Analyse


La thérapie comportementale cognitive numérique pour l’insomnie a-t-elle aussi des effets positifs sur les capacités fonctionnelles en journée, sur le bien-être psychologique et sur la qualité de vie ?


15 07 2019

Professions de santé

Ergothérapeute, Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Espie CA, Emsley R, Kyle SD, et al Effect of digital cognitive behavioral therapy for insomnia on health, psychological well-being, and sleep-related quality of life: a randomized clinical trial. JAMA Psychiatry 2018. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2018.2745


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée montre que la thérapie comportementale cognitive proposée par voie numérique, comparée à une éducation sur l’hygiène du sommeil, améliore de manière statistiquement significative les capacités fonctionnelles en journée, le bien-être psychologique et la qualité de vie liée au sommeil des personnes souffrant d’insomnie qui ont été recrutées en ligne. Du fait d’une mauvaise observance, il est difficile d’évaluer correctement la pertinence clinique du résultat par rapport à d’autres approches de thérapie comportementale.


Que disent les guides de pratique clinique ?
La thérapie comportementale cognitive est le traitement de choix en cas d’insomnie. Cette thérapie combine des interventions comportementales (relaxation, contrôle des stimulus et restriction du sommeil) et des interventions cognitives (portant sur les inquiétudes et les fonctions cognitives liées au sommeil). Moyennant une formation, le médecin généraliste peut aussi appliquer cette thérapie dans la majorité des formes d’insomnie. L’étude randomisée contrôlée décrite plus haut nous permet de conclure que la thérapie comportementale cognitive proposée par voie numérique peut améliorer non seulement le sommeil mais aussi les capacités fonctionnelles en journée, le bien-être psychologique et la qualité de vie. Ces résultats montrent à nouveau l’utilité de la thérapie comportementale cognitive en cas d’insomnie. Il est pourtant souhaitable de poursuivre la recherche pour évaluer correctement l’effet sur ces critères de jugement cliniquement pertinents lorsque la thérapie comportementale cognitive en face-à-face est recommandée aux patients qui consultent pour insomnie.



Minerva a déjà traité à plusieurs reprises l’approche non médicamenteuse de l’insomnie (1-8). Nous avons ainsi conclu, sur la base de deux études randomisées contrôlées, que la thérapie comportementale cognitive apportait une plus-value après six mois sur le plan des paramètres du sommeil, subjectifs et objectifs, par comparaison avec un traitement médicamenteux (1,2) ainsi que par comparaison avec la thérapie par relaxation ou avec un placebo (3,4). Une étude randomisée contrôlée plus récente, menée en première ligne, conçue correctement d’un point de vue méthodologique, a montré qu’une forme simplifiée de thérapie comportementale cognitive appliquant la restriction de sommeil apportait, après six mois, une amélioration plus importante de la qualité du sommeil que seulement des recommandations relatives au sommeil, et ce de manière statistiquement significative (5,6). Une synthèse méthodique a également montré sur le long terme une amélioration plus importante des paramètres du sommeil, objectifs et subjectifs, avec la thérapie comportementale cognitive par comparaison avec des benzodiazépines (9). Malgré ces résultats positifs sur le plan des symptômes nocturnes, il reste à savoir dans quelle mesure la thérapie comportementale cognitive a aussi une influence positive sur les capacités fonctionnelles en journée. En effet, le diagnostic d’insomnie implique non seulement une réduction du sommeil, mais aussi des conséquences négatives sur les capacités fonctionnelles en journée (10). 

 

Pour cette raison, une étude randomisée clinique publiée en 2018 a examiné l’effet de la thérapie comportementale cognitive numérique proposée sur la santé fonctionnelle, sur le bien-être psychologique et sur la qualité de vie (11). En outre, la question de savoir dans quelle mesure une amélioration des capacités fonctionnelles en journée était associée à des progrès « nocturnes » a été étudiée. 1711 participants ont été inclus, dont 77,7% de sexe féminin, ayant 48 ans en moyenne (ET 13,8 ans), souffrant d’insomnie suivant les critères DSM V. Le recrutement s’est déroulé en ligne sur invitation par courrier électronique, après redirection vers un site Web sur l’insomnie et via une annonce sur Facebook, Twitter et à la radio. Les participants ont été randomisés en deux groupes : un groupe bénéficiant d’une thérapie comportementale cognitive proposée par voie numérique (six séances de 20 minutes, consistant en informations personnalisées, soutien et conseils) (n = 853), et l’autre groupe bénéficiant d’une éducation sur l’hygiène du sommeil (n = 858). Les deux groupes ont également bénéficié de la prise en charge habituelle.

En ce qui concerne les critères de jugement principaux, par rapport à l’éducation sur l’hygiène du sommeil, une différence statistiquement significative (p < 0,001) est observée après 24 semaines avec la thérapie comportementale cognitive numérique pour la santé fonctionnelle (+1,76 point (avec IC à 95% de +1,22 à +2,30) sur l’échelle PROMIS-10), le bien-être psychologique (+2,95 points (avec IC à 95% de +2,13 à +3,76) sur l’échelle WEMWBS) et la qualité de vie liée au sommeil (-18,72 (avec IC à 95% de -22,04 à -15,4 sur l’échelle GSII). Ces avantages dans le groupe avec thérapie comportementale cognitive numérique étaient liés de manière statistiquement significative (66% à 84%) à une amélioration du sommeil. L’analyse a été effectuée en aveugle. Ces résultats doivent toutefois être nuancés. En effet, si l’efficacité de la thérapie comportementale cognitive proposée par voie numérique a déjà été observée, comme dans la synthèse méthodique de Cheng publiée en 2012 (12), il a également été montré qu’un pourcentage important de patients arrêtent cette thérapie prématurément (13). Dans l’étude analysée ici, seulement 58% des participants ont participé à au moins 4 séances de thérapie comportementale cognitive numérique. Nous pouvons donc nous demander si de meilleurs résultats seraient obtenus avec une meilleure observance du traitement par thérapie comportementale cognitive en face-à-face chez des patients recrutés par les prestataires de soins.

 

Conclusion

Cette étude randomisée contrôlée montre que la thérapie comportementale cognitive proposée par voie numérique, comparée à une éducation sur l’hygiène du sommeil, améliore de manière statistiquement significative les capacités fonctionnelles en journée, le bien-être psychologique et la qualité de vie liée au sommeil des personnes souffrant d’insomnie qui ont été recrutées en ligne. Du fait d’une mauvaise observance, il est difficile d’évaluer correctement la pertinence clinique du résultat par rapport à d’autres approches de thérapie comportementale.

 

Pour la pratique

La thérapie comportementale cognitive est le traitement de choix en cas d’insomnie (10). Cette thérapie combine des interventions comportementales (relaxation, contrôle des stimulus et restriction du sommeil) et des interventions cognitives (portant sur les inquiétudes et les fonctions cognitives liées au sommeil). Moyennant une formation, le médecin généraliste peut aussi appliquer cette thérapie dans la majorité des formes d’insomnie. L’étude randomisée contrôlée décrite plus haut nous permet de conclure que la thérapie comportementale cognitive proposée par voie numérique peut améliorer non seulement le sommeil mais aussi les capacités fonctionnelles en journée, le bien-être psychologique et la qualité de vie. Ces résultats montrent à nouveau l’utilité de la thérapie comportementale cognitive en cas d’insomnie. Il est pourtant souhaitable de poursuivre la recherche pour évaluer correctement l’effet sur ces critères de jugement cliniquement pertinents lorsque la thérapie comportementale cognitive en face-à-face est recommandée aux patients qui consultent pour insomnie.

 

 

Références 

  1. Declercq T. De behandeling van slapeloosheid bij ouderen. Minerva 2000;29(1):70.
  2. Morin CM, Colecchi C, Stone J, et al. Behavioral and pharmacological therapies for late-life insomnia. JAMA 1999;281:991-9. DOI: 10.1001/jama.281.11.991
  3. Rogiers R. Cognitieve gedragstherapie bij slaapstoornissen. Minerva 2002;31(5):262-4.
  4. Edinger JD, Wohlgemuth WK, Radtke RA, et al. Cognitive behavioral therapy for treatment of chronic primary insomnia. A randomized controlled trial. JAMA 2001;285:1856-64. DOI: 10.1001/jama.285.14.1856
  5. Declercq T. Forme simplifiée de restriction de sommeil comme traitement de l’insomnie en première ligne de soins ? MinervaF 2016;15(6):136-9
  6. Falloon K, Elley CR, Fernando A 3rd, et al. Simplified sleep restriction for insomnia in general practice. Br J Gen Pract 2015;65:e508-15. DOI: 10.3399/bjgp15X686137
  7. Declercq T, Poelman T. Écouter de la musique pour vaincre l’insomnie ? MinervaF 2017;16(6):146-9.
  8. Jespersen KV, Koenig J, Jennum P, Vuust P. Music for insomnia in adults. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 8. DOI: 10.1002/14651858.CD010459.pub2
  9. Mitchell MD, Gehrman P, Perlis M, Umscheid CA. Comparative effectiveness of cognitive behavioral therapy for insomnia: a systematic review. BMC Fam Pract 2012;13:40. DOI: 10.1186/1471-2296-13-40
  10. Cloetens H, Declercq T, Habraken H, et al. Guide de pratique clinique sur la prise en charge des problèmes de sommeil et de l’insomnie chez l’adulte en première ligne. Groupe de travail pour le développement des recommandations de première ligne de l’EBPracticeNet 2018.
  11. Espie CA, Emsley R, Kyle SD, et al. Effect of digital cognitive behavioral therapy for insomnia on health, psychological well-being, and sleep-related quality of life: a randomized clinical trial. JAMA Psychiatry 2018. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2018.2745
  12. Cheng S, Dizon J. Computerised cognitive behavioural therapy for insomnia: a systematic review and meta-analysis. Psychother Psychosom 2012;81:206-16. DOI: 10.1159/000335379
  13. Horsch C, Lancee J, Beun R, et al. Adherence to technology-mediated insomnia treatment: a meta-analysis, interviews, and focus groups. J Med Internet Res 2015;17:e214. DOI: 10.2196/jmir.4115

 




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