Analyse


Prescription différée d’antibiotiques en cas d’infection des voies respiratoires inférieures : plus d’hospitalisations ?


15 07 2018

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Little P, Stuart B, Smith S, et al. Antibiotic prescription strategies and adverse outcome for uncomplicated lower respiratory tract infections: prospective cough complication cohort (3C) study. BMJ 2017;357:j2148. DOI: 10.1136/bmj.j2148


Conclusion
Cette étude de cohorte prospective montre avec suffisamment de puissance que la prescription d’antibiotiques à prendre immédiatement pour des symptômes d’infection des voies respiratoires inférieures non compliquées n’entraîne pas une diminution du risque de complications rares telles que l’hospitalisation ou le décès.


Que disent les guides de pratique clinique ?
La mise à jour de 2017 d’une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration a montré, après inclusion de 11 études randomisées contrôlées, que la prescription non immédiate d’antibiotiques et le conseil de revenir en consultation en cas d’aggravation ou d’amélioration insuffisante des symptômes d’infection aiguë des voies respiratoires sont des stratégies efficaces et sûres pour réduire l’utilisation des antibiotiques sans affecter la satisfaction du patient. Pour les médecins qui ne se sentent pas à l’aise avec cette stratégie, une prescription différée d’antibiotiques peut être une alternative valable. L’étude de cohorte prospective discutée ci-dessus confirme les conclusions de la synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration de 2017. L’importance de la diminution du nombre de nouvelles consultations que l’on a constatée avec la prescription différée d’antibiotiques versus l’absence de prescription d’antibiotiques n’est pas claire dans le contexte des soins en Belgique et doit encore être examinée. Une prise de décision partagée entre le médecin et le patient peut réduire l’utilisation des antibiotiques à court terme.



Minerva a souvent attiré l’attention sur les limites de l’utilité des antibiotiques dans le traitement des infections des voies respiratoires (rhinosinusite, mal de gorge, otite moyenne aiguë, infections des voies respiratoires inférieures) (1-23). Des méthodes pour limiter l’utilisation des antibiotiques ont également été abordées plusieurs fois. La prescription différée d’antibiotiques n’avait pas d’influence sur la gravité et la durée des symptômes des infections aiguës des voies respiratoires inférieures (22-27) et de l’otite moyenne aiguë (28-29). La remise d’informations écrites aux parents d’enfants atteints d’infection des voies respiratoires supérieures (30) et un programme de formation pour les médecins généralistes sur le processus de décision partagée comportant un module en ligne et un atelier interactif (31) ont conduit respectivement à une réduction de l’utilisation des antibiotiques et à une diminution du choix des patients portant sur des antibiotiques pour le traitement des infections aiguës des voies respiratoires à court terme, sans influence négative sur le bien-être du patient.

 

Dans une étude de cohorte prospective, publiée en 2017 et menée au Royaume-Uni, 28779 patients âgés d’au moins 16 ans ont été suivis pendant 30 jours après une première consultation chez le médecin généraliste pour symptômes d’infection des voies respiratoires inférieures (toux depuis ≤ 3 semaines) (32). A l’aide du dossier médical, on a vérifié si ces patients, durant la période de 30 jours après la première consultation, étaient revenus en consultation chez le médecin généraliste, s’étaient rendus aux urgences avec des symptômes persistants ou nouveaux, avaient été hospitalisés ou étaient décédés.

 

Le groupe de patients le plus important a reçu durant la consultation une prescription d’antibiotiques à prendre immédiatement (n = 17628, soit 61,3%), suivi par un groupe n’ayant pas reçu de prescription d’antibiotiques (n = 7332, soit 25,5%) et un groupe chez qui une prescription différée d’antibiotiques a été prévue (n = 819, soit 13,3%). Dans tous les groupes, le nombre d’hospitalisations et de décès après la première consultation était très faible (< 1%). Il n’y avait pas de diminution statistiquement significative du nombre d’hospitalisations et de décès dans le groupe qui avait reçu une prescription d’antibiotiques à prendre immédiatement ou qui avait reçu une prescription différée d’antibiotiques, versus le groupe sans prescription d’antibiotiques. Une nouvelle consultation pour aggravation ou amélioration insuffisante des symptômes a été fréquente dans tous les groupes, mais elle l’était moins et de manière statistiquement significative, dans le groupe qui avait reçu une prescription différée d’antibiotiques (14,1%) versus le groupe sans prescription d’antibiotiques (19,7%) (risque relatif (RR) 0,64 avec IC à 95% de 0,57 à 0,72 ; p < 0,001). Le risque de nouvelle consultation était le plus important (25,3%) dans le groupe qui avait reçu une prescription d’antibiotiques à prendre immédiatement, mais ne différait pas de manière statistiquement significative avec le groupe qui n’avait pas reçu de prescription d’antibiotiques.

Bien qu’il s’agisse ici d’une étude d’observation, les résultats sont probablement fiables. La puissance était suffisante pour montrer une différence dans les critères de jugement rares car la population d’étude était vaste et que le nombre de sorties d’étude durant le suivi était faible. Les investigateurs ont également utilisé un score de propension afin de tenir compte des facteurs de confusion.

 

Conclusion

Cette étude de cohorte prospective montre avec suffisamment de puissance que la prescription d’antibiotiques à prendre immédiatement pour des symptômes d’infection des voies respiratoires inférieures non compliquées n’entraîne pas une diminution du risque de complications rares telles que l’hospitalisation ou le décès.

 

Pour la pratique

La mise à jour de 2017 d’une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration a montré, après inclusion de 11 études randomisées contrôlées, que la prescription non immédiate d’antibiotiques et le conseil de revenir en consultation en cas d’aggravation ou d’amélioration insuffisante des symptômes d’infection aiguë des voies respiratoires sont des stratégies efficaces et sûres pour réduire l’utilisation des antibiotiques sans affecter la satisfaction du patient (30). Pour les médecins qui ne se sentent pas à l’aise avec cette stratégie, une prescription différée d’antibiotiques peut être une alternative valable (30). L’étude de cohorte prospective discutée ci-dessus (32) confirme les conclusions de la synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration de 2017 (30). L’importance de la diminution du nombre de nouvelles consultations que l’on a constatée avec la prescription différée d’antibiotiques versus l’absence de prescription d’antibiotiques n’est pas claire dans le contexte des soins en Belgique et doit encore être examinée. Une prise de décision partagée entre le médecin et le patient peut réduire l’utilisation des antibiotiques à court terme (26,27,31).

 

 

Références 

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Auteurs

Adriaenssens N.
Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg (ELIZA), Universiteit Antwerpen
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