Revue d'Evidence-Based Medicine



Antidépresseurs et céphalées chroniques



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 8 Page 93 - 94

Professions de santé


Analyse de
Jackson JL, Shimeall W, Sessums L, et al. Tricyclic antidepressants and headaches: systematic review and meta-analysis. BMJ 2010;341:c5222.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des antidépresseurs tricycliques pour le traitement des migraines et des céphalées de tension ?


Conclusion
Cette méta-analyse de bonne qualité repose sur de petites études originales de (très) faible qualité méthodologique et fort hétérogènes ; les conclusions sont donc d’un très faible niveau de preuve. Elle montre une plus grande efficacité des antidépresseurs tricycliques dans le traitement prophylactique des migraines et des céphalées de tension versus placebo et versus ISRS (preuves très faibles). Pour les comparaisons versus d’autres traitements non médicamenteux, les données sont insuffisantes pour pouvoir conclure.


 

Contexte

Les migraines sont fréquentes (prévalence entre 8,4 et 18% de la population au niveau mondial) et les céphalées de tension encore davantage (16 à 30%) (1). Une incidence de respectivement 2,47 et 3,10 pour mille est enregistrée en Belgique (Intego (2)). Les antidépresseurs tricycliques (ADTC) sont couramment utilisés dans la prévention des migraines ou céphalées de tension, par exemple l’amitriptyline qui ne possède cependant pas clairement cette indication. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont également parfois utilisés. Malgré l’utilisation courante de ces médicaments antidépresseurs pour les céphalées, aucune méta-analyse récente n’avait fait le point sur leur

 

Résumé

  

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

 

Sources consultées

  • Medline, Embase, the Cochrane Trials Registry, PsycLIT jusqu’en mars 2010
  • recherche des études non publiées dans les bases de données CRISP et FEDRIP
  • liste de références des articles trouvés.

 

Etudes sélectionnées

  • RCTs publiées incluant des adultes recevant un tricyclique en monothérapie durant au moins 4 semaines, versus placebo, autre médicament ou traitement non médicamenteux
  • ADTC : amitriptyline (N=30) 10 à 150 mg, clomipramine (N=4) 30 à 150 mg ou autre
  • exclusion : céphalées secondaires, liées à un abus médicamenteux, commotion ou ponction lombaire
  • 37 études sélectionnées.

 

Population étudiée

  • 3 176 adultes de >18 ans (âge moyen de 39,6 ans) avec migraine ou céphalées de tension (épisodes fréquents ou chroniques) sur critères de l’International Headache Society ; 73% de femmes ; dans différents pays et continents ; moyenne de 70 patients (écarts de 10 à 554) par étude.

 

Mesure des résultats

  • index de céphalées (fréquence x intensité (ou autre paramètre) pour refléter le poids (burden) de la pathologie) ; la fréquence des céphalées est le nombre de crises de migraines et le nombre de jours de céphalées de tension ; l’intensité des céphalées est mesurée sur EVA ou autre échelle continue
  • réduction de l’intensité des céphalées d’au moins 50%
  • effets indésirables.

 

Résultats

  • sorties d’étude de 0 à 52%
  • index des crises de migraine (+ céphalées mixtes) : ADTC versus placebo différence moyenne standardisée (DMS) -0,70 (-0,93 à -0,48) ; versus ISRS DMS de -0,22 (-0,75 à 0,31)
  • index des céphalées de tension : ADTC versus placebo différence moyenne standardisée (DMS) -1,29 (-2,18 à -0,39) ; versus ISRS DMS de -0,80 (-1,63 à 0,02)
  • l’efficacité augmente avec la durée du traitement : bêta = -0,11 (-0,63 à -0,15 ; p<0,0005)
  • réduction de l’intensité des céphalées d’au moins 50% : ADTC plus efficace que le placebo (céphalées de tension RR 1,41 (1,02 à 1,89) ; migraines RR 1,80 (1,24 à 2,62)) et que les ISRS (respectivement 1,73 (1,34 à 2,22) et 1,72 (1,15 à 2,55)
  • effets indésirables : ADTC versus placebo RR de 1,53 (1,11 à 2,12) et versus ISRS de 2,22 (1,52 à 3,32) ; surtout sécheresse de bouche, vertiges, prise de poids, sans augmentation des sorties d’étude.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les antidépresseurs tricycliques sont efficaces pour prévenir les migraines et les céphalées de tension et sont plus efficaces que les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine mais avec davantage d’effets indésirables. L’efficacité des tricycliques semble augmenter avec le temps.

 

Financement de l’étude 

Pas de financement extérieur

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Ddéclaration d’absence de conflits par tous les auteurs (la plupart dans des services de l’armée des USA).

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique est de bonne qualité, la recherche dans la littérature est exhaustive, la sélection des articles et l’extraction des données est faite indépendamment par deux chercheurs. Le risque de biais est évalué suivant les directives de la Cochrane. Un biais de publication est recherché (et montré) et son importance évaluée par la méthode trim and fill (qui réduit l’ampleur de la différence, celle-ci restant cependant significative). L’hétérogénéité est analysée et elle est considérable (test I² souvent proche de 90%) ; les doses d’antidépresseurs (sans titration) varient entre études. Les données sont standardisées si nécessaire et leurs résultats sommés en modèle d’effets aléatoires. Un seuil de signification de p=0,01 est choisi.

Il faut cependant souligner que la qualité des études originales présente de nombreuses limites ; par exemple, seules 7 études font une analyse en intention de traiter. Une absence d’analyse en intention de traiter avec presque 50% de sorties d’étude rend l’interprétation des résultats impossible. Une analyse de sensibilité pour ce critère ne montre cependant pas de différence pour les résultats. Les études originales mentionnent également fort mal les cotraitements (analgésiques) éventuellement utilisés. A noter des différences entre les chiffres donnés dans le texte et ceux repris dans les forest-plots et le résumé, les significations statistiques demeurant cependant les mêmes.

 

Mise en perspective des résultats

Dans le texte, les auteurs soulignent que les ADTC réduisent significativement, et avec une large ampleur d’effet, le poids des céphalées de tension et de la migraine versus placebo. Versus ISRS, la différence n’est pas significative dans chacune des 2 affections, mais le devient de justesse en sommant tous les résultats, en fait très probablement par manque de puissance des études (130 patients au total de 4 études par classe de médicament par indication). Par contre, un avantage est montré pour le critère secondaire, au moins 50% de diminution de l’intensité des crises, dans les deux pathologies en faveur des ADTC versus ISRS pour un nombre encore plus faible de patients dont les résultats sont sommés (69 à 101 par classe de médicament par indication). Sur l’ensemble des données pour les 2 critères, une plus grande efficacité des ADTC versus ISRS peut être avancée par les auteurs. Ceci confirme les résultats d’une précédente méta-analyse (3) montrant une non efficacité versus placebo des ISRS pour les céphalées de tension, avec indications d’une moindre efficacité que les tricycliques. Pour les effets indésirables, cette méta-analyse de Jackson montre un avantage en faveur des ISRS versus ADTC, tout en soulignant que ceux-ci semblent mineurs et n’entraînent pas l’arrêt du traitement. Soulignons aussi ce fait rare dans le traitement de la douleur, que l’efficacité des ADTC semble augmenter dans le temps pour ces indications, mais le nombre d’études à long terme est très faible (durée moyenne des études de 10 semaines, la plus longue assurant 26 semaines de suivi).

Dans cette méta-analyse de Jackson, les études comparant tricycliques et bêta-bloquants ne montrent pas de différence significative pour le nombre de crises de migraine (N=3) ni pour le nombre de patients avec une réduction d’au moins 50% des crises (N=2). Versus traitements non médicamenteux, les études ne montrent pas de différence versus manipulation vertébrale pour les céphalées de tension (N=2) ni pour la migraine (N=1). Il en est de même pour une comparaison versus traitements comportementaux cognitifs (céphalées de tension (N=1), migraine (N=2)). Toutes ces comparaisons sont cependant de faible niveau de preuve, sur de petites études. Les traitements non médicamenteux, par exemple l’acupuncture (4,5) sont souvent évalués uniquement versus placebo, ce qui ne nous permet guère de les placer dans une stratégie thérapeutique. Rappelons aussi, comme le font les auteurs, qu’il n’est pas possible d’affirmer que l’efficacité du traitement est indépendante de son effet antidépresseur.

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse de bonne qualité repose sur de petites études originales de (très) faible qualité méthodologique et fort hétérogènes ; les conclusions sont donc d’un très faible niveau de preuve. Elle montre une plus grande efficacité des antidépresseurs tricycliques dans le traitement prophylactique des migraines et des céphalées de tension versus placebo et versus ISRS (preuves très faibles). Pour les comparaisons versus d’autres traitements non médicamenteux, les données sont insuffisantes pour pouvoir conclure.

 

 

Pour la pratique

Dans le guideline de SIGN (6), les antidépresseurs tricycliques (amitriptyline 25-150 mg/j (Niveau de Recommandation (NR) SIGN B), et la venlafaxine 75-150 mg/j (NR B)) sont recommandés en prophylaxie des crises de migraine tout comme les bêta-bloquants, le topiramate et le valproate. Pour les céphalées de tension, c’est l’amitriptyline 25-150 mg/j qui est recommandée (NR A).

Le consensus de l’INAMI sur la migraine (7) recommande en première intention (GRADE A) le métoprolol ou le propranolol, la flunarizine, l’acide valproïque et le topiramate, et en deuxième intention, l’amitriptyline (50-150 mg/j) (ou naproxène, pétasite ou bisoprolol). Minerva a émis des réserves quant à l’intérêt d'extrait de pétasite officinale dans cette indication (8). Cette méta-analyse-ci ne modifie pas les recommandations en ce qui concerne les antidépresseurs tricycliques (amitriptyline essentiellement).

 

 

Références

  1. Rasmussen BK. Epidemiology of headache. Cephalalgia 2001;21:774-7.
  2. Bartholomeeusen S, Truyers C, Buntinx F. Ziekten in de huisartspraktijk in Vlaanderen (1994-2008). Acco, Leuven 2010.
  3. Moja PL, Cusi C, Sterzi RR, Canepari C. Selective serotonin re-uptake inhibitors for preventing migraine and tension-type headaches. Cochrane Database Syst Rev 2005, Issue 3.
  4. Vickers AJ, Rees RW, Zollman CE, et al. Acupuncture for chronic headache in primary care: large, pragmatic, randomised trial. BMJ 2004;328:744-9.
  5. Christiaens T. Efficacité de l'acupuncture dans les céphalées chroniques ? MinervaF 2005;4(9):132-3.
  6. SIGN. Diagnosis and management of headache in adults. A national clinical guideline. Nov 2008.
  7. Consensus INAMI. L’usage efficient des médicaments dans le traitement de la migraine. 26 novembre 2009.
  8. Laekeman G. Extrait de pétasite officinale contre la migraine ? MinervaF 2005;4(9):134-5.
Antidépresseurs et céphalées chroniques



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