Analyse


Approches pharmacologiques dans la prise en charge des troubles paniques : quel traitement favoriser ?


17 02 2025

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue
Analyse de
Guaiana G, Meader N, Barbui C, et al. Pharmacological treatments in panic disorder in adults: a network meta-analysis. Cochrane Database Syst Rev 2023, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD012729.pub3


Question clinique
Chez la personne adulte souffrant de troubles paniques (avec ou sans agoraphobie), quels sont les traitements pharmacologiques et les classes de traitements pharmacologiques à favoriser ?


Conclusion
Cette méta-analyse en réseau montre que la plupart des traitements évalués sont efficaces dans la prise en charge des troubles paniques, avec une plus grande efficacité pour le diazépam, l’alprazolam, et le clonazépam. Cette méta-analyse est de bonne qualité méthodologique mais est basée sur des études originales présentant des risques de biais incertains ou élevés. De plus, la sélection des participants dans les études incluses rend l’utilisation des résultats dans une population clinique classique incertaine, et le manque d’évaluation des traitements à long terme limite l’implication de ces résultats.


Contexte

Une attaque de panique a été définie par le DSM V comme une peur ou un inconfort intense, qui atteint son paroxysme sous une période de 10 minutes, et qui est accompagné de différents symptômes tels que palpitation, transpiration, tremblement, sentiment d’étouffement, douleurs de poitrine, nausée, ou encore peur de mourir (1). Un diagnostic de trouble panique peut être posé quand une personne souffre d’attaques paniques récurrentes, dont au moins une est suivie d’une inquiétude persistante d’avoir une nouvelle attaque, d’une inquiétude concernant les conséquences d’une attaque de panique, ou d’un changement de comportement lié aux attaques paniques. Pour un quart des patients, les troubles paniques sont accompagnées d’agoraphobie (1). La prévalence à 12 mois des troubles paniques dans la population générale est estimée entre 0,8 et 2,7% (2) et serait plus importante avec l’âge, chez les femmes, et chez les personnes ayant peu de ressources économiques (2). Les patients atteints de troubles paniques en sont souvent impactés dans leur travail, leurs études, ou leur vie privée (3). La prise en charge de cette pathologie est donc un problème de santé publique. Le traitement inclus généralement une combinaison d’approches pharmacologiques et non pharmacologiques (3). En 2007, la revue Minerva s’était penchée sur l’efficacité de la thérapie cognitivo-comportementale dans les troubles paniques (4,5). En 2023, Minerva avait également évalué une méta-analyse en réseau et concluait que le traitement pharmacologique du trouble panique par les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine était associé à un taux élevé de rémission et à un faible risque d’effets indésirables par rapport aux autres psychotropes (6,7). Dans ce contexte, il est donc intéressant de voir si les nouvelles évidences disponibles restent en accord avec ces conclusions (3). 

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Méta-analyse en réseau réalisée par le groupe Cochrane dédié aux troubles mentaux communs.

 

Sources consultées

  • bases de données électroniques
    • Cochrane, de la date de création au 26 mai 2022
    • CENTRAL 2022, issue 5
    • Ovid MEDLINE, de 2014 au 26 mai 2022
    • Ovid Embase, de 2014 à la deuxième semaine de mai 2022
    • Ovid PsycINFO, de 2014 à la deuxième semaine de mai 2022
  • sites d’enregistrement pour les essais cliniques :
    • ClinicalTrials.gov
    • World Health Organization International Clinical Trials Registry Platform
  • références des études incluses.

 

Etudes sélectionnées

  • traitements étudiés : cette méta-analyse en réseau est centrée sur les benzodiazépines et les antidépresseurs ; plus spécifiquement, les traitements étudiés sont les benzodiazépines (BZD), les antidépresseurs tricycliques (ATC), les inhibiteurs de mono-amine oxydase (IMAO), les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et noradrénaline (IRSN) ; d’autres traitements comme les azapirones, les gabapentinoïdes, les anticonvulsivants, les bêtabloquants et l’inositol ont aussi été évalués mais ne sont pas au centre de cette review
  • critères d’inclusion : 
    • études randomisées contrôlées comparant un des traitements étudiés soit à un des autres traitements étudiés, soit à un placebo
    • études réalisées en ambulatoires, à l’hôpital, ou en soins de première ligne
  • critères d’exclusion : 
    • études de la prévention des rechutes, études de l’évaluation d’un traitement après induction d’une crise de panique, études avec traitement concomitant par psychothérapie, études comparant des interventions psychosociales, études quasi-randomisées
  • au total, 70 études ont été incluses dans cette méta-analyse en réseau ; la taille des échantillons variait entre 5 et 445 participants dans chaque groupe, et la taille totale de l'échantillon par étude variait entre 10 et 1168 ; trente-cinq études comprenaient des échantillons de plus de 100 participants ; 29 essais n'ont recruté que des patients externes, trois essais n'ont recruté que des patients hospitalisés et trois essais ont recruté à la fois des patients hospitalisés et externes ; pour les 35 essais restants, le contexte n'était pas clair ; 33 essais ont été menés aux États-Unis, 4 au Canada, 3 au Brésil, 4 aux Pays-Bas, 2 en Italie, 2 au Royaume-Uni, 1 en Finlande, 2 en Chine et 4 au Japon ; 13 essais étaient multinationaux et 2 n'ont pas fourni d'informations sur le pays.

 

Population étudiée

  • adultes âgés de 18 ans ou plus, avec un diagnostic de troubles paniques, avec ou sans agoraphobie ; le diagnostic était réalisé selon le DSM-III-R, le DSM-IV, l’ICD-10, ou le DSM-5
  • les études réalisées pour une population ayant un autre diagnostic psychiatrique concomitant étaient exclues 
  • au total, 12703 patients ont été inclus ; la proportion de femmes variait entre 40% et 90% ; l’âge moyen des participants variait entre 32 et 46 ans.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires :
    • réponse au traitement (c’est-à-dire une amélioration substantielle, telle que définie par les études primaires)
    • nombre total d’arrêt du traitement (toutes raisons confondues)
  • critères de jugement secondaires :
    • rémission
    • échelles de la sévérité des symptômes de panique
    • fréquence des attaques paniques
    • symptômes d’agoraphobie
  • des seuils ont été définis a priori pour accepter un effet cliniquement important : OR de 0,67 et OR de 1,50 pour les comparaisons avec le placebo pour les critères de jugement primaires.

 

Résultats 

  • les résultats montrent que : pour la réponse au traitement (N = 48 ; n = 10118) : 
    • une différence était statistiquement significative pour les traitements suivants :
      • diazépam (RR de 0,65, avec IC à 95% de 0,28 à 0,96)
      • alprazolam (RR de 0,68 avec IC à 95% de 0,39 à 0,92)
      • clonazépam (RR de 0,71 avec IC à 95% de 0,41 à 0,94)
      • paroxétine (RR de 0,85 avec IC à 95% de 0,64 à 0,97)
      • venlafaxine (RR de 0,84 avec IC à 95% de 0,60 à 0,97)
      • clomipramine (RR de 0,85 avec 95% IC à 95% de 0,58 à 0,99)
    • les autres molécules ne montrent pas de résultats statistiquement significatifs versus placebo
    • lorsque les résultats étaient analysés par classe de médicament, toutes les classes étaient plus efficaces qu’un traitement placebo, de manière statistiquement significative (ISRS, IRSN, ATC, IMAO, BZD)
  • pour le taux d’arrêt du traitement (N = 64 ; n = 12310) :
    • la plupart des traitements étaient associés à un taux d’arrêt du traitement réduit ou similaire ; cette réduction était statistiquement significative pour les traitements suivants :
      • alprazolam (RR de 0,46 avec IC à 95% de 0,33 à 0,65)
      • diazépam (RR de 0,50 avec IC à 95% de 0,23 à 0,91)
    • lorsque les résultats étaient analysés par classe de médicament, seules les BZD avait un risque d’arrêt du traitement réduit par rapport au placebo 
  • pour les mesures secondaires :
    • la plupart des traitements étaient efficaces (de manière statistiquement significative) en termes de rémission
    • le brofaromine, le clonazépam et la réboxétine étaient associés à une réduction importante des symptômes de panique
    • seuls la desipramine, le clonazépam et l’alprazolam étaient significativement associés à une réduction de la fréquence des attaques de panique
    • le citalopram, la paroxétine, l’escitalopram, la clomipramine, et le diazépam étaient associés à une réduction moyenne à importante des symptômes d’agoraphobie.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’en termes d’efficacité, les ISRS, IRNS, ATC, IMAO, et BZD peuvent être efficaces, avec peu de différence entre les classes. Il est cependant important de noter que la fiabilité de ces résultats pourrait être limitée en raison d’une faible qualité des études, toutes ayant un risque de biais élevé ou incertain pour plusieurs domaines. Au sein des classes de médicaments, des différences sont apparues. Par exemple, au sein des ISRS, la paroxétine et la fluoxétine semblent avoir des plus grandes preuves d’efficacité que la sertraline. Les BZD semblent avoir un avantage faible mais significatif en termes de tolérance en comparaison aux autres classes. 

 

Financement de l’étude

L’étude n’a pas reçu de financement extérieur ; les auteurs sont en revanche financés par leurs diverses universités et par l’institut national pour la recherche sur la santé et les soins (Royaume-Uni).

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Certains auteurs rapportent des conflits d’intérêt relatifs à des collaborations avec plusieurs firmes pharmaceutiques ou des associations nationales ou internationales liées aux médicaments, aux soins ou aux troubles mentaux. 

 

 

Discussion 

 

Évaluation de la méthodologie

Cette méta-analyse en réseau a plusieurs points forts méthodologiques. Tout d’abord, la stratégie de recherche d’évidences est assez complète, avec 7 bases de données consultées, ainsi que des plateformes d’enregistrement d’études. Deux chercheurs ont réalisé de manière indépendante la sélection et l’extraction des données, ainsi que l’évaluation des biais des études incluses. Les études incluses étaient toutes des études randomisées contrôlées en double-aveugle, qui correspondent donc à un niveau de preuve élevé. De plus, bien que la majorité des études incluses comparaient un traitement à un placebo, certaines études ont directement comparé des benzodiazépines aux antidépresseurs, des antidépresseurs entre eux, ou des benzodiazépines entre elles. Les résultats ne reposent donc pas uniquement sur des comparaisons indirectes. Cependant, la validité des résultats de cette méta-analyse pourrait être impactée par des faiblesses liées aux études incluses en elles-mêmes. En effet, toutes les études incluses avaient un risque de biais incertain ou élevé pour plusieurs des critères analysés. Il faut également noter que ces études étaient parfois réalisées sur de très petites populations (avec un minimum de 10 participants et 5 par bras de l’étude). Enfin l’hétérogénéité marquée des études dont les résultats ont été regroupés peut aussi avoir impacté la fiabilité des résultats. Toutefois, les auteurs rapportent que des analyses de seuil, prédéfinies au début de l’étude, montrent que les résultats de cette méta-analyse sont relativement robustes quant à l’impact de potentiel biais.  

 

Évaluation des résultats

La pertinence des résultats de cette étude dans notre contexte de soins belges est discutable, avec des points négatifs et des points positifs. Tout d’abord, les populations incluses dans les études éteint très sélectionnés, avec une exclusion des patients avec autres pathologies psychiatriques concomitantes, ou prenant d’autres médicaments. Ces patients ne sont donc probablement pas représentatifs des patients rencontrés par nos professionnels de santé au quotidien. De plus, une importante partie des études incluses étaient réalisées en Amérique du Nord, et un faible nombre d’études ont été réalisées en Europe. La transférabilité des résultats à un contexte belge n’est, de ce fait, pas assurée. La durée des études incluses variait de 4 à 24 semaines. Sachant que la durée de traitement recommandée pour les troubles paniques est de 12 à 24 mois (8), des études à long terme restent manquantes pour vraiment choisir un traitement efficace et sûr pour les patients. Ceci est particulièrement pertinent pour les benzodiazépines, étant donné les inquiétudes liées à leur utilisation à long terme. Cette courte durée des études pourrait expliquer la divergence entre les résultats de la présente méta-analyse, qui met en avant l’utilisation des BZD, et les actuels guides de pratique clinique, qui recommandent les antidépresseurs comme approche pharmacologique (9).  Enfin, cette méta-analyse a inclus des études comparant des traitements pharmacologiques entre eux, ou bien à un placebo. Le traitement préconisé pour les troubles paniques étant la thérapie cognitivo-comportementale (9), ce choix de comparateur peut être discuté. Celui-ci permet toutefois de limiter l’hétérogénéité des études incluses.  
Pour ce qui est des points positifs, les critères d’évaluation utilisés dans cette étude sont des critères forts, c’est-à-dire qui impactent le quotidien des patients (amélioration des symptômes, fréquence des attaques paniques). Les auteurs notent toutefois que les échelles utilisées pour évaluer la sévérité des symptômes ont des limitations, et que des échelles plus récentes permettent de mieux capturer différents aspects des troubles paniques. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ? 

Le guide de pratique de NICE (en provenance du Royaume-Uni et mise à jour en 2020) sur la prise en charge des troubles paniques préconise le recours à une thérapie cognitivo-comportementale, ou (en cas d’échec ou de refus du patient) à un antidépresseur. Ce GPC précise que les antidépresseurs sont la seule approche pharmacologique à considérer à long terme et que les BZD sont associées à de moins bons résultats à long terme (9). 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse en réseau montre que la plupart des traitements évalués sont efficaces dans la prise en charge des troubles paniques, avec une plus grande efficacité pour le diazépam, l’alprazolam, et le clonazépam. Cette méta-analyse est de bonne qualité méthodologique mais est basée sur des études originales présentant des risques de biais incertains ou élevés. De plus, la sélection des participants dans les études incluses rend l’utilisation des résultats dans une population clinique classique incertaine, et le manque d’évaluation des traitements à long terme limite l’implication de ces résultats.

 

 

 

Références 

  1. Table 3.10, Panic disorder and agoraphobia criteria changes from DSM-IV to DSM-5. Administration Substance Abuse and Mental Health Services Administration. June 2016. (Accessed December 14, 2024.) URL: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK519704/table/ch3.t10/
  2. Moreno-Peral P, Conejo-Cerón S, Motrico E, et al. Risk factors for the onset of panic and generalised anxiety disorders in the general adult population: a systematic review of cohort studies. J Affect Disord 2014;168:337-48. DOI: 10.1016/j.jad.2014.06.021
  3. Guaiana G, Meader N, Barbui C, et al. Pharmacological treatments in panic disorder in adults: a network meta-analysis. Cochrane Database Syst Rev 2023, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD012729.pub3
  4. Luyten P. Thérapie comportementale cognitive en cas de trouble panique : 2 ans de suivi. MinervaF 2007;6(5):74-6.
  5. Addis ME, Hatgis C, Cardemil E, et al. Effectiveness of cognitive-behavioral treatment for panic disorder versus treatment as usual in a managed care setting: 2-year follow-up. J Consult Clin Psychol 2006;74:377-85. DOI: 10.1037/0022-006X.74.2.377
  6. Catthoor K. L’effet de différents médicaments dans le trouble panique. Minerva Analyse 21/03/2023.
  7. Chawla N, Anothaisintawee T, Charoenrungrueangchai K, et al. Drug treatment for panic disorder with or without agoraphobia: systematic review and network meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2022;376:e066084. DOI: 10.1136/bmj-2021-066084
  8. Marchesi C. Pharmacological management of panic disorder. Neuropsychiatr Dis Treat 2008;4:93-106. DOI: 10.2147/ndt.s1557
  9. National Institute for Health and Care Excellence. Generalised anxiety disorder and panic disorder in adults: management. Clinical guideline 113. NICE, Published 26/01/2011. 

 

 




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