Revue d'Evidence-Based Medicine
Pioglitazone pour le diabète: espoirs déçus
Minerva 2006 Volume 5 Numéro 6 Page 86 - 88
Professions de santé
Résumé
Contexte
Les patients diabétiques présentent un risque élevé d’infarctus du myocarde fatal ou non fatal et d’accident vasculaire cérébral (AVC). La pioglitazone est une thiazolidinedione qui diminue les taux glycémiques à jeun et en post prandial et améliore la sensibilité à l’insuline 1. Sur base de preuves indirectes issues d’études avec d’autres antidiabétiques oraux, un effet favorable de la pioglitazone en terme de réduction du nombre de complications macrovasculaires était suggéré.
Population étudiée
Parmi 5 602 patients diabétiques recrutés dans des pratiques de médecine générale et dans des polycliniques de cardiologie, 5 238 ont été inclus dans cette étude s’ils présentaient une pathologie macrovasculaire: 48% de pathologies coronariennes ischémiques, 47% d’infarctus myocardique à l’anamnèse, 19% d’AVC, 31% de PTCA ou de CABG et 49% de présence d’au moins deux critères macrovasculaires définis pour l’inclusion. Les sujets inclus sont âgés de 35-75 ans (moyenne de 62 ans), 67% sont de sexe masculin, présentent une HbA1c initiale >6,5% (moyenne de 7,9%) malgré un traitement par régime avec ou sans un antidiabétique oral (avec ou sans insuline), un IMC moyen de 31, 46% ont fumé (14% de fumeurs actifs), 76% sont hypertendus et 43% présentent des signes d’atteinte microvasculaire (rétinopathie, néphropathie, neuropathie). Quatre pour cent ont un régime pour seul traitement du diabète, 30% ne reçoivent qu’un seul antidiabétique (dans <1% des cas avec de l’insuline), 25% prennent une association de metformine et d’une sulfonylurée et les autres une association d’insuline avec soit de la metformine, soit une sulfonylurée, soit les deux.
Protocole d’étude
Cette étude clinique randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, multicentrique, répartit ses patients dans deux groupes recevant, outre leur traitement habituel, soit de 15 à 45 mg de pioglitazone (n=2 605) soit un placebo. La cible thérapeutique de l’étude est un taux d’HbA1c <6,5%. Les patients sont suivis chaque mois durant les deux premiers mois d’étude puis, durant un an, tous les deux mois et, ensuite, tous les trois mois. Un examen sanguin et d’urines ainsi qu’un électrocardiogramme sont pratiqués à intervalle régulier.
Mesure des résultats
Le critère de jugement primaire composite est (le délai entre randomisation et) la survenue d’un décès de toute cause, d’un infarctus du myocarde non fatal (y compris infarctus silencieux), d’un AVC, d’un syndrome coronarien aigu, d’une intervention coronarienne ou artérielle périphérique ou d’une amputation au-dessus de la cheville. Les critères de jugement secondaires principaux dans cette publication sont (le délai de) la survenue d’un des cas suivants: mortalité de toute cause, infarctus du myocarde (infarctus silencieux excepté) ou AVC. Les autres critères secondaires sont: mortalité cardiovasculaire et délai de survenue des différents cas constitutifs du critère primaire. Toutes les analyses sont effectuées selon un modèle de hasards proportionnels et en intention de traiter.
Résultats
La durée moyenne de suivi est de 34,5 mois et seuls deux patients arrêtent ce suivi. Dans le groupe pioglitazone, 514 des 2 605 patients présentent un des cas constituant le critère primaire, en comparaison avec 572 des 2 633 sujets du groupe placebo (HR 0,90; IC à 95% de 0,80 à 1,02; p=0,095, donc non significatif). Un critère de jugement secondaire (mortalité de toute cause, infarctus du myocarde ou AVC) se produit chez 301 patients dans le groupe pioglitazone versus 358 dans le groupe placebo (HR 0,84; IC à 95% de 0,72 à 0,98; p=0,027). Dans le groupe pioglitazone, 6% des personnes sont hospitalisées pour insuffisance cardiaque versus 4% dans le groupe placebo (p=0,007). Il n’y a pas de différence observée dans la mortalité provoquée par l’insuffisance cardiaque (1%).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que la pioglitazone diminue le nombre de cas du critère composite mortalité de toute cause, infarctus du myocarde non fatal et AVC chez des patients diabétiques de type 2 présentant un risque cardiovasculaire élevé.
Financement
Takeda Pharmaceutical Company et Eli Lilly and Company.
Conflits d’intérêt
Les deux sponsors étaient tous deux représentés dans le «steering committee» international, avec droit de vote, ainsi que dans le comité exécutif qui a réalisé l’analyse et l’interprétation des données ainsi que l’écriture du manuscrit. Tous les auteurs ont reçu des rétributions des firmes concernées ou en sont des collaborateurs.
Discussion
La publication des résultats de cette étude n’est pas passée inaperçue. De manière itérative, le message «vous pouvez mieux protéger vos patients diabétiques» parvient aux médecins, également via les revues scientifiques. Cette fois-ci, le message est accompagné d’une référence à une source renommée, le Lancet. Le doute est-il encore permis? Nous pensons que la réponse est positive.
Considérations sur la méthodologie: population étudiée
Cette étude traite d’une question clinique pertinente et évalue, comme critère principal, l’efficacité de la pioglitazone sur des «critères forts» (morbidité et mortalité incluses). La population étudiée présente un risque cardiovasculaire élevé et représente un groupe vulnérable dans la pratique de la médecine générale. Les résultats de cette étude sont donc fort pertinents pour ce groupe de patients, mais, comme les auteurs le soulignent, ils ne peuvent être généralisés à tous les patients diabétiques de type 2. Le profil de risque des patients inclus apparaît clairement dans la description des caractéristiques des groupes: infarctus du myocarde à l’anamnèse (50%), signes objectifs d’ischémie coronarienne (50%) et moitié des patients présentant au moins deux critères de pathologie macrovasculaire. L’incidence des événements cardiovasculaires en cours d’étude nous livre également un reflet du risque encouru par cette population: sur les trois ans d’étude, environ 20% des sujets présentent un cas du critère primaire. Il est donc étonnant et décevant que, malgré ce risque élevé dans la population étudiée, aucune différence statistiquement significative ne soit observée pour le critère de jugement primaire (composite pour mortalité et morbidité cardiovasculaire). Remarquons aussi la différence significative obtenue pour l’HbA1C moyenne en faveur du groupe pioglitazone, différence qui complique aussi l’interprétation des résultats.
Critère secondaire: hypothèse à confirmer!
Dans leur article, les auteurs mentionnent que leur critère de jugement secondaire est «prédéfini». Dans la prépublication du protocole d’étude, ce critère n’est cependant nullement décrit 2. Il n’a été élaboré que plus tard, en cours d’étude mais avant l’analyse des données, comme les auteurs nous l’apprennent dans une réponse au courrier des lecteurs 3. Est-ce un hasard si un critère d’évaluation spécifique, les revascularisations dans les membres inférieurs, en défaveur de la pioglitazone, est éliminé du critère secondaire? Même si ce critère secondaire avait été élaboré dans le protocole original, l’interprétation de ces résultats aurait posé problème au niveau méthodologique. Freemantle souligne que lorsqu’un critère primaire ne montre pas de résultats significatifs, un critère secondaire ne peut être considéré que comme une hypothèse à confirmer 4, pour différentes raisons statistiques dont la notion que la taille de la population d’étude est calculée en fonction du critère primaire. Baser ses conclusions sur ce critère, comme le font les auteurs, est incorrect au point de vue méthodologique 4,5.
Résumé trompeur
Les auteurs ont donc tenté de présenter sous un jour favorable les résultats quelque peu décevants de leur étude et «oublient» de mentionner dans leur conclusion l’absence de preuve d’un avantage pour la pioglitazone en ce qui concerne le critère primaire. Ce procédé est pour le moins «trompeur». La campagne promotionnelle de la pioglitazone a largement pu bénéficier de ce procédé. Aucune nécessité de sortir des éléments de leur contexte, tout était écrit noir sur blanc dans le Lancet! Un des points faibles de l’Evidence-Based Medicine est ainsi pointé du doigt: la «culture de l’abstract». L’offre d’information est à ce point importante qu’il nous faut trouver une façon efficiente de l’aborder. De nombreuses revues répondent à ce besoin en mettant leurs abstracts à disposition sur internet. PubMed nous donne également un accès gratuit à de très nombreux abstracts. La connaissance de l’étude se limite souvent à cette lecture. Les seules personnes capables de nous protéger en tant que lecteurs contre des abstracts fautifs et trompeurs sont les relecteurs et éditeurs des revues qui publient les manuscrits scientifiques. En 2001, les éditeurs d’un grand nombre de revues de premier plan (New England Journal of Medicine, Lancet, JAMA,…) ont plaidé dans un éditorial commun pour une plus grande objectivité dans le rapport d’une recherche scientifique 8. Il est décevant que le Lancet ait probablement oublié, en 2005, cette déclaration de bonnes intentions.
Effets indésirables
Quoiqu’également non clairement mentionné dans l’abstract, un taux d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque significativement plus élevé est observé dans le groupe pioglitazone (6% versus 4% dans le groupe placebo; p=0,007). En tant que clinicien, nous devons donc conclure que l’ajout de pioglitazone à un traitement hypoglycémiant chez des patients à haut risque cardiovasculaire augmente le risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque. Ce problème avait déjà été précédemment décrit pour les glitazones 6,7. De même, un gain de poids sous pioglitazone est confirmé dans cette étude: gain moyen de 3,6 kg dans le groupe pioglitazone versus -0,4 kg pour le placebo, p<0,0001.
Conclusion
Cette étude effectuée chez des patients diabétiques de type 2 présentant un risque cardiovasculaire élevé ne montre pas d’efficacité significative de la pioglitazone pour le critère de jugement primaire prédéfini (mortalité totale et morbidité cardiovasculaire). La conclusion des auteurs repose sur des résultats statistiquement significatifs pour un critère secondaire; cette conclusion n’est cependant pas étayée. Des hospitalisations pour insuffisance cardiaque sont plus fréquentes en cas d’administration de pioglitazone. A ce jour, nous ne connaissons pas la place exacte d’un traitement par pioglitazone en ajout au traitement par régime avec ou sans antidiabétique oral (avec ou sans insuline) chez des patients à haut risque et certainement pas chez des diabétiques «moyens».
Références
- Yki-Järvinnen H. Thiazolidinediones. N Engl J Med 2004;351:1106-18.
- Charbonnel B, Dormandy J, Erdmann E et al; PROactive Study Group. The Prospective Pioglitazone Clinical Trial In Macrovascular Events (PROactive). Diabetes Care 2004;27:1647-53.
- The PROactive Study Executive Committee and Data and Safety Monitoring Committee. PROactive study. Lancet 2006;367:982.
- Freemantle N. How well does the evidence on pioglitazone back up researchers’ claims for a reduction in macrovascular events? BMJ 2005;331:836-8.
- Lemiengre M, van Driel M. Marketing de critères primaires et secondaires (Editorial). MinervaF 2006;5(6):81.
- Anonymous. Glitazones: risques cardiaques et hépatiques (suite). Rev Prescr 2003; 23:508.
- Fiche de transparence. La prise en charge du diabète de type 2. Juin 2003, mise à jour janvier 2005. Centre Belge d’Information Pharmacothérapeutique.
- Davidoff F, DeAngelis CD, Drazan JM et al. Sponsorship, authorship, and accountability. Lancet 2001;358:854-6.
Auteurs
Christiaens T.
Klinische Farmacologie, Vakgroep Farmacologie, UGentVakgroep Fundamentele en Toegepaste Medische Wetenschappen, UGent
COI :
van Driel M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :
Glossaire
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