Revue d'Evidence-Based Medicine



Intérêt de la rosuvastatine en prévention primaire en cas de risque cardiovasculaire intermédiaire ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 1 Page 8 - 11

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Yusuf S, Bosch J, Dagenais G, et al; HOPE-3 Investigators. Cholesterol lowering in intermediate-risk persons without cardiovascular disease. N Engl J Med 2016;374:2021-31. DOI: 10.1056/NEJMoa1600176


Question clinique
Chez des hommes âgés d’au moins 55 ans et des femmes d’au moins 65 ans, sans pathologie cardiovasculaire mais à risque cardiovasculaire intermédiaire à élevé au score INTERHEART, quelle est l’efficacité de l’administration de rosuvastatine 10 mg versus placebo en termes de survenue d’évènements cardiovasculaires sur une durée de 5 ans ?


Conclusion
Cette RCT montre l’intérêt de l’administration de rosuvastatine 10 mg/j chez des sujets présélectionnés, sans anamnèse d’évènement cardiovasculaire, à risque cardiovasculaire intermédiaire à élevé, avec cholestérolémie dans les normes, en termes de prévention d’évènements cardiovasculaires sur une période de suivi d’environ 5 ans, avec absence de différence en termes de mortalité globale.


Contexte

L’intérêt des statines post évènement cardiovasculaire (strictement parlant en prévention tertiaire mais souvent appelée prévention secondaire) est bien prouvé en termes d’efficacité avec un NNT de l’ordre de 30 personnes/5 ans pour la mortalité cardiovasculaire, à l’exception des AVC hémorragiques (1). Chez les patients sans antécédent d’évènement cardiovasculaire, la diminution de la mortalité vasculaire ou totale n’est statistiquement significative que pour les patients à risque cardiovasculaire élevé mais il n’existe pas de valeur de risque seuil validée (1). Une importante RCT tente de montrer l’intérêt de l’administration d’une statine puissante en prévention primaire chez des sujets présentés comme sans risque élevé.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 12705 patients (hommes âgés d’au moins 55 ans et femmes âgées d’au moins 65 ans avec au moins un des critères ci-dessous, ou femme d’au moins 60 avec au moins 2 des critères ci-dessous), recrutés dans 21 pays, sans anamnèse d’incident cardiovasculaire, à risque cardiovasculaire intermédiaire ; absence de marge lipidique ou tensionnelle initialement requise
  • risque cardiovasculaire intermédiaire (= ni faible ni élevé) déterminé par la présence d’au moins un des facteurs de risque suivants : rapport taille-hanche élevé ( 0,90 pour les hommes, 0,85 pour les femmes), anamnèse d’un HDL cholestérol bas (< 1,0 mmol/l pour les hommes, < 1,3 pour les femmes), tabagisme actuel ou récent, dysglycémie (mais pas de diabète traité par ADO (antidiabétique oral) après amendement du protocole), anamnèse familiale de pathologie coronarienne précoce, insuffisance rénale légère (microalbuminurie ou GFR < 60 ml/min/1,73 m² ou créatinine > 1,4 mg/dl)
  • critères d’exclusion : e.a. pathologie cardiovasculaire, indication pour ou contre-indication pour une statine, un sartan, un IECA ou un diurétique thiazide, insuffisance hépatique ou rénale (GFRe < 45 ml/min/1,73 m²)
  • caractéristiques de la population incluse : âge moyen de 65,7 ans, 46,2% de femmes, 20% de blancs, 49,1% d’asiatiques, 27,5% d’hispaniques ; 46 à 47% des sujets avec 2 facteurs de risque et 24% avec au moins 3 facteurs de risque ; score INTERHEART moyen de 14,5 (ET ± 5,2) ; LDL-C moyen de 127,8 mg/dl, PAS moyenne de 138,1 mmHg ; 5,8% de diabète (44% traités par ADO) ; BMI moyen de 27,1.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, pragmatique, en double aveugle, contrôlée versus placebo, factorielle 2 x 2, multicentrique (228 centres) et multinationale (21 pays) et sur les 6 continents
  • traitement évalué : rosuvastatine 10 mg par jour versus placebo (croisé avec candésartan 16 mg par jour + hydrochlorothiazide12,5 mg/j versus placebo) ; environ 3180 sujets par bras d’étude (4 au total)
  • période d'inclusion en simple aveugle avec les 2 autres traitements actifs pendant 4 semaines ; non randomisation des patients non adhérents ou avec effet indésirable non acceptable.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : premier critère composite (décès de cause cardiovasculaire, infarctus du myocarde non fatal, AVC non fatal) et second critère composite y ajoutant revascularisation, insuffisance cardiaque, arrêt cardiaque avec ressuscitation
  • critère secondaire : second critère primaire + angor avec ischémie documentée
  • autres critères : décès de toute cause, survenue d’un diabète, fonction cognitive (si 70 ans), dysfonction érectile (pour les hommes) et chacun des éléments isolés des critères de jugement primaires et secondaires
  • suivi médian de 5,6 ans
  • analyse en ITT, en fonction du risque cardiovasculaire (par tertiles), du taux de LDL-C et de la PAS initiaux.

 

Résultats

  • < 1% de perdus de vue
  • critères de jugement primaires composites :
    • pour le premier, 3,7% sous rosuvastatine et 4,8% sous placebo soit un HR de 0,76 (avec IC à 95% de 0,64 à 0,91 ; p = 0,002 ; NNT = 91)
    • pour le second, 4,4% sous rosuvastatine versus 5,7% sous placebo soit un HR de 0,75 (avec IC à 95% de 0,64 à 0,88 ; p < 0,001 ; NNT = 73)
    • résultats concordants pour les sous-groupes définis par le risque cardiovasculaire initial, les taux lipidiques, la CRP, la PAS, la race ou l’ethnie
  • critère secondaire :
    • 4,8% sous rosuvastatine et 6,2% sous placebo soit un HR de 0,77 (avec IC à 95% de 0,66 à 0,89 ; p < 0,001)
  • effets indésirables : pas de différence au point de vue cancer ou diabète ; significativement davantage d’opérations de la cataracte (3,8% versus 3,1%) et de symptômes musculaires (5,8% versus 4,7%) sous rosuvastatine
  • absence de différence significative en termes de mortalité globale.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement par rosuvastatine 10 mg/j permet de réduire significativement le risque d’évènements cardiovasculaires versus placebo dans une population à risque intermédiaire, ethniquement diverse, sans pathologie cardiovasculaire.

 

Financement de l’étude

Canadian Institutes of Health Research et AstraZeneca.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Parmi les 31 auteurs listés, 8 déclarent des conflits d’intérêts potentiels pour le travail effectué en relation avec cette publication (HOPE-3).

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT inclut un nombre important de sujets avec une taille de population estimée nécessaire pour une puissance de 80% pour montrer une réduction de risque sous statine de 22,5% versus placebo, différence effectivement observée pour les 2 critères primaires. Le protocole d’étude est méthodologiquement correct et bien observé. Quelques limites sont cependant à souligner. La liste des amendements au protocole n’est pas disponible sur le site de l’EMA (2) mais les auteurs signalent dans les documents annexes disponibles sur le site du journal qu’ils ont initialement inclus les patients avec diabète traité par maximum un ADO puis qu’ils les ont exclus. Au total, 5,8% de la population incluse présentait un diabète et 44% de ces patients ont été traités par un médicament antidiabétique.

Dans une phase d’inclusion, tous les patients ont reçu les médicaments actifs de l’étude (rosuvastatine, hydrochlorothiazide et candésartan). Ensuite, 13,5% de ces patients ont été exclus pour la randomisation, entre autres pour effets indésirables (3,5%) ou mauvaise observance (5,7% d’observance < 80%). La population d’étude est donc présélectionnée et l’analyse en ITT porte sur cette population présélectionnée.

Les auteurs parlent d’une étude pragmatique, certainement en fonction du fait que les patients étaient éligibles (et inclus) selon un principe d’incertitude du bénéfice d’un traitement : les patients pour lesquels une statine était clairement indiquée ou contre-indiquée n’étaient pas inclus et la liste des facteurs de risque cardiovasculaire motivant une inclusion est présentée (dans le protocole d’étude) comme une suggestion de facteurs potentiels. Parler ensuite de risque cardiovasculaire « intermédiaire » nous semble donc très peu précis. Dans leur publication, les auteurs mentionnent que ce risque intermédiaire correspondrait à un risque annuel d’évènement cardiovasculaire majeur d’approximativement 1%. Cependant, le score INTERHEART moyen donné dans le manuscrit est de 14,5 (ET ± 5,2), ce qui correspond à un risque intermédiaire à élevé pour ce score et non à un risque intermédiaire strict comme le déclarent les auteurs. Un tiers des sujets inclus présentent un risque élevé (> 16) au score INTERHEART. Ce score estime le risque de survenue d’un infarctus aigu du myocarde chez des sujets vus à l’hôpital pour douleur précordiale (3). Nous ne connaissons pas la concordance entre INTERHEART et SCORE ; elle n’est pas donnée dans le récent guide européen (4).

Soulignons qu’il n’y avait pas de seuil de cholestérolémie ni de PAS nécessaire pour être inclus dans l’étude.

 

Interprétation des résultats

La population randomisée est donc (voir paragraphe précédent) constituée de patients compliants, et tolérant les médicaments à évaluer. D’autres publications ont été faites concernant la même recherche. Une publication concerne le traitement antihypertenseur (5) et ne montre pas d’intérêt de l’administration quotidienne de 16 mg de candésartan et de 12,5 mg d’hydrochlorothiazide versus placebo en termes de diminution de l’incidence d’évènements cardiovasculaires majeurs. Les auteurs confirment, dans leur analyse, l’absence de bénéfice (voire la nuisance) de traiter par antihypertenseur des sujets en prévention primaire présentant une PAS < 140 mmHg.

Une autre publication concerne l’association du traitement hypolipidémiant avec le traitement antihypertenseur versus placebo (6). Elle montre des résultats très légèrement meilleurs que ceux observés avec la rosuvastatine seule, mais avec des intervalles de confiance légèrement plus étendus : HR de 0,71 (avec IC à 95% de 0,56 à 0,90) et HR de 0,72 (avec IC à 95% de 0,57 à 0,89) respectivement pour les 2 critères primaires. Une faiblesse musculaire, des troubles de l’équilibre, des hypotensions, des vertiges et des étourdissements sont plus fréquents sous traitements actifs associés que sous placebo.

Il faut souligner que ces traitements sont instaurés chez des patients en dehors d’une indication formelle : le traitement antihypertenseur chez des sujets qui, en moyenne, ne peuvent pas être considérés comme hypertendus (PAS initiale moyenne de 138 mmHg), la statine chez des sujets avec LDL-C moyen de 128 mg/dl et en prévention primaire.

 

Mise en perspective des résultats

Nous avions analysé dans la revue Minerva l’étude JUPITER (7,8) qui incluait des patients en prévention primaire, présentant une CRP ultrasensible > 2, une normolipidémie, sans hypertension ni diabète et traités par rosuvastatine (20 mg/j). Ce traitement diminuait de 1,2% le risque absolu de survenue d’un premier incident cardiovasculaire. L’étude HOPE-3 ne montre pas de différence d’efficacité de la rosuvastatine 10 mg en fonction du niveau de CRP (≤ 2 (moyenne de 1,1) ou > 2 (moyenne de 6,2)).

Une RCT en protocole ouvert effectuée au Japon (9), incluant des patients sans anamnèse d’incident coronarien ni d’AVC, montrait le bénéfice de l’administration de doses de 10-20 mg de pravastatine par jour associée à un régime alimentaire versus régime seul en termes d’incidence d’évènement coronarien (HR de 0,67 avec IC à 95% de 0,49 à 0,91 ; p = 0,01) sur 5,3 ans de moyenne.

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT montre l’intérêt de l’administration de rosuvastatine 10 mg/j chez des sujets présélectionnés, sans anamnèse d’évènement cardiovasculaire, à risque cardiovasculaire intermédiaire à élevé, avec cholestérolémie dans les normes, en termes de prévention d’évènements cardiovasculaires sur une période de suivi d’environ 5 ans, avec absence de différence en termes de mortalité globale.

 

Pour la pratique

Chez les patients sans antécédent d’évènement cardiovasculaire, l’administration au long cours d’une statine ne diminue la mortalité vasculaire ou totale de manière statistiquement significative que pour les patients à risque cardiovasculaire élevé. Il n’existe pas de valeur de risque seuil validée (1).

Le guide de pratique (GPC) belge publié en 2007 (10) recommandait pour la prescription d’une statine en prévention primaire, le respect d’un seuil de SCORE (décès cardiovasculaire) ≥ 10% à 10 ans.

Le GPC étatsunien le plus récent (11) recommande, en prévention primaire, chez les sujets non diabétiques âgés de 40 à 75 ans, d’instaurer un traitement par statine en cas de risque d’évènement cardiovasculaire athérosclérotique (acteurs de risque pris en compte identiques à ceux de l’étude analysée ici + la race) ≥ 7,5% à 10 ans.

Dans le récent GPC européen (4), un traitement médicamenteux est recommandé en cas de SCORE ≥ 5 et < 10 si le LDL-C est d’au moins 100 mg/dl et en cas de SCORE ≥ 10 si le LDL-C est d’au moins 70 mg/dl.

En l’absence de sélection des patients sur base d’un score validé de risque cardiovasculaire, l’étude HOPE-3 ne nous aide pas pour déterminer une valeur de risque seuil pour initier un traitement par statine en prévention primaire.

 

 

Références 

  1. INAMI. L’usage rationnel des hypolipidémiants. Réunion de consensus du 22-05-2014. Conclusions. Rapport du jury.
  2. EMA : https://www.clinicaltrialsregister.eu
  3. Yusuf S, Hawken S, Ounpuu S, et al ; INTERHEART Study Investigators. Effect of potentially modifiable risk factors associated with myocardial infarction in 52 countries (the INTERHEART study): case-control study. Lancet 2004;364:937-52. DOI: 10.1016/S0140-6736(04)17018-9
  4. Piepoli M, Hoes AW, Agewall S, et al. 2016 European Guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice. Eur Heart J 2016. DOI: 10.1093/eurheartj/ehw106
  5. Lonn EM, Bosch J, López-Jaramillo P, et al ; HOPE-3 Investigators. Blood-pressure lowering in intermediate-risk persons without cardiovascular disease. N Engl J Med 2016;374:2009-20. DOI: 10.1056/NEJMoa1600175
  6. Yusuf S, Lonn E, Pais P, et al ; HOPE-3 Investigators. Blood-pressure and cholesterol lowering in persons without cardiovascular disease. N Engl J Med 2016;374:2032-43. DOI: 10.1056/NEJMoa1600177
  7. Lemiengre M. CRP augmentée : la rosuvastatine diminue-t-elle le risque cardiovasculaire ? MinervaF 2009;8(6):74-5.
  8. Ridker PM, Danielson E, Fonseca FA, et al; JUPITER Study Group. Rosuvastatin to prevent vascular events in men and women with elevated C-reactive protein. N Engl J Med 2008;359:2195-207. DOI: 10.1056/NEJMoa0807646
  9. Nakamura H, Arakawa K, Itakura H, et al ; MEGA Study Group. Primary prevention of cardiovascular disease with pravastatin in Japan (MEGA Study): a prospective randomised controlled trial. Lancet 2006;368:1155-63. DOI: 10.1016/S0140-6736(06)69472-5
  10. Boland B, Christiaens T, Goderis G, et al. Globaal cardiovasculair risicobeheer. Huisarts Nu 2007;36:339-69.
  11. Stone NJ, Robinson JG, Lichtenstein AH, et al ; American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines. 2013 ACC/AHA guideline on the treatment of blood cholesterol to reduce atherosclerotic cardiovascular risk in adults: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines. J Am Coll Cardiol 2014;63:2889-934. DOI: 10.1016/j.jacc.2013.11.002

 




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