Revue d'Evidence-Based Medicine



Le sémaglutide, un médicament potentiellement utile dans le traitement de l’insuffisance cardiaque.



Minerva 2025 Volume 24 Numéro 7 Page 159 - 162

Professions de santé

Diététicien, Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Deanfield J, Verma S, Scirica BM, et al. Semaglutide and cardiovascular outcomes in patients with obesity and prevalent heart failure: a prespecified analysis of the SELECT trial. Lancet 2024;404:773-86. DOI: 10.1016/S0140-6736(24)01498-3


Question clinique
Dans cette analyse, trois questions se posent : 1) Le sémaglutide a-t-il été bénéfique, comparé au placebo, chez les patients atteints d'une maladie cardiovasculaire et ayant des antécédents d'insuffisance cardiaque et un surpoids, en terme d’un critère composite d'infarctus du myocarde non mortel, d'accident vasculaire cérébral non mortel et de décès cardiovasculaire, d’un critère composite d'insuffisance cardiaque (décès cardiovasculaire, hospitalisation ou visite urgente à l'hôpital pour insuffisance cardiaque), de décès cardiovasculaire et de décès toutes causes confondues ? 2) Y a-t-il eu une différence de résultats entre les patients présentant une insuffisance cardiaque avec fraction d'éjection préservée et ceux présentant une insuffisance cardiaque avec fraction d'éjection réduite ? 3) L'efficacité et la sécurité du sémaglutide chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque étaient-elles liées aux caractéristiques initiales ou au sous-type d'insuffisance cardiaque ?


Conclusion
Les résultats de cette étude multicentrique, randomisée, en double aveugle et contrôlée par placebo suggèrent que chez les patients atteints d'une maladie cardiovasculaire athéroscléreuse, en surpoids ou obèses, pourraient bénéficier du sémaglutide, (moins d’évènements cardiovasculaires majeurs, moins d’insuffisance cardiaque, moins de mortalité cardiovasculaire et de mortalité toutes causes confondues) chez les patients avec et sans insuffisance cardiaque clinique, quel que soit le sous-type d'insuffisance cardiaque clinique ». Le profil de sécurité et les taux d'arrêt du sémaglutide étaient similaires chez les patients avec et sans antécédents d'insuffisance cardiaque, ainsi que pour tous les sous-types d'insuffisance cardiaque, ce qui conforte le rapport bénéfice/risque favorable du sémaglutide dans ces groupes de patients.


Contexte

Une synthèse méthodique avec méta-analyse, avec de multiple biais, rapportée dans Minerva, a conclu que, chez les adultes en surpoids et obèses, la phentermine-topiramate et les agonistes des récepteurs GLP-1 se sont avérés les meilleurs médicaments pour réduire le poids. Des analogues de l'hormone incrétine glucagon-like peptide-1 (a-GLP-1), le sémaglutide pourrait être le plus efficace (1,2). Dans une étude analysée dans Minerva (3,4), chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque et dont la fraction d'éjection est légèrement réduite ou préservée, la dapagliflozine, un inhibiteur du co-transporteur sodium-glucose de type 2 (i-SGLT2) au niveau rénal, a entraîné une diminution du risque du composite principal (aggravation de l'insuffisance cardiaque ou décès d'origine cardiovasculaire), une aggravation moindre des évènements d'insuffisance cardiaque et des décès d'origine cardiovasculaire, et une diminution de la charge des symptômes, sans excès d'évènements indésirables. Ces données fournissent des preuves supplémentaires à l'appui de l'utilisation d'un i-SGLT2 comme traitement essentiel chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque, indépendamment de la présence ou de l'absence de diabète sucré de type 2 ou de la fraction d'éjection ventriculaire gauche. Une étude randomisée (5,6) en double aveugle versus placebo, menée auprès de patients avec insuffisance cardiaque avec fraction d'éjection préservée et obèses, a montré que le sémaglutide à la posologie de 2,4 mg, administré une fois par semaine en sous-cutané, réduit significativement les symptômes cardiaques, les limitations physiques et la perte de poids à 52 semaines. Ces résultats suggèrent que le sémaglutide pourrait être une option thérapeutique importante pour cette population. Une nouvelle étude randomisée contre placebo, l’essai SELECT, a évalué l’efficacité du sémaglutide chez des patients avec une maladie cardiovasculaire établie et un BMI ≥ 27 kg/m² (7) tandis que l’étude analysée ici, prédéfinie dans le protocole SELECT, s’intéresse plus précisément aux patients atteints d'une maladie cardiovasculaire et ayant des antécédents d'insuffisance cardiaque et un surpoids (8).

 

 

Résumé

 

Population étudiée 

  • critères d’inclusion :
    • âge de 45 ans et plus
    • BMI de 27 kg/m² ou plus 
    • maladie cardiovasculaire avérée, définie par au moins l'un des éléments suivants : antécédent d'infarctus du myocarde, antécédent d'accident vasculaire cérébral ischémique ou hémorragique, ou maladie artérielle périphérique symptomatique.
    • consentement informé écrit
  • critères d’exclusion : 
    • antécédent d'infarctus du myocarde, d'accident vasculaire cérébral, d'hospitalisation pour angine de poitrine instable ou d'accident ischémique transitoire dans les 60 jours précédant la sélection 
    • taux d'hémoglobine glyquée (HbA1c) de 6,5% (48 mmol/mol) ou plus 
    • antécédents de diabète sucré, quelle que soit la forme 
    • insuffisance cardiaque de classe IV selon la New York Heart Association (NYHA) 
    • présence d'une insuffisance rénale terminale ou besoin de dialyse chronique ou intermittente
  • au total, 17 604 patients ont été randomisés sur base des critères d’éligibilité ; âge moyen de 61,6 ans (écart type 8,9) ; BMI moyen de 33,4 kg/m² (ET 5,0) ; 4872 de sexe féminin (27,7%) ; 24,3% avaient une insuffisance cardiaque dont 53% avec fraction d’éjection préservée (HFpEF), 31,4% avec fraction d’éjection réduite (HFrEF), et 15,5% non classifiée.

 

Protocole d’étude 

  • essai de phase 3 randomisé, en double aveugle, multicentrique, contrôlé par placebo et piloté par les évènements, mené dans 41 pays (804 sites)
  • randomisation 1/1 (en complément des recommandations de soins standard pendant la période d'intervention) entre : 
    • administration sous-cutanée hebdomadaire de 2,4 mg de sémaglutide 
    • placebo. 

 

Mesures des résultats

  • critère de jugement primaire : délai de survenue du premier évènement cardiovasculaire majeur (MACE) depuis la randomisation, défini comme un critère composite regroupant la mortalité cardiovasculaire (y compris la cause de décès indéterminée), l'infarctus du myocarde non fatal ou l'accident vasculaire cérébral non fatal
  • critères de jugement secondaires : 
    • décès d'origine cardiovasculaire
    • critère composite d'insuffisance cardiaque (IC) : décès d'origine cardiovasculaire, hospitalisation ou consultation médicale urgente pour IC
    • décès toutes causes confondues. 

 

Résultats 

A. résultats principaux de l’étude princeps (7) : 

  • critère de jugement primaire : versus placebo, supériorité du sémaglutide : (RR de 0,80 avec IC à 95% de 0,72 à 0,90) correspondant à une réduction du risque relatif de MACE de 20%
  • critères de jugement secondaires : 
    • décès d'origine cardiovasculaire : risque relatif de 0,85 [0,71 ; 1,01]
    • critère composite d'insuffisance cardiaque (IC) : RR de 0,82 avec IC à 95% de 0,71 à 0,96] en faveur du sémaglutide
    • décès toutes causes confondues : RR de 0,81 avec IC à 95% de 0,71 à 0,93 en faveur du sémaglutide

B. résultats de l’étude analysée (8) : 

  • critères de jugement dans le sous-groupe insuffisance cardiaque (4286 dont 2273 avec une fraction d’éjection systolique (FEVS) conservée, 1347 avec FEVS réduite et 666 dite non classifiée) :
    • présence versus absence d’insuffisance cardiaque : amélioration avec le sémaglutide de tous les critères d'évaluation : HR de 0,72 avec IC à 95% de 0,60 à 0,87 pour les évènements cardiovasculaires majeurs ; HR de 0,79 avec IC à 95% de 0,64 à 0,98 pour le critère composite d'insuffisance cardiaque ; HR de 0,76 avec IC à 95% de 0,59 à 0,97 pour le décès cardiovasculaire ; et HR de 0,81 avec IC à 95% de 0,66 à 1,00 pour le décès toutes causes confondues
    • selon le sous-type d’insuffisance cardiaque : amélioration des résultats en cas de fraction d'éjection réduite (HR de 0,65 avec IC à 95% de 0,49 à 0,87 pour les évènements cardiovasculaires majeurs) et de fraction d'éjection préservée (HR de 0,69 avec IC à 95% de 0,51 à 0,91 pour les évènements cardiovasculaires majeurs), sans indication d'hétérogénéité du traitement dans ces résultats
    • évènements indésirables graves : moins fréquents avec le sémaglutide par rapport au placebo, quel que soit le sous-type d'insuffisance cardiaque.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que « chez les patients atteints de maladie cardiovasculaire athéroscléreuse et en surpoids ou obèses, le traitement par sémaglutide 2,4 mg a réduit les évènements cardiovasculaires majeurs (MACE) et les critères d’évaluation composites de l’insuffisance cardiaque par rapport au placebo chez les patients avec et sans insuffisance cardiaque clinique, quel que soit le sous-type d’insuffisance cardiaque. Nos résultats pourraient faciliter la prescription et améliorer les résultats cliniques pour ce groupe de patients. »

 

Financement de l’étude

Par la firme pharmaceutique Novo Nordisk.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Multiples et variés.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

S’il s’agit bien d’une étude randomisée dont les objectifs prédéfinis ont déjà été analysés et ont fait l’objet d’une publication (7), l’idée d’analyser les résultats selon le type d’insuffisance cardiaque (avec ou sans altération de la FEVS) est venue en cours d’étude. Le protocole en annexe aux publications n’en fait pas mention. Cela explique probablement les données manquantes et l’absence de formalisation du traitement cardiaque laissé à l’appréciation de l’investigateur (« soins courants »). L’essai ne repose pas pour cette question sur des considérations statistiques et les résultats doivent être considérés comme exploratoires à confirmer par une étude ad hoc.
Il faut se rappeler que les patients ont été sélectionnés sur base d’un surpoids. Les résultats ne sont donc pas applicables aux insuffisants cardiaques sans surpoids. Il est étonnant que, malgré que cela soit défini comme un objectif secondaire dans le supplément, l’impact sur le poids du sémaglutide par rapport au placebo ne soit pas rapporté. Il faut se rappeler que la firme a développé plusieurs spécialités pour le sémaglutide : l’Ozempic (forme injectable) et le Rybelsus (forme orale) pour le diabète sucré de type 2 et le Wegovy (forme injectable) pour l’obésité et le surpoids. 

 

Évaluation des résultats

Outre les problèmes liés aux autorisations de mise sur le marché – notamment pour traiter l’insuffisance cardiaque – il n’est pas facile d’extrapoler les résultats de l’étude pour la prise en charge quotidienne des patients. En effet, l’étude SELECT n’a pas défini au départ le type d’insuffisance cardiaque et les patients ont reçu de nombreux autres traitements que le sémaglutide, sans règles définies par le protocole. De plus, au moment du lancement de l’étude SELECT, les inhibiteurs du SGLT2 n’étaient pas encore intégrés dans les standards thérapeutiques de l’insuffisance cardiaque alors qu’ils sont aujourd’hui proposés dans cette indication (9). Leur introduction au cours de l’essai est restée marginale, ne concernant qu’une faible proportion des patients inclus avec insuffisance cardiaque. L’effet potentiel d’une association entre agonistes du récepteur GLP-1 et inhibiteurs du SGLT2, qui agissent par des mécanismes distincts et probablement complémentaires, reste à explorer dans des études dédiées. Il est donc difficile d’en tirer une stratégie thérapeutique bien définie. Ce qui est assez intéressant, c’est le bénéfice rapporté en cas d’insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée, une atteinte pour laquelle nos moyens thérapeutiques sont actuellement limités. Ces résultats sont à rapprocher de ceux de l’étude dite STEP-HFpEF (6) conduite chez le patient obèse (indice de masse corporelle ≥ 30) avec une insuffisance cardiaque à FEVS préservée, avec comme objectifs primaires la perte poids et l’amélioration des symptômes et limitations physiques. Les résultats ont montré une amélioration significative et du poids et des limitations physiques. Il n’y a pas de données chez les sujets atteints d’insuffisance cardiaque avec un poids dans la norme. Bien que les évènements indésirables graves soient moins fréquents dans le groupe intervention, le taux d’arrêts de traitement est plus élevé avec le sémaglutide, surtout pour les troubles gastro-intestinaux. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Une conférence de consensus de l’INAMI s’est tenue fin 2024 sur le thème de la prise en charge de l’insuffisance cardiaque (9). Dans sa méthodologie, la conférence repose sur une revue exhaustive de la littérature en ce qui concerne les données de meilleur niveau de preuve. Les guides de pratique clinique, dont celui de WOREL (10), ont été également fait l’objet d’une analyse. Le jury a recommandé, pour les patients atteints d’insuffisance cardiaque à FEVS diminuée (< 40%), d’initier rapidement les 4 classes de médicaments différentes (IECA, ß-bloquants, i-SGLT2 et diurétiques) avec des doses plus faibles et une titration rapide. Les points d’attention spécifiques sont la tolérance, l’adaptation au profil du patient, les effets indésirables et la prévention du sous-traitement. En ce qui concerne l’initiation et le suivi du i-SGLT2 pour les patients atteints d’insuffisance cardiaque à FEVS préservée, le rôle de la première ligne est d'identifier les patients présentant des symptômes d'insuffisance cardiaque, d'effectuer une évaluation initiale, de pouvoir initier l’i-SGLT2 en cas de forte suspicion clinique. Le cardiologue confirmera le diagnostic d'insuffisance cardiaque par échocardiographie et évaluera l’adéquation du traitement par i-SGLT2. 
Concernant le sémaglutide, « Le jury propose d’appliquer aux patients souffrant d’obésité morbide et d’insuffisance cardiaque les mêmes recommandations thérapeutiques que pour les autres patients. Les études portant sur l’usage du sémaglutide et le tirzépatide chez les patients insuffisants cardiaques ont montré des résultats favorables, sans que l’on puisse encore émettre de recommandation précise au stade actuel (GRADE B, recommandation faible) ». Le jury précise également que « au vu des résultat encourageants des études portant sur le sémaglutide et le tirzépatide, les critères d’accès au remboursement devront être revus dans le futur ». 

 

 

Conclusion de Minerva

Les résultats de cette étude multicentrique, randomisée, en double aveugle et contrôlée par placebo suggèrent que chez les patients atteints d'une maladie cardiovasculaire athéroscléreuse, en surpoids ou obèses, pourraient bénéficier du sémaglutide, (moins d’évènements cardiovasculaires majeurs, moins d’insuffisance cardiaque, moins de mortalité cardiovasculaire et de mortalité toutes causes confondues) chez les patients avec et sans insuffisance cardiaque clinique, quel que soit le sous-type d'insuffisance cardiaque clinique ». Le profil de sécurité et les taux d'arrêt du sémaglutide étaient similaires chez les patients avec et sans antécédents d'insuffisance cardiaque, ainsi que pour tous les sous-types d'insuffisance cardiaque, ce qui conforte le rapport bénéfice/risque favorable du sémaglutide dans ces groupes de patients. 

 

 


Références 

  1. Sculier JP. Pharmacothérapie de l’obésité et du surpoids : une méta-analyse en réseau à ne pas retenir. MinervaF 21(7):159‑62
  2. Shi Q, Wang Y, Hao Q, et al. Pharmacotherapy for adults with overweight and obesity: a systematic review and network meta-analysis of randomised controlled trials. Lancet 2022;399:259‑69. DOI: 10.1016/S0140-6736(21)01640-8
  3. Sculier JP. La dapagliflozine, un médicament dont les indications de prescription doivent être précisées dans le traitement de l’insuffisance cardiaque. MinervaF 2023;22(5):100‑3.
  4. Solomon SD, McMurray JJ, Claggett B, et al. Dapagliflozin in heart failure with mildly reduced or preserved ejection fraction. N Engl J Med 2022;387:1089-98. DOI: 10.1056/NEJMoa2206286 
  5. Hammouch F, Abulatifa A, De Jonghe M. Intérêt du sémaglutide dans l’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection préservée et obésité ? Minerva Analyse 26/09/2024.
  6. Kosiborod MN, Abildstrøm SZ, Borlaug BA, et al. Semaglutide in patients with heart failure with preserved ejection fraction and obesity. N Engl J Med 2023;389:1069-84. DOI: 10.1056/NEJMoa2306963 
  7. Lincoff AM, Brown-Frandsen K, Colhoun HM, et al. Semaglutide and cardiovascular outcomes in obesity without diabetes. N Engl J Med 2023;389:2221‑32. DOI: 10.1056/NEJMoa2307563
  8. Deanfield J, Verma S, Scirica BM, et al. Semaglutide and cardiovascular outcomes in patients with obesity and prevalent heart failure: a prespecified analysis of the SELECT trial. Lancet 2024;404:773-86. DOI: 10.1016/S0140-6736(24)01498-3
  9. INAMI. La prise en charge de l’insuffisance cardiaque. Réunion de consensus - 28/11/2024. Conclusions - texte longue. Disponible sur: https://www.inami.fgov.be/SiteCollectionDocuments/consensus_texte_long_20241128.pdf 
  10. Smeets M, Van Cauwenbergh S, Mokrane S, et al. Insuffisance cardiaque chronique. Mise à jour. Groupe de travail développement de guides de pratique de première ligne. WOREL asbl,) 2024. Ebpracticenet 2/05/2024





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