Analyse
Prise d’antibiotiques prophylactiques dans la BPCO : quel impact sur les exacerbations et sur la qualité de vie des patients ?
D’après les données du rapport GOLD de 2018 (1), la BPCO pourrait devenir la 3ème cause de mortalité dans le monde d’ici 2020. Elle représente un impact économique majeur (1). Ce sont surtout les exacerbations de BPCO qui coûtent le plus cher et qui entraînent pour le patient une perte fonctionnelle progressive (1). La réduction de leur fréquence et l’amélioration de la qualité de vie des patients sont donc deux piliers de la prise en charge de la BPCO (1). L’antibioprophylaxie fait partie de l’arsenal thérapeutique proposé pour réduire la fréquence des exacerbations (1). Son efficacité reste débattue, notamment en ce qui concerne le choix de la molécule et le schéma d’administration (1-3). En 2011, nous avions déjà rapporté dans Minerva (3) les résultats d’une étude américaine randomisée (4) montrant l’intérêt de l’ajout d’azithromycine 250 mg/jour pendant 12 mois chez des patients BPCO avec exacerbations répétées. Les patients de cette étude étaient cependant très sélectionnés ; d’autre part, la résistance du pneumocoque à cet antibiotique est plus importante en Belgique qu’aux Etats-Unis, rendant les résultats de cette étude difficilement transposables (3).
Une nouvelle revue systématique avec méta-analyse a été menée par la Cochrane en 2018 afin d’évaluer l’impact des antibiotiques prophylactiques versus placebo sur la réduction de la fréquence des exacerbations de BPCO et sur la qualité de vie des patients (2). Elle constitue une mise à jour de leur méta-analyse de 2013 qui avait conclu à un effet bénéfique probable de l’administration quotidienne de macrolides sur une période de 12 mois en termes d’incidence des exacerbations et de qualité de vie des patients (5).
Au terme d’une recherche de littérature exhaustive, les auteurs ont inclus 14 RCTs comparant, versus placebo, une antibioprophylaxie (macrolides, pénicilline, quinolone, sulfamidé) administrée pendant au moins 3 mois chez des patients adultes souffrant de BPCO modérée à sévère. L’échantillon comprenait 3932 sujets âgés en moyenne de 65 à 72 ans et présentant de fréquentes exacerbations. 10 études étaient en double aveugle, 1 en simple aveugle, 1 en protocole ouvert ; pour deux RCTs, le statut aveugle n’est pas connu. Le suivi de ces études variait de 3 à 36 mois. 9 études (1925 sujets) portaient sur les macrolides administrés 1x/jour (azithromycine, érythromycine, clarithromycine et une combinaison roxithromycine et doxycycline). 2 études (176 sujets) ont porté sur l’administration d’une antibiothérapie intermittente (azithromycine 3x/semaine) pendant 3 mois et 12 mois. 2 études incluant 1732 patients se sont intéressées à l’antibiothérapie pulsée (azithromycine 3 jours/mois pendant 36 mois ou moxifloxacine 5 jours toutes les 8 semaines, schéma répété 6 fois). 1 étude (99 sujets) a comparé 3 bras de traitement (une antibiothérapie continue à base de doxycycline 100 mg 1x/j, une antibiothérapie intermittente à base d’azithromycine 250 mg 3x/semaine et une antibiothérapie pulsée à base de moxifloxacine 400 mg à raison de 5 jours/mois) versus placebo sur une durée de 13 semaines. Les différents continents, dont l’Europe, sont représentés dans ces études.
Pour les critères de jugement primaire, l’étude montre :
- une réduction statistiquement significative de l’incidence des exacerbations sur la période étudiée dans le groupe traité versus placebo (N = 8 études, n = 2716 patients ; 706 sujets ont présenté > 1 exacerbation/1377 versus 812/1339, OR de 0,57 avec IC à 95% de 0,42 à 0,78, p < 0,001), avec un NNT de 8 (avec IC à 95% de 5 à 17) (qualité de preuve GRADE modérée)
- une réduction significative du nombre d’exacerbations/an en cas d’antibioprophylaxie versus placebo (N = 5, n = 1384 ; OR de 0,67, avec IC à 95% de 0,54 à 0,83, p = 0,0002 ; qualité de preuve GRADE modérée)
- un allongement du temps avant la première exacerbation en cas d’administration continue versus placebo (p < 0,05 pour les 3 études concernées) ; une administration pulsée ou intermittente ne démontre pas d’effet supérieur au placebo pour ce critère de jugement
- un impact statistiquement significatif mais cliniquement non pertinent sur la qualité de vie (N = 7, n = 2237 ; réduction inférieure à 4 points sur le questionnaire de Saint-George ; qualité de preuve GRADE haute).
Pour les critères de jugement secondaires, l’étude rapporte :
- une réduction statistiquement significative de la durée des exacerbations dans le groupe antibioprophylaxie (p < 0,05)
- l’absence d’impact démontré sur la durée d’hospitalisation, le nombre de jours d’incapacité de travail, le VEMS et la mortalité
- une incidence significativement plus grande d’effets indésirables gastro-intestinaux dans le groupe traité par moxifloxacine et de perte d’audition chez les patients sous azithromycine
- une absence de données probantes quant à l’impact de l’antibioprophylaxie sur l’émergence de résistances bactériennes
- une réduction significative de l’incidence d’exacerbations versus placebo dans le groupe administration intermittente (OR de 0,39 avec IC à 95% de 0,19 à 0,77, NNT = 5) et continue (OR de 0,53 avec IC à 95% de 0,36 à 0,79, NNT = 7) ; une administration pulsée n’a pas montré de supériorité versus placebo ; il n’y a pas de différence démontrée entre un schéma intermittent et continu (p = 0,43) ; ces analyses n’ont été réalisées que dans des études portant sur les macrolides.
Les études présentent globalement un faible risque de biais.
Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyses de la Cochrane de bonne qualité méthodologique reposant sur des preuves de qualité modérée à haute montre un impact favorable et significatif d’une antibioprophylaxie continue ou intermittente sur l’incidence des exacerbations de BPCO chez des patients de plus de 65 ans avec BPCO modérée à sévère et présentant de fréquentes exacerbations. Le risque d’antibiorésistance reste à évaluer. L’impact sur la qualité de vie n’est pas cliniquement pertinent sur base de cette étude.
Pour la pratique
L’initiative GOLD 2018 (1) propose l’administration d’une antibioprophylaxie par macrolides pour les patients avec BPCO de stade D présentant des exacerbations fréquentes malgré un traitement bronchodilatateur maximal. Cette revue systématique avec méta-analyse ne remet pas en cause ces conclusions. Elle suggère également que l’administration de macrolides intermittente (> 3 fois par semaine) ou continue (quotidienne) a un effet prophylactique supérieur à l’administration pulsée (prises régulières sur une courte période selon un schéma à répéter régulièrement).
- From the Global Strategy for the Diagnosis, Management and Prevention of COPD. Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease (GOLD) 2018. Available from: http://goldcopd.org/wp-content/uploads/2017/11/GOLD-2018-v6.0-FINAL-revised-20-Nov_WMS.pdf
- Herath SC, Normansell R, Maisey S, Poole P. Prophylactic antibiotic therapy for chronic obstructive pulmonary disease (COPD). Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD009764.pub3
- Chevalier P. Exacerbations de BPCO : azithromycine en prévention ? MinervaF 2011;10(10):119-20.
- Albert RK, Connett J, Bailey WC, et al; COPD Clinical Research Network. Azithromycin for prevention of exacerbations of COPD. N Engl J Med 2011;365:689-98. DOI: 10.1056/NEJMoa1104623
- Herath S, Poole P. Prophylactic antibiotic therapy for chronic obstructive pulmonary disease (COPD). Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD009764.pub2
Auteurs
Joly L.
médecin généraliste, ULiège
COI :
Mots-clés
antibiotique, azithromycine, BPCO, bronchopneumopathie chronique obstructive, clarithromycine, congé maladie, doxycycline, érythromycine, exacerbation, hospitalisation, macrolide, moxifloxacine, placebo, qualité de vie, quinolone, résistance bactérienne aux médicaments, roxithromycine, VEMS, volume expiratoire forcéCode
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