Revue d'Evidence-Based Medicine



Quel est l’effet à long terme de la reprise d’un traitement antiplaquettaire après une hémorragie intracérébrale ?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 4 Page 83 - 86

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Al-Shahi Salman R, Dennis MS, Sandercock PA, et al; RESTART Collaboration. Effects of antiplatelet therapy after stroke caused by intracerebral hemorrhage: extended follow-up of the RESTART Randomized Clinical Trial. JAMA Neurol 2021;78:1179-86. DOI: 10.1001/jamaneurol.2021.2956


Question clinique
Quels sont les effets à long terme de la reprise d’un traitement antiplaquettaire après une hémorragie intracérébrale ?


Conclusion
Ce suivi prolongé de l’étude randomisée RESTART confirme les premiers résultats selon lesquels la reprise du traitement antiplaquettaire en dehors de la phase aiguë après une hémorragie intracérébrale n’entraîne pas d’augmentation de nouvelles hémorragies intracérébrales symptomatiques. Cependant, en raison du manque persistant de puissance statistique, des études randomisées et contrôlées plus importantes sont nécessaires pour le confirmer.


 

Contexte

L’hémorragie intracérébrale spontanée survient, dans un cas sur trois, chez des patients qui étaient sous traitement antithrombotique en raison d’une comorbidité ou d’autres facteurs de risque cardiovasculaire (1). Parmi les patients qui survivent à une hémorragie intracérébrale, ce traitement est repris après l’hémorragie seulement dans un cas sur cinq (2), alors que ces patients présentent un risque d’infarctus du myocarde et d’AVC ischémique plus élevé que dans la population générale (3). La collaboration des auteurs d’études portant sur les antithrombotiques (Antithrombotic Trialists Collaboration, ATT) a montré que l’aspirine en prévention secondaire des maladies vasculaires thrombotiques réduisait le risque d’événements vasculaires majeurs, même s’il existe un risque accru d’hémorragie intracrânienne (4). Cependant, ces études ont exclu les patients qui avaient des antécédents d’hémorragie intracérébrale. L’étude RESTART a été la première étude randomisée qui, dans cette population de patients, a comparé le risque de récidive d’hémorragie intracérébrale par rapport à la survenue d’une thromboembolie chez des patients qui reprenaient le traitement antiplaquettaire et chez des patients qui ne le reprenaient pas (5). Cette étude a montré que la reprise du traitement antiplaquettaire après une hémorragie intracérébrale est probablement sans danger après la phase aiguë. Minerva a déjà consacré un article à l’étude RESTART en mai 2021 (6). Une limite importante était que l’étude visait à recruter 720 patients avec une période de suivi de 2 ans alors que, finalement, seulement 537 patients ont pu être randomisés, ce qui signifie que la puissance statistique visée n’a pas été atteinte. Il a donc été décidé de prolonger de 2 ans le suivi des patients pour une estimation plus précise des effets (7).

 

Résumé

Population étudiée

  • l’étude RESTART a recruté des patients dans 122 hôpitaux du Royaume-Uni entre le 22 mai 2013 et le 31 mai 2018
  • les critères d’inclusion étaient d’avoir plus de 18 ans et d’avoir survécu au moins 24 heures après une hémorragie intracérébrale spontanée ; cette hémorragie devait être confirmée par imagerie, et les patients n’étaient inclus que si, avant l’hémorragie, ils prenaient un médicament antithrombotique (anticoagulant ou antiplaquettaire) qui a été arrêté lors du diagnostic
  • après exclusion des patients qui ne répondaient pas aux critères d’inclusion (par exemple, instauration d’une héparine à faible dose, hémorragie sous-arachnoïdienne), 537 patients ont été inclus, dont l’âge médian était de 76 ans (écart interquartile (interquartile range, IQR) de 69 à 82 ans), 67% étant de sexe masculin, et qui avaient présenté une hémorragie intracérébrale 76 jours auparavant (médiane ; IQR de 29 à 146 jours).

Protocole d’étude

Étude randomisée, en ouvert, multicentrique, avec évaluation de l’effet en aveugle

  • le traitement antiplaquettaire a été instauré dans les 24 heures suivant la randomisation chez 268 patients, et 269 patients n’ont pas reçu de traitement antiplaquettaire ; le traitement antiplaquettaire comprend une ou plusieurs molécules parmi l'aspirine orale, le dipyridamole ou le clopidogrel, administrées dans les 24 heures suivant la randomisation ; les dosages sont laissés à la discrétion du soignant responsable du participant
  • après la publication des résultats en 2019, les patients ont encore été suivis annuellement pour une durée totale allant jusqu’à sept ans, le suivi se terminant le 30 novembre 2020.

Mesure des résultats

  • principal critère de jugement : une nouvelle hémorragie intracérébrale symptomatique (démontrée à la radiologie ou à l’anatomopathologie)
  • critères de jugement secondaires : hémorragie symptomatique majeure (intracrânienne et extracrânienne), événements vasculaires occlusifs majeurs (AVC ischémique, infarctus du myocarde, ischémie mésentérique, occlusion artérielle périphérique, thrombose veineuse profonde, embolie pulmonaire ou intervention de revascularisation artérielle carotidienne/coronaire/périphérique), intervention majeure de revascularisation artérielle (infarctus du myocarde non fatal, AVC ischémique/hémorragique non fatal ou décès d’origine vasculaire)
  • la comparaison entre les deux groupes a été effectuée en utilisant une courbe de survie de Kaplan-Meier et une analyse de régression de Cox
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • les patients ont été suivis pendant une durée médiane de 3 ans (IQR 2-5 ans)
  • l’observance du traitement est restée > 80% même après 5 ans de suivi
  • pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes quant à l’incidence des nouvelles hémorragies intracérébrales symptomatiques ((22 (8,2%) nouvelles hémorragies dans le groupe reprise du traitement antiplaquettaire contre 25 (9,3%) dans le groupe témoin ; HR de 0,87 avec IC à 95% de 0,49 à 1,55 ; p = 0,64) ; lors d’une nouvelle hémorragie intracérébrale symptomatique, 3 des 22 patients du groupe reprise du traitement antiplaquettaire ne prenaient pas d’antiagrégants plaquettaires, et 6 des 25 patients du groupe témoin prenaient des antiagrégants plaquettaires
  • pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes quant aux critères de jugement secondaires.

Conclusion des auteurs 

Chez les patients présentant une hémorragie intracérébrale sous traitement antiplaquettaire, les auteurs n’ont retrouvé aucun effet statistiquement significatif de la reprise de ce médicament sur la survenue d’une nouvelle hémorragie intracérébrale ou d’événements vasculaires majeurs. Ces résultats permettent aux médecins d’avoir confiance dans la reprise du traitement antiplaquettaire après une hémorragie intracérébrale s’il s’agit d’un médicament qui est indiqué pour la prévention secondaire des événements vasculaires majeurs.

 

Financement de l’étude

British Heart Foundation.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Trois auteurs ont reçu des subventions de la British Heart Foundation dans le cadre de cette étude, un quatrième a reçu des subventions supplémentaires du Scottish Funding Council et de plusieurs autres organisations, deux auteurs ont reçu des honoraires de plusieurs sociétés pharmaceutiques en dehors du contexte de cette étude ; enfin, les autres ne déclarent aucun conflit d'intérêts.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

L’évaluation de la méthodologie de l’étude RESTART a déjà été largement discutée dans Minerva (6). Il s’agit d’une étude contrôlée randomisée pragmatique. Pour être au plus proche de ce qui se passe en pratique, le choix a porté sur une conception ouverte, les médecins traitants du groupe d’intervention étant autorisés à déterminer eux-mêmes le type de médicament antiplaquettaire ainsi que la posologie. Malgré le fait que l’étude n’était pas en double aveugle, il a été possible d’éviter le biais d’attribution en demandant aux neurologues d’attribuer en aveugle des critères de jugement objectifs. Nous avons cependant souligné que, malgré une randomisation correcte et malgré la préservation du secret d’attribution, on ne peut exclure un biais de sélection parce que l’inclusion après la sélection n’a finalement concerné qu’un patient sur douze. Il y avait diverses raisons pour lesquelles les patients n’étaient pas randomisés, notamment un trop mauvais état clinique ou le fait que le médecin traitant voulait décider lui-même de l’instauration ou non d’un traitement antiplaquettaire. Ces difficultés expliquent que les conditions pour la randomisation n’ont finalement été remplies que par seulement 562 patients (75%) au lieu de 720 selon l’objectif découlant du calcul de la puissance. Étant donné que le nombre de critères de jugement principaux après un suivi de 5 ans était encore trop faible pour rejeter l’hypothèse nulle, il a été décidé de prolonger le suivi de 2 ans et de mettre à jour l’analyse statistique en conséquence. Malgré cette extension du suivi, avec une augmentation de 70% du nombre total d’années-personnes (de 1064 à 1805), l’étude manque toutefois de puissance.

Interprétation des résultats

Avec un suivi prolongé, d’une durée médiane de 3 ans (au lieu de 2 ans dans l’étude originale), le nombre de nouvelles hémorragies intracérébrales n’est pas différent de manière statistiquement significative entre les deux groupes. Dans l’étude principale, on a observé moins d’hémorragies intracrâniennes spontanées dans le groupe qui a repris le traitement antiplaquettaire que dans le groupe témoin (12 contre 23), mais cette différence s’est réduite avec le prolongement du suivi (22 contre 25).

Il n’y avait pas non plus de réduction statistiquement significative du nombre total d’événements vasculaires majeurs sur l’ensemble de la période de suivi. En revanche, au cours des trois premières années, une réduction statistiquement significative du risque d’événements vasculaires majeurs a été observée dans le groupe traitement antiplaquettaire (réduction du risque cumulé de -7,8% avec IC à 95% de -15,5 à -0,1). Cependant, la plupart des patients n’ont été suivis que pendant trois ans pour ce résultat parce qu’ils sont sortis de l’étude en raison d’un événement vasculaire majeur. La disparition de cette différence lors du suivi ultérieur peut donc éventuellement s’expliquer par le faible nombre de patients pouvant encore être suivis durant cette période.

Malgré le prolongement du suivi, le nombre de patients et le nombre d’événements restent trop faibles pour tirer des conclusions définitives à partir de cette étude. Un essai randomisé contrôlé beaucoup plus vaste sera nécessaire pour étudier plusieurs questions sans réponse (y compris le moment le plus favorable pour reprendre le traitement antiplaquettaire).

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Les guides de pratique clinique actuels ne donnent pas de recommandation claire pour la reprise des antiagrégants plaquettaires après une hémorragie intracérébrale (8,9). Après la publication des résultats de l’étude RESTART, un guide de pratique clinique canadien (10) a modifié sa recommandation : « Chez les patients chez qui il est indiqué de poursuivre le traitement antiplaquettaire, il est justifié de reprendre ce traitement (niveau de preuve B) ». Cependant, ce guide de pratique clinique ne contient pas non plus de recommandation sur le moment optimal pour la reprise du traitement.

 

Conclusion de Minerva

Ce suivi prolongé de l’étude randomisée RESTART confirme les premiers résultats selon lesquels la reprise du traitement antiplaquettaire en dehors de la phase aiguë après une hémorragie intracérébrale n’entraîne pas d’augmentation de nouvelles hémorragies intracérébrales symptomatiques. Cependant, en raison du manque persistant de puissance statistique, des études randomisées et contrôlées plus importantes sont nécessaires pour le confirmer.

 

Références 

  1. Béjot Y, Cordonnier C, Durier J, et al. Intracerebral haemorrhage profiles are changing: results from the Dijon population-based study. Brain 2013;136:658-64. DOI: 10.1093/brain/aws349
  2. Pasquini M, Charidimou A, Van Asch CJ, et al. Variation in restarting antithrombotic drugs at hospital discharge after intracerebral hemorrhage. Stroke 2014;45:2643-8. DOI: 10.1161/STROKEAHA.114.006202
  3. Murthy SB, Zhang C, Diaz I, et al. Association between intracerebral hemorrhage and subsequent arterial ischemic events in participants from 4 population-based cohort studies. JAMA Neurol 2021;78:809-16. DOI: 10.1001/jamaneurol.2021.0925
  4. Antithrombotic Trialists' (ATT) Collaboration; Baigent C, Blackwell L, Collins R, et al. Aspirin in the primary and secondary prevention of vascular disease: collaborative meta-analysis of individual participant data from randomised trials. Lancet 2009;373:1849-60. DOI: 10.1016/S0140-6736(09)60503-1
  5. RESTART Collaboration; Al-Shahi Salman R, Dennis MS, Sandercock PA, et al. Effects of antiplatelet therapy after stroke due to intracerebral haemorrhage (RESTART): a randomised, open-label trial. Lancet 2019;393:2613-23. DOI: 10.1016/S0140-6736(19)30840-2
  6. Scheldeman L, Demeestere J. Le traitement antiplaquettaire doit-il être repris après une hémorragie intracérébrale ? MinervaF 2021;20(4):40-4.
  7. Al-Shahi Salman R, Dennis MS, Sandercock PA, et al; RESTART Collaboration. Effects of antiplatelet therapy after stroke caused by intracerebral hemorrhage: extended follow-up of the RESTART Randomized Clinical Trial. JAMA Neurol 2021;78:1179-86. DOI: 10.1001/jamaneurol.2021.2956
  8. Steiner T, Al-Shahi Salman R, Beer R, et al. European Stroke Organisation (ESO) guidelines for the management of spontaneous intracerebral hemorrhage. Int J Stroke 2014;9:840-55. DOI: 10.1111/ijs.12309
  9. Hemphill JC, Greenberg SM, Anderson CS, et al. Guidelines for the management of spontaneous intracerebral hemorrhage:a guideline for healthcare professionals from the American Heart Association/American Stroke Association. Stroke 2015;46:2032-60. DOI: 10.1161/STR.0000000000000069
  10. Shoamanesh A, Lindsay MP, Castellucci LA, et al. Canadian stroke best practice recommendations: management of spontaneous intracerebral hemorrhage, 7th Edition Update 2020. Int J Stroke 2021;16:321-41. DOI: 10.1177/1747493020968424

 




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