Analyse
Est-il possible d’arrêter en toute sécurité les corticostéroïdes inhalés chez les patients BPCO ?
L’utilisation de corticostéroïdes inhalés chez les patients BPCO est actuellement très controversée. Selon les directives GOLD, il est préférable, du point de vue de l’efficacité et de la sécurité, de passer d’un antagoniste muscarinique de longue durée d’action (LAMA) ou d’un agoniste bêta-2 de longue durée d’action (LABA) à l’association LAMA + LABA plutôt qu’à l’association LABA + corticostéroïdes inhalés (1). Cette recommandation s’appuie principalement sur l’étude FLAME, qui a montré qu’il fallait traiter au moins 20 patients (avec IC à 95 % de 13 à 44) pendant 1 an par indacatérol/glycopyrronium plutôt que par salmétérol/fluticasone pour éviter une exacerbation (tant légère que modérée ou grave) (2-5). De plus, Minerva a déjà plusieurs fois attiré l’attention sur le fait que le risque de pneumonie est accru chez les patients BPCO sous corticostéroïdes inhalés (6-11). Depuis, de nombreuses publications ont vu le jour au sujet de la possibilité et du souhait d’arrêter les corticostéroïdes inhalés chez les patients BPCO. Le débat a été ravivé principalement depuis l’introduction des trithérapies à doses fixes associant corticostéroïdes inhalés, LAMA et LABA. L’étude WISDOM a examiné la non-infériorité de l’arrêt des corticostéroïdes inhalés après une trithérapie en cas de BPCO sévère (12,13). Le risque d’exacerbations modérées à sévères sur un an s’est avéré comparable chez les patients qui poursuivaient les corticostéroïdes inhalés et chez ceux qui les arrêtaient. De plus, il n’a pas été possible de montrer une différence cliniquement pertinente quant au VEMS avant bronchodilatation.
L’étude SUNSET (14) publiée en 2018 est une étude randomisée contrôlée, en double aveugle, à trois placebos, de non-infériorité, ayant inclus des patients présentant une BPCO au stade GOLD 2 (VEMS moyen de 56,6% de la valeur prédite) qui avaient eu au maximum une exacerbation modérée à sévère au cours de l’année précédente (34,1% des participants) et qui étaient depuis au moins six mois sous trithérapie (associant corticostéroïdes inhalés, LAMA et LABA). Des 1684 patients éligibles pour participer à l’étude, 1570 patients ont participé à une phase de présélection d’une durée de quatre semaines avec la trithérapie (tiotropium 18 µg une fois par jour + salmétérol/fluticasone 50/500 µg deux fois par jour). Après cette phase 1053 patients ont été répartis en un groupe qui est passé à un traitement par indacatérol/glycopyrronium 110/50 µg une fois par jour (n = 527) et un groupe qui a poursuivi la trithérapie (n = 526). Après six mois, dans le groupe LAMA/LABA versus groupe trithérapie, une diminution statistiquement non significative du VEMS (principal critère de jugement) de -26 ml (avec IC à 95% de -53 ml à +1 ml) a été observée. La limite inférieure de l’IC à 95% se situait juste sous le seuil prédéfini de -50 ml pour la non-infériorité. La non-infériorité ne pouvait donc pas être démontrée (15). Aucune différence du nombre d’exacerbations modérées à graves n’a pu être montrée (RR de 1,08 avec IC à 95 % de 0,83 à 1,40). Une analyse de sous-groupes a toutefois montré une diminution statistiquement significative du nombre d’exacerbations avec la trithérapie par comparaison avec l’association LAMA/LABA chez les patients ayant ≥ 300/µl éosinophiles dans le sang, pour autant qu'on puisse, dans la pratique actuelle, utiliser les éosinophiles comme bio-marqueurs.
Conclusion
Chez les patients déjà traités par trithérapie associant LAMA, LABA et corticostéroïdes inhalés pour une BPCO modérée sans exacerbations fréquentes, les corticostéroïdes inhalés peuvent être arrêtés en toute sécurité sans diminution cliniquement pertinente de la fonction pulmonaire et sans augmentation du nombre d’exacerbations.
Une analyse en sous-groupe suggère que le risque d'exacerbations peut augmenter chez les patients présentant une augmentation de l'éosinophilie, pour autant qu'on puisse, dans la pratique actuelle, utiliser les éosinophiles comme bio-marqueurs.
Pour la pratique
Suivant les recommandations GOLD actuelles, les patients BPCO du groupe D (score CAT ≥ 10 ; mMRC ≥ 2 ; ≥ 2 exacerbations ou ≥ 1 exacerbation ayant mené à une hospitalisation au cours de l’année) peuvent passer d’un traitement LAMA/LABA ou associant corticostéroïdes inhalés et LABA (si ≥ 300 éosinophiles/µl dans le sang) à une trithérapie en cas de dyspnée persistante (1). De récentes études ont montré une plus-value limitée de la trithérapie dans ce groupe de patients atteints de BPCO (très) sévère (16-19). En Belgique, les critères de remboursement pour la trithérapie à doses fixes reposent sur cette approche (20).
Il n’existe pas de guide de pratique clinique déterminant clairement comment réduire les corticostéroïdes inhalés. L’étude SUNSET montre que chez les patients atteints de BPCO modérée placés sous triple thérapie LABA/LAMA/ICS depuis au moins 6 mois et n’ayant pas présenté d’exacerbations fréquentes, les corticostéroïdes inhalés peuvent être arrêtés. On ignore encore dans quelle mesure le taux d’éosinophiles peut être un fil conducteur. Cette étude ne permet pas de savoir si une diminution progressive en toute sécurité est également possible chez les patients BPCO du groupe D, seul groupe pour lequel un traitement par corticostéroïdes inhalés est actuellement recommandé (1).
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- Bêta2-mimétique à longue durée d’action + anticholinergique à longue durée d’action + corticostéroïde inhalé (LABA+LAMA+CSI). Répertoire Commenté des Médicaments. CBIP avril 2019.
Auteurs
De Backer W.
Pneumologie en Respiratoire Revalidatie, Faculteit Geneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :
Glossaire
étude de non-inférioritéCode
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