Revue d'Evidence-Based Medicine
Forme simplifiée de restriction de sommeil comme traitement de l’insomnie en première ligne de soins ?
Contexte
La thérapie comportementale et cognitive a fait la preuve de son efficacité comme traitement de l’insomnie (1). Le manque de temps et la nécessité d’une formation pour les professionnels de santé pourraient restreindre l’application de cette approche thérapeutique en pratique de première ligne de soins. La restriction de sommeil est une technique qui, dans le cadre de la thérapie comportementale et cognitive, vise à rétablir le rythme du sommeil interrompu. En réduisant le temps passé au lit, une forme légère de privation de sommeil est induite et doit déclencher le stimulus endogène favorisant le sommeil (2).
Résumé
Population étudiée
- 97 patients adultes âgés de 16 à 75 ans répartis en 2 groupes (intervention vs contrôle) : âge moyen de 52 et 55 ans respectivement ; 71 et 85% étant de sexe féminin
- critères d’inclusion : patients atteints d’insomnie primaire depuis plus de 6 mois (en moyenne de 14 et 15 ans respectivement), recrutés dans 14 cabinets de médecine générale à Auckland, Nouvelle-Zélande
- critères d’exclusion : syndrome d’apnées du sommeil, insomnie secondaire à des problèmes psychiques ou à une comorbidité importante, prise de somnifères au cours des 2 semaines précédant la randomisation.
Protocole de l’étude
Étude randomisée contrôlée avec deux groupes en parallèle
- le groupe intervention (n = 46) a reçu des conseils d’hygiène du sommeil donnés oralement (notamment : éviter la caféine, se détendre avant d’aller dormir et établir un schéma d’activités rituelles à suivre avant le coucher) plus des instructions verbales et écrites se basant sur un agenda du sommeil que le patient avait tenu au préalable durant 2 semaines, lui indiquant le temps qu’il était autorisé à passer au lit (à savoir le temps de sommeil moyen additionné de la moitié du temps passé au lit sans dormir, la durée totale qu’il peut passer au lit ne pouvant être inférieure à 5 heures) ; après 2 semaines, le temps que le patient était autorisé à passer au lit a été réduit à la durée moyenne de sommeil + 30 minutes (s’il dormait moins de 85% du temps passé au lit) ou bien il a été allongé de 30 minutes (si le patient se sentait très somnolent pendant la journée) ; l’heure de lever a toujours été maintenue constante ; ensuite, les patients ont reçu un calendrier à suivre pour adapter eux-mêmes leur rythme de sommeil toutes les 2 semaines
- le groupe témoin (n = 51) a reçu uniquement des conseils d’hygiène du sommeil donnés oralement et a été revu après 2 semaines pour parler de la mise en place des recommandations.
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires :
- changement de la qualité du sommeil évalué par la différence quant à la modification des scores PSQI (Pittsburgh Sleep Quality Index) et ISI (Insomnia Severity Index) après 3 et 6 mois
- modification de l’efficacité du sommeil, rapport du temps de sommeil total sur le temps passé au lit multiplié par 100 (à la fois d’après les données obtenues grâce à l’agenda du sommeil et d’après l’actimétrie*) après 6 mois
- critères de jugement secondaires calculés au t0 et après 6 mois :
- latence d’apparition du sommeil (Sleep Onset Latency, SOL) : délai entre l’heure du coucher et l’endormissement
- Wakefulness After Sleep Onset (WASO) : temps total d’éveil après l’endormissement et sommeil total (à la fois d’après les données obtenues grâce à l’agenda du sommeil et d’après l’actimétrie)
- somnolence durant la journée mesurée au moyen de l’échelle de somnolence d’Epworth (Epworth Sleepiness Scale, ESS)
- fatigue mesurée au moyen de l’échelle « Flinders Fatigue Scale »
- dépression mesurée à l’aide du PHQ-9 (Patient Health Questionnaire)
- angoisse mesurée à l’aide du GAD-7 (Generalized Anxiety Disorders)
- effets indésirables après 2 semaines et après 3 et 6 mois
- analyse des différences quant aux modifications des scores PSQI et ISI selon le modèle mixte
- analyse en intention de traiter et correction pour tenir compte de l’âge, du sexe et de la sévérité de l’insomnie (en fonction du score ISI en début d’étude).
Résultats
- versus groupe témoin, le groupe intervention a présenté une amélioration statistiquement significative :
- du score PSQI : -2,14 (avec IC à 95% de -3,15 à -1,13 ; p < 0,0001) et du score ISI : -2,50 (avec IC à 95% de -3,97 à -1,03 ; p = 0,001)
- de l’efficacité du sommeil : 2,22% (avec IC à 95% de 0,65 à 3,79) et de la latence d’apparition du sommeil : -6,13 minutes (avec IC à 95% de -11,82 à -0,44), ces deux derniers d’après l’actimétrie uniquement de la fatigue : -2,27 (avec IC à 95% de -4,42 à -0,13 ; p = 0,04)
- pas de différence statistiquement significative entre les 2 groupes quant à l’efficacité du sommeil d’après les données de l’agenda du sommeil ni quant aux autres critères de jugement secondaires
- après 6 mois, 2 participants du groupe intervention et 10 du groupe contrôle prenaient un somnifère au moins 3 fois par semaine
- aucun effet indésirable dans le groupe intervention après 2 semaines ; pas de nette différence entre les 2 groupes quant aux effets indésirables pendant toute la durée de l’étude.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que la restriction de sommeil chez les adultes atteints d’insomnie primaire sans comorbidité est une intervention courte et efficace applicable en médecine générale.
Financement de l’étude
Plusieurs organisations indépendantes de Nouvelle-Zélande.
Conflit d’intérêts des auteurs
Aucun n’est signalé.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Un des points forts de cette étude pragmatique est que les patients ont été recrutés dans des cabinets de médecine générale et que ce sont des médecins généralistes n’ayant pas de formation spécifique en thérapie comportementale pour le traitement des troubles du sommeil qui ont suivi des patients au cours de 2 consultations légèrement plus longues (augmentation moyenne inférieure à 20 minutes) (3). Par contre, il y a eu une (très) forte sélection des participants. Le recrutement a été effectué par l’envoi de 30000 lettres, auxquelles 2740 patients ont répondu positivement. Parmi les 1302 personnes qui satisfaisaient aux critères généraux d’insomnie, 720 ont accepté de remplir un questionnaire plus approfondi, de participer à une étude clinique et de tenir un agenda du sommeil. En fin de compte, seulement 97 personnes remplissaient les critères d’inclusion et d’exclusion, ce qui était tout juste suffisant pour la taille d’échantillon prévue. La randomisation a été effectuée par un ordinateur. L’intervention ne pouvait avoir lieu strictement en aveugle ; toutefois, les participants ne savaient pas quel type de recommandations relatives au sommeil ils recevraient. Il est regrettable que, pour une question de budget, l’évaluation de l’efficacité, réalisée par un assistant de l’étude, n’ait été effectuée en aveugle que pour 40% des participants. Les autres participants ont été évalués par le médecin généraliste en charge du traitement. Néanmoins, il a été possible de bien limiter le risque de biais d'information en recourant à des questionnaires auxquels les patients eux-mêmes répondaient et en utilisant des instruments de mesure objectifs. La mesure des paramètres du sommeil, tant subjectifs (au moyen d’échelles validées) qu’objectifs (par l’actimétrie), ainsi que l’évaluation de la fatigue et de la somnolence durant la journée (au moyen d’échelles validées) contribuent également à l’évaluation de la pertinence clinique de cette étude. Les critères de jugement utilisés sont les critères recommandés au niveau international pour les études du sommeil. L’utilisation de plusieurs critères de jugement a toutefois accru le risque d’erreur de type I. Mais, comme seulement 2 critères de jugement primaires ont été définis (score PSQI et score ISI), pour lesquels une amélioration significative a pu être mise en évidence, le risque qu’une erreur de type I ait été commise est réduit. Enfin, en mesurant les effets indésirables (entre autres la survenue d’accidents de la circulation, des hospitalisations, de la somnolence au volant) et en calculant la prise de somnifères, l’appréciation de la balance bénéfice-risque de cette intervention est possible.
Interprétation des résultats
Chez des patients présentant une insomnie primaire, la forme simplifiée de restriction de sommeil appliquée par les médecins généralistes durant 2 brèves consultations a apporté, après 6 mois, une amélioration statistiquement significative de la qualité du sommeil, versus les seules recommandations d’hygiène du sommeil. Après 6 mois, une amélioration cliniquement pertinente du score PSQI (d’au moins 3 points) (4) et du score ISI (d’au moins 6 points) (5,6) a été observée uniquement dans le groupe intervention dont 67% des participants ont présenté une réponse (amélioration du score PSQI ≥ 3 points ou augmentation de l’efficacité du sommeil (d’après l’agenda de sommeil) de ≥ 10%) ou une rémission (critères pour une réponse + score PSQI final < 5 points et efficacité du sommeil > 85%), contre 41% dans le groupe témoin, le nombre de sujets à traiter (NNT) étant donc égal à 4 (avec IC à 95% de 2,0 à 19,0) (5).
On ne sait toutefois pas quelle est la pertinence clinique d’une différence de 2,14 points au score PSQI et de 2,50 points au score ISI (avec score maximal de respectivement 21 et 28 points) entre les 2 groupes. Néanmoins, cette différence se retrouve dans certains critères de jugement secondaires comme la fatigue, mais curieusement pas dans la somnolence durant la journée. On ne sait pas non plus pourquoi il n’a pas été possible de mesurer une différence statistiquement significative quant à l’efficacité du sommeil et quant à la latence d’apparition du sommeil (SOL), mesurée à partir d’un agenda du sommeil, ni quant au temps total d’éveil après l’endormissement (WASO) et au temps de sommeil total, dont la mesure a été obtenue tant à partir d’un agenda du sommeil que de manière objective par actimétrie. Les auteurs suggèrent même que le score PSQI et le score ISI, en tant que mesures (subjectives) de la qualité globale du sommeil, seraient peut-être plus sensibles aux modifications et reflèteraient mieux l’insomnie subjective que la mesure des minutes durant lesquelles les personnes sont couchées en étant éveillées ou en dormant. D’après certains investigateurs, les patients seraient en effet déjà satisfaits avec une amélioration des résultats fonctionnels (comme la somnolence durant la journée) même si leur sommeil ne s’est pas parfaitement normalisé (7).
Il se pourrait que les instructions données par écrit concernant le sommeil et la restriction de sommeil avec un algorithme adapté aient contribué au résultat favorable de l’étude. Par ailleurs, étant donné que, lors du recrutement des participants, il n’y a pas eu de sélection par polysomnographie, il se peut aussi que certains patients n’ayant pas répondu à l’intervention étaient atteints d’apnées du sommeil.
L’insomnie étant une affection chronique, elle aurait nécessité un suivi plus long pour montrer si le résultat obtenu était durable et pour vérifier si la prise de somnifères avait diminué. Enfin, nous devons encore souligner qu’il s’agit d’une forte sélection des participants, ce qui fait qu’il est difficile de généraliser les résultats de cette étude.
Autres études
Les résultats de cette étude correspondent à ceux d’autres études qui ont examiné l’effet de brèves interventions thérapeutiques comportementales à l’usage des généralistes pour le traitement de l’insomnie (8-10).
Conclusion de Minerva
Cette étude clinique randomisée, conçue correctement d’un point de vue méthodologique, montre qu’une forme simplifiée de thérapie comportementale cognitive appliquant la restriction de sommeil en première ligne de soins montre, après 6 mois, une amélioration plus importante, et ce de manière statistiquement significative, de la qualité du sommeil versus des recommandations relatives à l’hygiène du sommeil seules. Cependant ni la pertinence clinique de l’effet, ni la durabilité, ni la possibilité de généraliser les conclusions ne sont correctement évaluables actuellement.
Pour la pratique
Le médecin généraliste joue un rôle clef dans la prise en charge de l’insomnie (11). La recommandation de Domus Medica concernant l’insomnie (12) propose que dans toutes les situations ne nécessitant pas la prise d’un somnifère, des interventions non médicamenteuses (contrôle du stimulus et traitements comportementaux cognitifs dont l’efficacité et l’applicabilité sont prouvées) soient appliquées.
Offrir aux patients atteints d’insomnie primaire chronique des interventions non pharmacologiques de courte durée qui soient efficaces et réalisables reste un défi pour les médecins généralistes. Les patients dont les capacités fonctionnelles sont bonnes en cours de journée peuvent tirer avantage de techniques qui consolident le sommeil (comme la restriction de sommeil). La restriction de sommeil est une technique de thérapie comportementale et cognitive qui consiste à réduire le temps passé au lit que l’on accorde au patient. L’heure habituelle du coucher du patient est retardée de manière à réduire le temps passé au lit pour le faire coïncider avec le temps réel de sommeil. Lorsque l’efficacité du sommeil est suffisante (amélioration à 80-90% de l’indice d’efficacité du sommeil (IES) (rapport entre le nombre d’heures de sommeil réel et le nombre d’heures passées au lit multiplié par 100)), le patient se couchera graduellement 15 minutes plus tôt (12)). L’évaluation de la pertinence clinique, de la durabilité et de la possibilité de généraliser cette intervention à une population large doit encore faire l’objet d’études ultérieures.
*Actimétrie : un actimètre est un petit appareil qui se porte au poignet et qui enregistre tous les mouvements. Sachant qu’il existe une excellente corrélation entre le rythme activité-repos et le rythme veille-sommeil, cet appareil donne une excellente indication sur les horaires de sommeil.
Références
- Alessi C, Vitiello MV. Insomnia (primary) in older people: non-drug treatments. BMJ Clin Evid 2015;2015:pii:2302.
- Spielman AJ, Saskin P, Thorpy MJ. Treatment of chronic insomnia by restriction of time in bed. Sleep 1987;10:45-56
- Michiels B. Quelle est la grande particularité des essais cliniques pragmatiques ? MinervaF 2014;13(10):129.
- Buysse DJ, Reynolds CF 3rd, Monk TH, et al. The Pittsburgh Sleep Quality Index: a new instrument for psychiatric practice and research. Psychiatry Res 1989;28:193-213.
- Bastien CH, Vallières A, Morin CM. Validation of the Insomnia Severity Index as an outcome measure for insomnia research. Sleep Med 2001;2:297-307.
- Yang M, Morin CM, Schaefer K, Wallenstein GV. Interpreting score differences in the Insomnia Severity Index: using health-related outcomes to define the minimally important difference. Curr Med Res Opin 2009;25:2487-94.
- Aikens JE, Rouse ME. Help-seeking for insomnia among adult patients in primary care. J Am Board Fam Pract 2005;18:257-61.
- Edinger JD, Sampson WS. A primary care "friendly" cognitive behavioral insomnia therapy. Sleep 2003;26:177-82.
- Espie CA, MacMahon KM, Kelly HL, et al. Randomized clinical effectiveness trial of nurse-administered small-group cognitive behavior therapy for persistent insomnia in general practice. Sleep 2007;30:574-84.
- Buysse DJ, Germain A, Moul DE, et al. Efficacy of brief behavioral treatment for chronic insomnia in older adults. Arch Intern Med 2011;171:887-95.
- Declercq T, Habraken H. Sédatifs chez les personnes âgées insomniaques. MinervaF 2006;5(8):124-6.
- Declercq T, Rogiers R, Habraken H, et al. Aanpak van slapeloosheid in de eerste lijn. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Domus Medica 2005/01 (met update 2011).
Auteurs
Declercq T.
huisarts ; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
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