Analyse


L’ertugliflozine, une gliflozine sans intérêt clinique pour la prise en charge du diabète de type 2 ?


15 06 2021

Professions de santé

Pharmacien
Analyse de
Cannon CP, Pratley R, Dagogo-Jack S, et al. Cardiovascular outcomes with ertugliflozin in type 2 diabetes. N Engl J Med 2020;383:1425-35. DOI: 10.1056/NEJMoa2004967


Conclusion
Cette étude randomisée réalisée avec un grand nombre de patients montre que chez les patients atteints de diabète de type 2 et de maladie cardiovasculaire athéroscléreuse, l'ertugliflozine n'était pas supérieure au placebo pour éviter les événements cardiovasculaires indésirables majeurs.



Les gliflozines, aussi appelés inhibiteurs du SGLT-2, sont des inhibiteurs de la réabsorption tubulaire du glucose, proposés dans le traitement du diabète sucré de type 2. Une méta-analyse – discutée dans Minerva en 2015 (1,2) – n’avait apporté aucune information pertinente nouvelle pour le clinicien sur l’utilité de cette classe d’antidiabétiques (dapagliflozine, canagliflozine, empagliflozine, ipragliflozine) avec un rapport bénéfices (non documentés) – risques (évidents à court terme et encore mal définis à long terme) défavorable. Une étude randomisée réalisée avec l’empagliflozine chez des patients atteints de diabète de type 2 et présentant un risque cardiovasculaire élevé a montré une réduction statistiquement significative du critère principal de jugement cardiovasculaire combinant la mortalité cardiovasculaire, l’infarctus du myocarde non fatal et l’AVC non fatal (3,4). Une autre étude contrôlée avec la canagliflozine et conduite chez des patients à risque cardiovasculaire élevé montre aussi un effet significativement favorable sur un critère composite similaire (5,6). L’excès d’amputations distales avec la canagliflozine par rapport au groupe placebo était toutefois préoccupant. Une nouvelle étude randomisée, cette fois avec l’ertugliflozine et portant sur des patients avec un diabète de type 2 et une maladie cardiovasculaire athéroscléreuse établie (7), a été publiée en 2020.

Pour être éligibles pour cette étude randomisée en double-aveugle, les patients devaient être âgés d'au moins 40 ans, et avoir un diabète de type 2 (avec un taux d'hémoglobine glyquée de 7,0 à 10,5%) et une maladie cardiovasculaire athéroscléreuse établie touchant les systèmes artériels coronaire, cérébrovasculaire ou périphérique.  Ils ont été randomisés entre trois bras : 5 mg ou 15 mg d’ertugliflozine ou un placebo. Les deux bras ertugliflozine ont été mêlés pour l’analyse. Le critère de jugement principal était un composite de décès d'origine cardiovasculaire, d'infarctus du myocarde non mortel ou d'AVC non mortel. Le premier critère de jugement secondaire était un composite de décès d'origine cardiovasculaire ou d'hospitalisation pour insuffisance cardiaque. L’étude a été conçue comme une étude de non-infériorité dont l'objectif principal était de montrer la non-infériorité de l'ertugliflozine par rapport au placebo en ce qui concerne le critère de jugement principal avec une marge de non-infériorité de 1,3 (8).  Si la non-infériorité était montrée pour le critère de jugement principal, alors des tests de supériorité pour les principaux résultats secondaires étaient effectués (un composite de décès de causes cardiovasculaires ou d'hospitalisation pour insuffisance cardiaque ; les décès de causes cardiovasculaires ; et un composite de décès attribuable à des causes rénales, de traitement d’épuration extrarénale ou de doublement du taux de créatininémie).

Un total de 8246 patients ont été recrutés (5499 ertugliflozine - dont 2745 patients ont effectivement reçu 5 mg/jour et 2747 15 mg/jour - et 2747 placebo). L'âge moyen était de 64,4 ans, la durée moyenne du diabète de 13,0 ans et le taux moyen d'hémoglobine glyquée de 8,2% ; 75,9% avaient une maladie coronarienne, 22,9% une maladie cérébrovasculaire et 18,7% une artériopathie ; un total de 23,7% avaient des antécédents d'insuffisance cardiaque. La durée moyenne de suivi a été de 3,5 ans.

Un événement cardiovasculaire indésirable majeur (critère de jugement principal) a été observé chez 653 des 5493 patients (11,9%) dans le groupe ertugliflozine et chez 327 des 2745 patients (11,9%) dans le groupe placebo (HR de 0,97 avec IC à 95% de 0,85 à 1,11; p < 0,001 pour la non-infériorité). La non-infériorité ayant été significative, une analyse de supériorité (premier critère de jugement secondaire) a été réalisée avec des résultats non significatifs : des décès de causes cardiovasculaires ou une hospitalisation pour insuffisance cardiaque sont survenus chez 444 patients sur 5499 (8,1%) dans le groupe ertugliflozine et chez 250 patients sur 2747 (9,1%) dans le groupe placebo (HR à 0,88 avec IC à 95% de 0,75 à 1,03 ; p = 0,11 pour la supériorité). En ce qui concerne les autres critères de jugement secondaires clés, le rapport de risque exprimé en HR (ertugliflozine versus placebo) pour les décès d'origine cardiovasculaire était de 0,92 (avec IC à 95,8% de 0,77 à 1,11), et le rapport de risque rénal exprimé en HR était de 0,81 (avec IC à 95,8% de 0,63 à 1,04). En termes de tolérance, on a noté des amputations chez 54 patients (2,0%) qui ont reçu la dose de 5 mg d'ertugliflozine et chez 57 patients (2,1%) qui ont reçu la dose de 15 mg, contre 45 patients (1,6%) qui ont reçu le placebo. Au vu de ces résultats, cette gliflozine n’a donc pas d’intérêt dans la prise en charge du diabète de type 2.

Cette étude a été supportée (et réalisée) par Merck Sharp & Dohme et Pfizer.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Selon NICE (9) et Domus Medica (10), les recommandations n’ont pas changé sur les gliflozines depuis le dernier article de Minerva sur le sujet (11,12), à savoir que le prescripteur n’introduira une nouvelle molécule hypoglycémiante que sur une base individuelle raisonnée, tenant compte des comorbidités, de l’espérance de vie et du risque d’hypoglycémie, en ajustant individuellement la cible de l’HbA1c, sans oublier de contrôler les autres facteurs de risques que sont le tabagisme, l’hypertension artérielle et les dyslipidémies. Les conditions de prix et de remboursement, les effets indésirables potentiels doivent être pris en considération. NICE recommande de suivre avec attention les pieds des diabétiques à risque chez qui un inhibiteur du SGLT-2 a été introduit et plus particulièrement avec la canagliflozine. Mais ces recommandations datent de 2015.

Les guidelines de l'ESC publiés en 2019 (13) recommandent les gliflozines (si GFR adéquate) ou les analogues du GLP-1 chez les patients présentant un diabète de type 2 avec risque cardiovasculaire élevé avec une HbA1c supérieure aux valeurs cibles sous metformine.

La revue de médecine factuelle Prescrire est beaucoup plus sévère, recommandant d’écarter les gliflozines en raison d’un profil d’effets indésirables chargés : infections urogénitales, infections cutanées périnéales graves, acidocétoses et peut-être risque accru d’amputation des orteils (14).

 

Conclusion

Cette étude randomisée réalisée avec un grand nombre de patients montre que chez les patients atteints de diabète de type 2 et de maladie cardiovasculaire athéroscléreuse, l'ertugliflozine n'était pas supérieure au placebo pour éviter les événements cardiovasculaires indésirables majeurs.

 

Références 

  1. Vanhaeverbeek M. Efficacité et sécurité des gliflozines chez les patients diabétiques de type 2. MinervaF 2015;14(5):53 4.
  2. Monami M, Nardini C, Mannuci E. Efficacy and safety of sodium glucose co-transport-2 inhibitors in type 2 diabetes: a meta-analysis of randomized clinical trials. Diabetes Obes Metab 2014,16:457-66. DOI: 10.1111/dom.12244
  3. Wens J. Empagliflozine : quel effet sur la morbidité et la mortalité cardiovasculaires chez les patients atteints de diabète de type 2 ? MinervaF 2016;15(4):98-101.
  4. Zinman B, Wanner C, Lachin JM, et al; EMPA-REG OUTCOME Investigators. Empagliflozin, cardiovascular outcomes, and mortality in type 2 diabetes. N Engl J Med 2015;373:2117-28. DOI: 10.1056/NEJMoa1504720
  5. Richard T. Canagliflozine : quel effet sur le risque d’événement cardiovasculaire ou de néphropathie dans le diabète de type 2 ? Minerva bref 15/09/2018.
  6. Neal B, Perkovic V, Mahaffey KW, et al; CANVAS Program Collaborative Group. Canagliflozin and cardiovascular and renal events in type 2 diabetes. NEJM 2017;377:644-57. DOI: 10.1056/NEJMoa1611925
  7. Cannon CP, Pratley R, Dagogo-Jack S, et al. Cardiovascular outcomes with ertugliflozin in type 2 diabetes. N Engl J Med 2020;383:1425-35. DOI: 10.1056/NEJMoa2004967
  8. Chevalier P. Etudes de non-infériorité : risque médicamenteux dit non inférieur à celui d’un placebo… même s’il est plus élevé. MinervaF 2017;16(9):236-7.
  9. National Institute for Health and Care Excellence. Type 2 diabetes in adults: management [NG 28]. NICE 2015. Last updated 16 December 2020 [cité 18 janv 2021].
  10. Bastiaens H, Benhalima K, Cloetens H, et al. Diabète sucré de type 2. Recommandations de Bonne Pratique. SSMG/Domus Medica 2015. Disponible sur: http://www.trajetdesoins.be/FR/Bibliotheque/pdf/RBP_Diabete2_FR.pdf
  11. Vanhaeverbeek M. Y a-t-il une différence observée de la mortalité « toutes causes » entre les essais cliniques testant le traitement des patients diabétiques de type 2 par une gliflozine, un incrétinomimétique ou une gliptine ? Minerva bref 1/06/2019.
  12. Zheng SL, Roddick AJ, Aghar-Jaffar R, et al. Association between use of sodium-glucose cotransporter 2 inhibitors, glucagon-like peptide 1 agonists, and dipeptidyl peptidase 4 inhibitors with all-cause mortality in patients with type 2 diabetes: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2018;319:1580-91. DOI: 10.1001/jama.2018.3024
  13. Cosentino F, Grant PJ, Aboyans V, et al, ESC Scientific Document Group. 2019 ESC Guidelines on diabetes, pre-diabetes, and cardiovascular diseases developed in collaboration with the EASD: The Task Force for diabetes, pre-diabetes, and cardiovascular diseases of the European Society of Cardiology (ESC) and the European Association for the Study of Diabetes (EASD). Eur Heart J 2020;41(2):255-323. DOI: 10.1093/eurheartj/ehz486
  14. Prescrire Rédaction. Pour mieux soigner des médicaments à écarter: bilan 2021. Diabétologie - nutrition. Rev Prescrire 2021;40:934-5.

 

 

 




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