivant un modèle de hasards proportionnels de Cox, ce qui est recommandé.

La synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration publiée en 2017 (3) conclut à une bonne qualité méthodologique de cette étude (sauf pour l’origine de son financement).

 

Interprétation des résultats

Cette étude inclut des sujets à risque cardiovasculaire (très) élevé : antécédents cardiovasculaires et, en outre, facteurs de risque cardiovasculaires (80% d’hypertendus, 37% de sujets souffrant de diabète, 28 à 29% de fumeurs actuels). D’autre part, ces personnes bénéficient aussi d’autres traitements médicamenteux que les hypolipémiants : antiagrégant plaquettaire, bêta-bloquant, IECA (ou sartan).

Les auteurs mentionnent que, selon leurs calculs, l’ampleur du bénéfice pour le critère primaire et le critère de jugement secondaire principal augmente après la première année de traitement par rapport à la première année de traitement.

Les bénéfices observés sont concordants dans les différents sous-groupes analysés (âge, sexe, pathologie cardiovasculaire, taux initial de LDL-C, intensité du traitement par statine, dosage d’évolocumab).

Dans leur discussion, les auteurs donnent un NNT de 74 pendant 2 ans pour éviter un critère de jugement secondaire principal (composite) sans mentionner d’intervalle de confiance. Selon nos calculs à partir de la table 2 de l’étude, l’IC à 95% serait de 50 à 119.

Comme la plupart des autres études concernant d’autres anti-PCSK9 (alirocumab), celle-ci concerne des patients avec une moyenne d’âge inférieure à 63 ans (4).

 

Effets indésirables

Cette étude semble rassurante pour ce qui est des effets indésirables de ce médicament : seules les réactions au site d’injection sont plus fréquentes qu’avec un placebo, mais elles sont rares. Le nombre et la nature des critères d’exclusion des patients pour cette étude (voir résumé), montrent qu’il s’agit d’une population bien sélectionnée. La survenue d’effets indésirables liés à ce médicament pourrait être fort différente dans la réalité quotidienne.

Dans les études, les effets indésirables les plus fréquemment observés ont été (RCP) : rhinopharyngite, infections des voies respiratoires supérieures, nausées, dorsalgies et arthralgies.

Dans une étude ouverte évaluant l’évolocumab à plus long terme (jusqu’à 4 ans) (5), les auteurs déclarent une absence d’augmentation de la fréquence des effets indésirables en cas de traitement prolongé.

L’apparition d’anticorps de liaison a été observée (rarement) après l’administration d’évolocumab, sans constat d’apparition d’anticorps neutralisants et sans lien établi avec un effet indésirable. L’EMA a demandé de suivre particulièrement cet élément (Risk Management Plan de l’EPAR).

Selon une méta-analyse en réseau, les anti-PCSK9 pourraient augmenter le risque de survenue de troubles neurocognitifs (6).

Une publication récente concernant un autre anti-PCSK9, un anticorps monoclonal humanisé, le bococizumab, évalué dans 2 RCTs (7), montre davantage d’effets indésirables de ce médicament versus placebo, mais la seule différence statistiquement significative concerne les réactions au site d’injection. Cette étude a été prématurément arrêtée en raison de l’apparition d’anticorps neutralisants (8).

 

Mise en perspective

Conclure, comme le font les auteurs, que ces résultats montrent que des patients présentant une pathologie cardiovasculaire athérosclérotique bénéficient d’une diminution de leur taux de LDL-C en-dessous des valeurs cibles actuelles est, selon nous, erroné comme raisonnement. Comme pour les statines, attribuer un bénéfice clinique à la seule baisse du LDL-C reste hypothétique… tout en devant admettre que la mesure du LDL-C est le seul paramètre objectif actuellement disponible pour mesurer l’effet de ce type de médicament.

La synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration publiée en 2017 (3), qui inclut cette RCT parmi un total de 20 concernant les anti-PCSK9 alirocumab, bococizumab et évolocumab, conclut à une diminution modeste des risques absolus (souvent moins d’un pour cent) sous anti-PCSK9, avec une faible différence, ou pas de différence, au point de vue mortalité, avec des preuves de qualité faible ou très faible versus autres traitements actifs.

Rappelons que la RCT pivot avec la simvastatine en prévention dite secondaire (post infarctus, en fait tertiaire), l’étude 4S (9), montrait un NNT sur 5,4 ans de 30 pour la mortalité globale et de 10 pour la mortalité globale et tout évènement cardiovasculaire athérosclérotique, versus un NNT de 74 pendant 2 ans pour le critère décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde ou AVC dans cette étude FOURIER, et ceci pour un coût médicamenteux quotidien 75 fois plus élevé en Belgique de l’évolocumab versus simvastatine 40 mg/jour. Aucun bénéfice n’est montré dans cette (trop) courte étude en termes de mortalité globale ou cardiovasculaire.

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT de bonne qualité méthodologique et incluant un nombre important de patients présentant un risque cardiovasculaire très élevé (évènement athérosclérotique et facteurs de risque) sous statine et autres médications cardiovasculaires (antiagrégant, bêta-bloquant, IECA ou sartan,..) montre un bénéfice limité de l’ajout d’évolocumab versus placebo en termes de morbidité cardiovasculaire mais non de mortalité (globale ou cardiovasculaire) sur une période d’étude médiane de 26 mois.

 

Pour la pratique

Le GPC de 2016 de la Société Européenne de cardiologie (10) mentionne que les médicaments anti-PCSK9 peuvent être pris en considération pour faire baisser la cholestérolémie, sur base d’un consensus d’experts, chez des patients à très haut risque cardiovasculaire et avec un taux de LDL-C restant élevé sous dose maximale tolérée de statine en association avec de l’ézétimibe ou en cas d’intolérance aux statines. L’étude FOURIER ici analysée montre, chez des patients à haut risque cardiovasculaire, que l’ajout d’évolocumab à un traitement médicamenteux optimal réduit de manière limitée la morbidité cardiovasculaire sans effet prouvé en termes de mortalité, sur une durée d’étude trop courte pour évaluer le réel intérêt clinique (efficacité et sécurité) de ce type de traitement.

 

 

Noms de marque

  • évolocumab : Repatha®
  • alirocumab : Praluent®

 

Références 

  1. Robinson JG, Farnier M, Krempf M, et al; ODYSSEY LONG TERM Investigators. Efficacy and safety of alirocumab in reducing lipids and cardiovascular events. N Engl J Med 2015;372:1489-99. DOI: 10.1056/NEJMoa1501031
  2. Sabatine MS, Giugliano RP, Wiviott SD, et al; Open-Label Study of Long-Term Evaluation against LDL Cholesterol (OSLER) Investigators. Efficacy and safety of evolocumab in reducing lipids and cardiovascular events. N Engl J Med 2015;372:1500-9. DOI: 10.1056/NEJMoa1500858
  3. Schmidt AF, Pearce LS, Wilkins JT, et al. PCSK9 monoclonal antibodies for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD011748.pub2
  4. Jones PH, Bays HE, Chaudhari U, et al. Safety of alirocumab (a PCSK9 monoclonal antibody) from 14 randomized trials. Am J Cardiol 2016;118:1805-11. DOI: 10.1016/j.amjcard.2016.08.072
  5. Koren MJ, Sabatine MS, Giugliano RP, et al. Long-term low-density lipoprotein cholesterol-lowering efficacy, persistence, and safety of evolocumab in treatment of hypercholesterolemia: results up to 4 years from the open-label OSLER-1 Extension Study. JAMA Cardiol 2017;2:598-607. DOI: 10.1001/jamacardio.2017.0747
  6. Lipinski MJ, Benedetto U, Escarcega RO, et al. The impact of proprotein convertase subtilisin-kexin type 9 serine protease inhibitors on lipid levels and outcomes in patients with primary hypercholesterolaemia: a network meta-analysis. Eur Heart J  2016;37:536-45. DOI: 10.1093/eurheartj/ehv563
  7. Ridker PM, Revkin J, Amarenco P, et al; SPIRE Cardiovascular Outcome Investigators. Cardiovascular efficacy and safety of bococizumab in high-risk patients. N Engl J Med 2017;376:1527-39. DOI: 10.1056/NEJMoa1701488
  8. Ridker PM, Tardif JC, Amarenco P, et al ; SPIRE Investigators. Lipid-reduction variability and antidrug-antibody formation with bococizumab. N Engl J Med 2017;376:1517-26. DOI: 10.1056/NEJMoa1614062
  9. Scandinavian Simvastatin Survival Study Group. Randomised trial of cholesterol lowering in 4444 patients with coronary heart disease: the Scandinavian Simvastatin Survival Study (4S). Lancet 1994;344:1383-9. DOI: 10.1016/S0140-6736(94)90566-5
  10. Catapano AL, Graham I, De Backer G, et al. ESC/EAS Guidelines for the management of dyslipidaemias: the Task Force for the Management of Dyslipidaemias of the European Society of Cardiology (ESC) and European Atherosclerosis Society (EAS) Developed with the special contribution of the European Association for Cardiovascular Prevention & Rehabilitation (EACPR). Atherosclerosis 2016;253:281-344. DOI: 10.1016/j.atherosclerosis.2016.08.018

 

 




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